Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Mérimée (Prosper)

Écrivain français (Paris 1803 - Cannes 1870).


La recherche d’un art néo-classique dans la tradition du xviiie s. et en même temps le désir d’un rajeunissement de formules jugées périmées en les remplaçant par les suggestions de la sensibilité, tels sont les deux courants contraires qui se rencontrent chez Mérimée sans jamais s’exclure. Cet homme chez qui, suivant le mot de Taine qui le connut bien, « la sensibilité était domptée jusqu’à paraître absente » sut mettre d’emblée un art dépouillé au service d’une émotion cachée. Fils unique d’un peintre et de la petite-fille de Mme Leprince de Beaumont, auteur de la Belle et la bête, il prit très vite le goût de la liberté intellectuelle. De fécondes amitiés littéraires, dont celle de Stendhal, de vingt ans son aîné, l’engagèrent très tôt à écrire. Dès 1825, il donne le Théâtre de Clara Gazul, pseudo-comédie espagnole, suivi d’une autre supercherie, la Guzla (1827), recueil de prétendues poésies illyriennes. Quand il aborde le roman historique (la Jacquerie, 1828 ; Chronique du temps de Charles IX, 1829, ou Chronique du règne de Charles IX ; 2e éd., 1832), on n’est pas très sûr que ce n’est pas pour s’en moquer.

Mérimée débute donc dans les lettres par des mystifications. Puis il trouve sa vraie vocation, celle de la nouvelle, dont la forme ramassée, qui ne peut se permettre le vague et l’emphase, le séduit. C’est dès lors la publication de chefs-d’œuvre, appréciés par les contemporains : Mateo Falcone, Vision de Charles XI, l’Enlèvement de la redoute, Tamango (1829) et, l’année suivante, le Vase étrusque, la Partie de trictrac.

Nommé inspecteur général des monuments historiques (1834), Mérimée semble s’engager dans une tout autre voie que celle de la littérature. Et, en fait, il s’acquitte avec conscience de ses tâches archéologiques, qui lui permettront de restaurer de précieux monuments. Mais il ne sacrifie pas l’homme de lettres à l’homme de sciences. À la Double Méprise (1833) succèdent les Âmes du purgatoire (1834), récit de la conversion de don Juan, et surtout la Vénus d’Ille (1837). Ses nombreux voyages lui inspirent ses œuvres les plus célèbres (Colomba, 1840 ; Carmen, 1845), et il revient à des nouvelles plus courtes avec Arsène Guillot (1844) et l’Abbé Aubain (1846). Sous l’Empire, il est un familier de la cour de l’impératrice Eugénie. Son activité intellectuelle est alors grande : dans de nombreuses publications, il fait le point de ses travaux archéologiques ; en même temps il est, par ses traductions, le premier à introduire la littérature russe en France. Pendant ses dernières années, délaissant Paris, il vit à Cannes entouré d’amitiés littéraires et de dévouements féminins. Il écrit encore quelques nouvelles.

Supérieur à Nodier dans la nouvelle fantastique, laissant partout une marge d’ambiguïté (à la limite, ses histoires ne peuvent-elles pas être vraisemblables ?), Mérimée est, comme Stendhal, passé maître dans l’art des préparations. La tension dramatique de ses contes, la légère ironie qui s’y cache, l’absence de tout mot d’auteur, la violence étouffée par l’impersonnalité du style aboutissent à une perfection un peu sèche, parfois crispée, qui finalement emporte l’adhésion. Ce technicien considère l’œuvre littéraire comme un divertissement, un plaisir d’esthète, qui permet, grâce au prestige de l’art, de dissimuler tout ce que la vie comporte d’émotion. Très classique par son sens de la litote, par son romantisme dompté, il n’hésite pourtant pas à mettre en scène des personnages instinctifs, brutaux (Mateo Falcone, Tamango, Colomba), qui peuvent néanmoins nous échapper par leur frange d’incertitude (Carmen). La feinte indifférence de Mérimée à l’égard de ses héros n’est qu’un masque. Sans doute, par terreur d’être dupe, il laisse le lecteur sur sa faim, ne lui offre pas de conclusion. Ce refus de l’engagement, cette perpétuelle dérobade cachent en fait, au second degré, une émotion. Une certaine constance de style, le choix des mêmes mots, une identique reprise de quelques thèmes (la déchéance de don José dans Carmen, celle du lieutenant Roger dans la Partie de trictrac, ou celle d’Arsène Guillot) expriment, par-delà l’apparente impassibilité des phrases, une sensibilité qui n’ose se manifester en plein jour. Cette pudeur, cette discrétion font de Mérimée un écrivain à part, d’autant plus attachant que toujours, par quelque côté, il nous échappe.

A. M.-B.

➙ Conte / Nouvelle.

 P. Trahard, Prosper Mérimée et l’art de la nouvelle (Nizet, 1923) ; la Jeunesse de Prosper Mérimée, 1803-1834 (Champion, 1924 ; 2 vol.) ; Prosper Mérimée de 1834 à 1853 (Champion, 1929) ; la Vieillesse de Prosper Mérimée, 1854-1870 (Champion, 1931). / M. Parturier, Une Amitié littéraire : Mérimée et Tourgueniev (Hachette, 1952). / A. de Luppé, Mérimée (A. Michel, 1953 ; nouv. éd., 1960). / R. Baschet, Mérimée, 1803-1870. Du romantisme au second Empire (Nouv. éd. latines, 1959). / P. Léon, Mérimée et son temps (P. U. F., 1962). / A. Naaman, Mateo Falcone de Mérimée (Nizet, 1968).

Mérite (ordre national du)

Ordre national français créé en 1963.


Le nouveau « Code de la Légion d’honneur et de la médaille militaire », promulgué sous l’égide du général de Gaulle le 28 novembre 1962, réservait l’attribution de la Légion d’honneur à la récompense de mérites éminents. « Pour donner au gouvernement le moyen de récompenser les mérites distingués » acquis soit dans une fonction publique civile ou militaire, soit dans l’exercice d’une activité privée, le décret du 3 décembre 1963 porte création de l’ordre national du Mérite. Il possède en propre son organisation, sa discipline, sa hiérarchie et ses règles, apparentées à celles de la Légion d’honneur. Le président de la République, grand maître de l’ordre, préside, quand il le juge utile, le conseil de l’ordre, comprenant huit membres choisis par lui et titulaires, au minimum, du grade de commandeur. Le grand chancelier de la Légion d’honneur est également le chancelier de l’ordre national du Mérite, qui comporte trois grades (chevalier, officier, commandeur) et deux dignités (grand officier et grand-croix). Le nombre des nominations ou des promotions est fixé par décret du grand maître sur proposition des ministres et du chancelier de l’ordre. Un décret du président de la République désigne les titulaires nommés ou promus. Seule la remise officielle de l’insigne autorise le port de la décoration, qui, dans la hiérarchie des décorations françaises, prend rang immédiatement après celui de la médaille militaire.

L’insigne, en argent ou en vermeil, est une étoile présentant au centre, à l’avers, l’effigie de la République avec, en exergue, « République française », et, au revers, deux drapeaux tricolores avec l’inscription « ordre national du Mérite » et la date : « 3 décembre 1963 ».

La création de cette décoration a entraîné la suppression, à partir du 1er janvier 1964, de l’Étoile noire du Bénin, du Nichan el-Anouar, ainsi que celle des ordres coloniaux et des anciens ordres du mérite. Seuls ont été maintenus en raison de leur ancienneté et de leur prestige les ordres des Palmes académiques, des Mérites maritime et agricole et des Arts et lettres.

J. C.

➙ Décoration.