Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Mill (John Stuart) (suite)

Le syllogisme, en tant qu’il conclut le particulier (« Socrate est mortel ») de l’universel (« tous les hommes sont mortels ») par l’intermédiaire de la mineure (« Socrate est un homme »), est tributaire d’une théorie du concept et doit être exprimé selon les exigences de l’empirisme. Dans ce cas, la majeure universelle, « tous les hommes sont mortels », est réduite à un nombre fini d’expériences déterminées (« Pierre, Paul, Jean... sont mortels »). À partir de ces cas particuliers, nous concluons à un cas particulier semblable : « Donc Louis est mortel. » L’opération logique s’accomplit sans aucun recours à un axiome universel.

Le seul raisonnement fécond est l’induction, qui suppose, pour être pratiquée, la connaissance de la cause du phénomène à étudier. Par cause, Stuart Mill entend, tout comme Hume, l’antécédent constant. Pour découvrir cet antécédent, Stuart Mill dispose déjà des tables de Francis Bacon*. Cependant, leur utilisation est solidaire d’une hypothèse qui ne s’accorde pas avec l’impressionnisme de Stuart Mill : il y a une relation constante d’effet à cause entre une « nature » que nous observons et une « forme » que nous cherchons ; liaison qui est cachée par diverses circonstances dont on se débarrasse par l’application des tables.

Pour se mettre en quête du phénomène antécédent, Stuart Mill institue quatre méthodes :
— la méthode de concordance, qui collectionne toutes les observations où le phénomène apparaît et élimine toutes les circonstances non communes à l’ensemble des expériences ;
— la méthode de différence, qui considère séparément deux groupes d’observations : celui où le phénomène est présent et celui où il est absent, et sert à rejeter les circonstances communes aux deux groupes ;
— la méthode des variations concomitantes, qui repère, pour chaque variation du phénomène, les circonstances qui varient ou non, les circonstances inchangées étant éliminées ;
— la méthode des résidus, qui permet de repousser a priori les circonstances présentes dont on sait, par des inductions antérieures, qu’elles ne peuvent produire l’effet dont on recherche la cause.

Une telle méthodologie est indépendante de toute inspiration empiriste.


La morale

Contrairement à ce qu’il affirme être le cas pour le domaine logique, Stuart Mill dépeint la méthode des sciences morales comme déductive. Le paradoxe s’atténue lorsqu’on se souvient que les empiristes utilitaires attendaient surtout des sciences morales qu’elles s’ouvrent sur des applications immédiates ; conformément à cette perspective, des mobiles d’action permanents sont posés (la recherche du plaisir par exemple), à partir desquels on déduit des règles d’action.

Se réclamer de l’associationnisme sur le plan psychologique impose pour conséquence l’adhésion à l’utilitarisme sur le plan moral. Parmi les comportements de l’homme, seuls ceux qui sont utiles ont pu devenir habituels et se fixer dans l’esprit.

Cependant, à la recherche d’un équilibre entre la raison et le sentiment (utilitarism), Stuart Mill modifie, sur deux points, le système moral de Bentham. D’une part, à la considération de la quantité des plaisirs, il ajoute celle de leur qualité — la valeur des plaisirs intellectuels et artistiques dépasse la seule quantité ; d’autre part, à la recherche de l’intérêt personnel, il substitue celle de l’intérêt général. « Le bonheur critérium de ce qui est bien n’est pas le bonheur même de l’agent, mais celui de tous les intéressés. » L’intérêt général se confondant avec la somme des intérêts particuliers, le plus grand bonheur possible pour le plus grand nombre possible devient le mot d’ordre.

M. K.


Stuart Mill économiste

Stuart Mill est le principal représentant, après 1848, de l’économie politique classique.

Dans son Système de logique déductive et inductive (1843), John Stuart Mill reconnaît qu’Auguste Comte*, en formulant la loi « des trois états », a posé les principes d’une « science générale de la société », consacrée à l’observation des faits sociaux ; mais, à côté de cette discipline descriptive, il y a place pour une science déductive dont l’économie politique serait une des parties. Mill est un des premiers auteurs à systématiser l’objet de l’économie politique.

Mais il se heurte d’entrée de jeu à un problème qu’il pose d’ailleurs avec franchise : prétendre poser des lois générales au sein d’une société qui constamment se modifie. Il répond à cette objection qu’on peut parvenir à tenir compte des modifications de la société et à appliquer à chaque cas particulier les enseignements de l’économie politique, science éternelle et générale en quelque sorte. « Celui qui connaît l’économie politique de l’Angleterre [...] connaît l’économie politique, actuelle ou possible, de toutes les nations, pourvu qu’il ait assez de bon sens pour ne pas s’attendre à voir la même conclusion sortir de prémisses différentes. » Affirmation contrastant avec celle que pourrait formuler l’historien, pour lequel, au contraire, l’histoire relate des faits qui ne se reproduiront jamais. Au fond, Stuart Mill prend à contre-pied l’histoire, ou même arrive à « une réelle négation de l’histoire » (H. Denis). Mais son optique lui donne une grande confiance à l’égard de l’économie politique, confiance apparaissant notamment dans ses Principes d’économie politique (1848).

Stuart Mill est, peut-être inconsciemment, influencé par le système juridique et social qu’il a devant les yeux : pour lui, pendant longtemps encore, l’économie aura à s’occuper des « conditions d’existence et de progrès propres à une société fondée sur la propriété particulière et la concurrence des individus ». C’est un décor bâti sur la propriété privée qui environne sa science économique. Mais Mill croit que le « modèle » qu’il décrit est valable en tout temps et en tout lieu : pourtant, il ne peut pas ne pas voir les maux dont souffre le capitalisme, ni le problème du paupérisme ; il s’efforce d’ailleurs de donner une explication à ces maux.