Melville (Herman) (suite)
À trente-sept ans, las, usé par l’effort et la maladie, presque semblable à un vieillard, il part pour un long pèlerinage en Terre sainte, au Moyen-Orient et en Europe. Mais, à Constantinople comme à Jérusalem, au Caire et au bord de la mer Morte, son Journal reste une quête de l’horreur : « Erré parmi les tombes jusqu’à ce que je finisse par me croire possédé du démon. [...]. Je frémis en pensant aux anciens Égyptiens. C’est dans ces Pyramides que fut conçue l’idée de Jéhovah. » En Grèce, en Italie, c’est la même lancinante mélancolie qui collectionne les souvenirs de caveaux et de musées. Rentré en Amérique quand éclate la guerre de Sécession, il écrit des poèmes de guerre, qu’il publie à compte d’auteur, en 1 200 exemplaires : Battle-Pieces (1866). La même année, il doit accepter pour vivre de devenir comme Hawthorne agent des douanes, après avoir vendu sa ferme. Vingt ans plus tard seulement, un héritage lui permettra de démissionner. Oublié, pauvre, il écrit surtout des vers. En 1870, il entreprend Clarel, poème en 20 000 vers, l’un des plus ambitieux conçus en Amérique. Le sujet en est simple, vaguement autobiographique : Clarel, jeune Américain, étudiant en théologie, fait un pèlerinage en Terre sainte. Il s’y éprend de Ruth. Quand le père de Ruth, riche fermier américain, est enlevé par des Arabes, Clarel arrive trop tard : Ruth est morte de douleur. L’essentiel, fourni par les discussions des pèlerins, forme l’autobiographie d’une âme chrétienne en quête de son salut. Publié à compte d’auteur en 1876, Clarel n’eut aucun succès.
Accablé de maladies, de problèmes familiaux (suicide de son fils, hostilité de ses enfants), Melville commence en 1888 Billy Budd. C’est l’histoire d’un gabier de misaine, injustement accusé par un maître d’armes d’avoir fomenté une mutinerie. Confronté en présence du capitaine à son accusateur, Billy le tue d’un coup de poing. Or Billy est un enfant trouvé, peut-être le fils du capitaine Vere. Mais le père doit condamner le fils, malgré lui, renouvelant le mystère du sacrifice d’Abraham. La mort de Billy Budd, pendu à la grand-vergue, prend des allures de crucifixion, quand le fils condamné crie : « Dieu bénisse le capitaine Vere ! » Au moment de mourir, en la personne de Billy Budd, Melville semble avoir accepté le mystère de l’injustice, de l’horreur, de la mort, de l’invisible. Le livre, publié en 1924, a une limpidité d’écriture unique chez Melville, et s’achève sur des vers prémonitoires :
Ils me serreront dans un hamac et m’enverront au fond. Tant de brasses, tant de brasses, quels rêves, quel sommeil !
Herman Melville mourut le 28 septembre 1891 dans l’indifférence générale. Redécouvert après 1920, les subtilités et les symboles d’une œuvre hantée par une angoisse qui est au cœur de notre temps lui attirent de plus en plus de lecteurs.
J. C.
J. Simon, Herman Melville, marin, métaphysicien et poète (Boivin, 1939). / N. Arvin, Herman Melville, a Critical Biography (New York, 1957). / J.-J. Mayoux, Melville par lui-même (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1958). / R. Chase (sous la dir. de), Melville, a Collection of Critical Essays (Englewood Cliffs, N. J., 1962). / L. Mumford, Herman Melville, a Study of his Life and Vision (New York, 1962). / Melville, numéro spécial de l’Arc (Aix-en-Provence, 1970).