Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Miller (Arthur) (suite)

Il reprend ce thème, en 1953, dans The Crucible (les Sorcières de Salem), pièce inspirée par le procès de 1692. Le héros, John Proctor, est malgré lui impliqué dans un procès en sorcellerie, causé par quelques femmes hystériques. Il préfère finalement le sacrifice au compromis. La pièce est une allusion directe au maccartisme et aux procès politiques intentés aux communistes américains. En 1955, Miller écrit deux pièces en un acte : A Memory of Two Mondays, sa pièce préférée, qu’il appelle « une comédie pathétique », met en scène un Américain las de vingt ans de servitude et qui soudain explose et meurt de son extravagance. A View from the Bridge (Vue du pont), plus tard développée en deux actes, appartient à la tradition du théâtre prolétarien. Dans les docks de Brooklyn, Eddie, pour garder sa nièce, dénonce un émigrant italien, qui le tue. Dans la pièce apparaît un double système de valeurs : la légalité et la légitimité. Eddie a raison légalement de dénoncer Rodolphe Mais, aux yeux de Brooklyn, il a tort.

De 1954 à 1957, Miller a des problèmes politiques. On lui refuse son passeport en 1954. En 1956, il est condamné par la Commission des activités antiaméricaines comme « personne soupçonnée d’aider le mouvement communiste ». La même année, il divorce pour épouser l’actrice Marilyn Monroe, qui incarne pour cet intellectuel juif l’innocence blonde de l’Amérique. Ce mariage, rompu en 1960, lui inspire le scénario du film The Misfits (les Désaxés), histoire de trois cow-boys qui tuent des chevaux sauvages pour en faire de la viande pour chiens. Ce film sur la fin de l’innocence est son attaque la plus dure contre le « rêve américain ».

En 1964, After the Fall (Après la chute), pièce très autobiographique, marque un tournant dans la manière de Miller. Presque psychanalytique, cette œuvre à la Strindberg est comme un monologue intérieur à plusieurs voix. Ce procès d’un homme par lui-même sonne le glas des illusions sociales. Incident at Vichy (Incident à Vichy, 1964), pièce située dans la France occupée, met en scène un aristocrate allemand qui sauve un Juif au prix de sa vie. Ce qui ne l’empêche pas d’être coupable. Ce paradoxe sur le thème de la culpabilité collective n’offre pas de solution au problème de la complicité de l’homme avec le mal. En 1968, The Price (le Prix) met en scène deux frères dont l’un a réussi et l’autre échoué, et qui s’affrontent dans le huis clos symbolique d’un grenier familial.

Catalogué « dramaturge social », Miller est plutôt un écrivain à thèse, dont l’œuvre vieillit mal. Opposé au « théâtre de l’absurde », il s’en rapproche malgré lui peu à peu. Mais il veut, comme il le dit, « explorer les possibilités de l’homme engagé qui cherche à vivre activement en connaissant sa propre absurdité ». Il continue à voir dans le théâtre un lieu privilégié de communication. Conformiste dans sa forme, datée dans son inspiration sociale, l’œuvre d’Arthur Miller connaît depuis 1970 une éclipse sensible.

J. C.

 R. G. Hogan, A. Miller (Minneapolis, 1964). / L. Moss, A. Miller (New York, 1968). / R. W. Corrigan (sous la dir. de), A. Miller, a Collection of Critical Essays (Englewood Cliffs, N. J., 1969). / R. I. Evans, Psychologv and A. Miller (New York, 1969). / T. Hayashi, Arthur Miller Criticism, 1930-1967 (Metuchen, N. J., 1969). / B. Nelson, A. Miller : Portrait of a Playwright (New York, 1970).

Millerand (Alexandre)

Homme politique français (Paris 1859 - Versailles 1943).



Un socialiste qui évolue

Il est d’abord connu comme avocat. Son éloquence plus soucieuse de convaincre que de plaire correspond à son caractère volontaire, mais sans fantaisie. Député de Paris de 1885 à 1920, il siège d’abord parmi les radicaux, mais ses préoccupations vont d’emblée vers les questions sociales. En 1889, il rompt avec le parti radical-socialiste et s’oriente vers le socialisme démocratique. Ses interventions courageuses à propos de la fusillade de Fourmies (1891) et en faveur des ouvriers grévistes de Carmaux (1892) le placent à l’avant-garde de la gauche socialiste.

Millerand ouvre le journal la Petite République — fondé par Gambetta et dont il est rédacteur en chef de 1892 à 1896 — aux militants de toutes les factions socialistes jusque-là rivales, favorisant ainsi la formation d’un grand parti. Lors du congrès des municipalités socialistes à Saint-Mandé (30 mai 1896), il énonce ce qui lui semble être le programme commun : conquête du pouvoir politique par le suffrage universel ; intervention de l’État pour faire passer du domaine capitaliste au domaine national les moyens de production et d’échange ; entente internationale des travailleurs. Il veut « assurer à chaque être au sein de la société le développement intégral de sa personnalité ». En même temps, il lance un appel à l’union de tous les représentants du socialisme français de Jules Guesde aux modérés. Il souhaite des socialistes « un seul cœur, un seul esprit, une seule action ». Telles sont encore les thèses qu’il soutient dans le journal la Lanterne, dont il prend la direction en 1898.

Jusque-là, Millerand est dans l’opposition. Waldeck-Rousseau lui offre la possibilité d’appliquer ses théories sociales et le désigne comme ministre du Commerce, de l’Industrie et des Postes dans le cabinet de défense et d’action républicaine qu’il forme en 1899. Millerand accepte sans consulter son parti. Sa participation au gouvernement jette aussitôt la perturbation à la Chambre : les modérés s’alarment de la présence des socialistes. Ces derniers sont divisés dans leur jugement. Le « cas Millerand » est examiné aux assises de Bordeaux (1903). Les guesdistes et les blanquistes accusent Millerand de nier la lutte des classes, par cette alliance avec la bourgeoisie. Jaurès au contraire affirme que sa présence au gouvernement démontre la nécessité pour la bourgeoisie de faire une place au prolétariat.

Millerand n’est pas exclu du parti, mais le quitte de son propre gré (1905) et n’adhère pas au parti socialiste unifié (S. F. I. O.) en 1905. À ce premier poste ministériel comme à celui des Travaux publics et des P. T. T., qu’il occupe de 1909 à 1910, il applique la politique réformiste qu’il a préconisée : il réorganise le Conseil supérieur du travail créé en 1892, crée des délégués ouvriers pour régler les conflits du travail, développe certains projets qui seront repris par le Front populaire sur le droit de grève, le chômage, la retraite ouvrière et paysanne et favorise l’action des syndicats. Mais lorsqu’il est confronté aux premières grèves de chemins de fer en 1910, il les réprime sévèrement. Briand l’exclut aussitôt de son cabinet.

Autre paradoxe : ce partisan de la paix est deux fois ministre de la Guerre, dans les cabinets d’union nationale de Poincaré (1912-13) et Viviani (août 1914 - oct. 1915). Il ramène l’esprit patriotique et la confiance dans l’armée, restaure l’autorité du commandement et crée l’aviation militaire. Il a confiance dans la victoire et dans la guerre libératrice.

Millerand connaît ensuite une retraite momentanée. Poincaré écrira : « Il était le bouc émissaire de toutes les fautes qu’avait commises antérieurement l’administration militaire. » En mars 1919, Millerand reçoit mission de régler le nouveau statut des provinces alsacienne et lorraine reconquises.