Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Millerand (Alexandre) (suite)

Le Bloc national, la présidence de la République

Pendant les années de guerre, les préoccupations de Millerand se sont faites de plus en plus nationalistes, si bien qu’arrivant au terme de son évolution politique il se retrouve à la tête du Bloc national en 1919. Dans un discours-programme prononcé à Ba-ta-Clan le 7 novembre 1919, et que l’on peut résumer en trois mots : union, travail, solidarité, il encourage l’union de la droite en un Bloc national.

Après l’élection de la Chambre « bleu horizon » le 16 novembre 1919, dans laquelle le Bloc national a 437 sièges, Deschanel ne peut logiquement que faire appel à Millerand comme président du Conseil et ministre des Affaires étrangères. Celui-ci forme un gouvernement largement ouvert (20 janv. 1920) qui reflète son désir d’union « de Barrès à Allemane ». Son premier souci est de faire exécuter le traité de Versailles sans hésiter à trancher les questions politiques. Il sévit contre le mouvement de grève générale de 1920, et envoie Weygand soutenir la Pologne contre la Russie. Il ne parvient pas à faire voter les réformes constitutionnelles qu’il souhaitait concernant l’élargissement du collège électoral pour l’élection du président de la République.

Le 23 septembre 1920, Millerand succède à Deschanel, démissionnaire, comme président de la République (695 voix sur 892 votants). Sa nature combative s’accommode mal de la passivité inhérente à ce poste représentatif ; de fait, il continue de lutter pour la défense des intérêts nationaux en politique extérieure, intervenant directement dans l’accord militaire conclu avec la Pologne. Lors de la conférence de Cannes (1922), destinée à examiner les moyens de rétablir l’économie mondiale, il désapprouve les concessions faites à l’Angleterre par Briand ; il triomphe des hésitations de Poincaré à faire occuper la Ruhr (janv. 1923), mais ne parvient pas à le convaincre de négocier directement avec l’Allemagne ; il ouvre des pourparlers pour que soit rétablie une ambassade au Vatican.

En octobre 1923, Millerand intervient directement comme chef du Bloc national dans la campagne électorale ; dans un discours prononcé à Évreux, il insiste sur la nécessité de réformer la constitution afin de renforcer le pouvoir exécutif. Or, aux élections de mai 1924, le Cartel des gauches l’emporte largement. Le désaccord entre le président et la Chambre provoque une crise politique. Pour la gauche, « M. Millerand doit s’en aller, l’homme du Bloc national n’a plus qualité pour représenter la France ». Le 5 juin, Herriot, président de la gauche, décline l’offre de constituer un ministère. D’autres tentatives dans le même sens échouent. En offrant ainsi le gouvernement à la gauche, Millerand se soumet à la majorité. Mais celle-ci, en rejetant son offre, le contraint à se démettre. Tout en dénonçant ce qu’il tient pour une atteinte « au seul élément de stabilité et de continuité de la constitution », Millerand charge François-Marsal, chef d’un « cabinet éclair », de présenter sa démission à la Chambre (11 juin 1924). Cet acte brise net la carrière d’A. Millerand, qui, sénateur de la Seine, puis de l’Orne, ne jouera plus qu’un rôle effacé.

M. T.

➙ République (IIIe) / Socialisme.

 R. Persil, Alexandre Millerand (S. E. F. I., 1949). / J. Basdevant, Notice sur la vie et les travaux d’Alexandre Millerand (Firmin-Didot, 1956).

Millet (Jean-François)

Peintre français (Gréville, Manche, 1814 - Barbizon 1875).


Il est l’un des chefs de file du réalisme* social, dont l’apparition coïncide avec les mouvements révolutionnaires de 1848 ; cependant, il niera toujours avoir voulu donner une portée polémique à sa peinture, son but étant de montrer la grandeur de la vie paysanne. Larges paysages fuyant parmi les chaumes, travailleurs ruraux éternisés dans un geste quotidien, les tableaux de Millet, ces « Géorgiques peintes », disait Théophile Gautier, ont parfois, comme l’affirmait Camille Pissarro, une résonance biblique.

L’intérêt suscité par cette œuvre a connu de nombreuses fluctuations. Décriée en raison de son contexte social, puis lentement appréciée, elle devient peu après la mort de l’artiste l’objet d’un engouement extraordinaire, pour se dévaluer avec le succès des impressionnistes et retrouver, dans la seconde moitié du xxe s. seulement, la faveur des amateurs.

Né dans une famille de cultivateurs du Cotentin, Millet participe jusqu’à l’âge de vingt ans à ces travaux des champs qu’il saura si bien décrire. Il apprend à peindre auprès d’artistes cherbourgeois dont l’un, Bon Dumoucel, a été l’élève de David et l’autre, Lucien Langlois de Chevreville, celui de Gros. En août 1836, Langlois intervient auprès de la municipalité de Cherbourg pour « obtenir un secours afin que son élève puisse aller à Paris ». Grâce à la bourse qui lui est accordée, le jeune homme entre dans l’atelier de Paul Delaroche. Il cherche sa voie tantôt chez Delacroix, dont s’inspire le Conteur (musée de Cherbourg), tantôt chez Watteau, évoqué par la Scène dans un parc (ibid.), essaye la peinture religieuse (la Lapidation de saint Étienne, ibid.), gagne sa vie en exécutant des scènes légères, des enseignes, des dessins érotiques et peint d’admirables portraits, à la fois graves et sensibles, dont l’exquise effigie de sa première femme : Pauline Ono en déshabillé (ibid.).

Le tournant décisif de sa carrière se produit lorsqu’il peint le Vanneur (brûlé à Boston, mais deux répliques au Louvre), acheté par le nouveau ministre de l’Intérieur Ledru-Rollin au Salon libéral de 1848. L’année suivante, Millet s’installe avec sa famille à Barbizon*, dans une maison appartenant à son futur historiographe, Alfred Sensier. Hormis de rares visites à Gréville et deux séjours en Auvergne, il y résidera toute sa vie près de ses amis Charles Jacque et Théodore Rousseau. En 1855, sous une fausse identité, celui-ci achète le Greffeur quatre mille francs pour sauver le peintre de la misère.