Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

aphasie (suite)

Lorsque la lésion atteint la région temporale postérosupérieure, on a affaire à une aphasie sensorielle (ou aphasie de Wernicke) : le discours est fluent, mais rendu plus ou moins incompréhensible par les déformations de mots et par les substitutions, télescopages ou itérations (ces erreurs sont appelées des paraphasies). L’écriture manifeste les mêmes caractéristiques (les erreurs étant alors des paragraphies). La compréhension du langage oral est toujours perturbée. Il en est de même de la compréhension du langage écrit, qui est d’autant plus perturbée que la lésion est plus postérieure. Il semble actuellement que l’aphasie sensorielle représente un syndrome complexe où s’intriquent différents facteurs, qui peuvent parfois intervenir de façon quasi isolée (la perte de la discrimination des sons du langage se distingue ainsi des troubles de la compréhension verbale et de la désorganisation de l’attention).

À côté de ces deux grandes formes, expressive et réceptive, de l’aphasie, on distingue aussi une aphasie amnésique : le sujet manque de mots dans son discours spontané, et il est incapable de retrouver les noms des objets qu’on lui présente. Le plus souvent associée à l’aphasie sensorielle, cette forme peut cependant exister isolément.

La réalité d’aphasies « pures », c’est-à-dire de formes dans lesquelles le langage n’est perturbé que dans l’une de ses modalités, expression orale ou écrite, réception auditive ou visuelle, est plus discutée. Il semble que l’existence de la surdité verbale pure (perte isolée de la réception des sons du langage), pour être exceptionnelle, doit cependant être admise. L’alexie pure, c’est-à-dire un trouble de la lecture indépendant de tout trouble du langage oral et de l’écriture autre que celui de la copie, est indiscutable, mais certains auteurs l’excluent du cadre des aphasies pour la ranger parmi les agnosies optiques.

Aucune classification n’a rencontré un accord unanime. Certains auteurs, à la suite de P. Marie, ne veulent voir à la base des diverses formes d’aphasie qu’un phénomène unique, les différents aspects cliniques résultant seulement de l’adjonction de troubles non linguistiques à un déficit linguistique univoque.

Depuis ces dernières années, et sous l’impulsion des recherches de R. Jakobson, les modèles et méthodes de la linguistique et de la psycholinguistique ont été utilisés dans le domaine des aphasies. Les résultats déjà obtenus témoignent de la réalité des diverses variétés de troubles du langage. La seule unité des aphasies serait en quelque sorte de caractère négatif : la compétence linguistique du sujet parlant (sa connaissance intuitive des règles) reste préservée, tandis que les performances (les réalisations qui dépendent de différents facteurs psychophysiologiques) peuvent être perturbées isolément.


Aphasie et troubles intellectuels

Enfin, la question des rapports entre les troubles aphasiques et les troubles de l’intelligence reste très discutée. Selon les tenants des thèses dites « noëtistes » de l’aphasie, il faudrait y reconnaître un déficit général, qu’on l’appelle déficit intellectuel spécialisé concernant le « stock des choses apprises par des procédés didactiques » (P. Marie), ou perte de l’attitude abstraite (Goldstein). Sans pouvoir réfuter définitivement ces assertions, les études psychologiques actuelles ne les vérifient guère.

Il est toutefois assuré qu’il y a des aphasiques sans déficit intellectuel décelable, et capables d’une adaptation sociale normale.

H. H.


Les spécialistes de l’aphasie


Paul Broca,

chirurgien français (Sainte-Foy-la-Grande 1824 - Paris 1880). Professeur de pathologie chirurgicale à Paris, à l’Institut anthropologique, il fit d’abord des recherches sur l’anthropologie* physique (il fonda l’École d’anthropologie en 1872), puis sur le fonctionnement du cortex cérébral. Sa découverte (1861) de la lésion responsable de l’aphasie fut à l’origine de la théorie des localisations cérébrales. De même, en reconnaissant que les lésions déterminant les troubles du langage siégeaient toujours sur l’hémisphère gauche chez le droitier (1865), il posa le principe de la dominance hémisphérique. Il devint sénateur l’année de sa mort.


Pierre Marie,

médecin français (Paris 1853 - Cannes 1940). Professeur à la Salpêtrière en 1918, il fit de nombreux travaux en neurologie, étudia notamment l’acromégalie* (appelée parfois maladie de Marie) et entreprit la révision du problème des aphasies. Il rejeta le rôle de la lésion de l’aire retenue par Broca dans la production de troubles aphasiques et rapprocha les troubles du langage des déficits intellectuels. Il décrivit également des maladies osseuses caractéristiques : ostéopathie hypertrophiante pneumique (1890), dysostose cléido-crânienne héréditaire (1897), spondylose rhizomélique (1898). Il isola avec son maître Charcot une amyotrophie d’origine nerveuse, dite « de Charcot-Marie », révisa la conception des aphasies et décrivit des formes frustes d’ataxie cérébelleuse.


Carl Wernicke,

médecin et psychiatre autrichien (Tarnovitz [auj. Tarnowskie Góry] 1848 - dans la Forêt de Thuringe 1905). Professeur à Berlin en 1885, à Breslau (auj. Wrocław) en 1890, puis à Halle en 1904, il fut l’un des fondateurs de l’étude scientifique de l’aphasie. En 1874, il démontra qu’en dehors de l’aire de Broca il existait sur l’hémisphère gauche une zone située sur la région temporale postérosupérieure, dont la lésion déterminait un type particulier d’aphasie dans lequel le trouble porte sur la compréhension du langage (aphasie sensorielle dite « de Wernicke »). Il élabora les premiers modèles théoriques associationnistes du fonctionnement cérébral. Ses travaux sur l’agnosie tactile, sur la conscience du corps (somatopsyché) ont eu un grand retentissement. Il décrivit aussi la polioencéphalite hémorragique, maladie qui porte son nom.

 J. Déjerine, Séméiologie des affections du système nerveux (Masson, 1914). / H. Head, Aphasia and Kindred Disorders of Speech (Cambridge, 1926 ; 2 vol.). / P. Marie, Travaux et mémoires (Masson, 1926-1928 ; 2 vol.). / T. H. Weisenburg et K. E. McBride, Aphasia : a Clinical and Psychological Study (New York, 1935). / R. Jakobson, Kindersprache, Aphasie und allgemeine Lautgesetze (Uppsala, 1941 ; trad. fr. Langage enfantin et aphasie, Éd. de Minuit, 1970). / A. Ombrédane, l’Aphasie et l’élaboration de la pensée explicite (P. U. F., 1951). / H. Hécaen et R. Angelergues, Pathologie du langage, l’aphasie (Larousse, 1965). / T. A. Alajouanine, l’Aphasie et le langage pathologique (Baillière, 1968). / J. Dubois et H. Hécaen, Naissance de la neuropsychologie du langage (Flammarion, 1969).