Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Meillet (Antoine) (suite)

Dans le domaine de la phonétique, il suit attentivement les travaux expérimentaux conduits par Jean-Pierre Rousselot sur la description précise des mouvements articulatoires ; il en donne des comptes rendus dans le Bulletin de la Société de linguistique ; mais surtout il est un des premiers à avoir compris l’importance des recherches de son ami Maurice Grammont en phonétique générale, qui visent à définir la notion de « tendance » dans l’évolution d’un système linguistique.

G. P.-C.

Meknès

En ar. Miknās, v. du Maroc.


Meknès, cinquième ville du pays par son chiffre de population (248 000 hab.), est une capitale impériale (cité makhzen), la plus petite des quatre du pays, derrière Rabat*, Marrakech* et Fès*. Cette situation traduit le relatif effacement actuel de Meknès parmi les grandes villes marocaines, du fait à la fois de son caractère de « capitale rurale » et de la concurrence de sa prestigieuse voisine, Fès.

La grande plaine du Saïs, favorisée par la qualité de ses terroirs et par sa position centrale dans la moitié nord, la plus vivante, du Maroc, se caractérise en effet par l’existence, à sa tête, d’un binôme urbain autour duquel s’est organisée l’économie régionale. Mais, à côté de Fès, vieille capitale religieuse et intellectuelle raffinée, Meknès fait figure de parvenue, épanouie tardivement et restée marquée par ses origines terriennes et par des éclipses de sa fonction militaire. Si les Almoravides créèrent au xie s., à l’emplacement de la ville actuelle, une bourgade, marché local et petite place forte, c’est seulement au xiiie s. qu’une fraction de la tribu zenāta des Miknāsa (Meknassas) fonda Miknāsat al-Zaitūn, « Meknès aux oliviers », véritable ancêtre de la cité. Les Marīnides lui accordèrent alors un certain intérêt. Mais c’est au sultan Mūlāy Ismā‘īl (1672-1727), qui la choisit pour capitale, que Meknès est redevable de l’essentiel de son prestige. Le sultan ‘alawīte en fit « une sorte de Versailles rustique et militaire » (R. Raynal), tandis qu’aux alentours campait la garde noire des ‘Abīd al-Bukhārī (Bouakhers). Cependant, délaissée ensuite au profit des autres cités impériales, Meknès ne comptait que 30 000 habitants au début du xxe s.

Le protectorat devait ranimer la ville en développant les deux activités anciennes : Meknès devint la deuxième garnison de l’Empire français (après Metz) et le centre d’un des secteurs de colonisation les plus étendus du Maroc, où prospérèrent céréales et vignobles. En 1956, la ville comptait 160 000 musulmans, 15 000 israélites, 25 000 Européens. Le retour à l’indépendance devait frapper durement la ville dans son double rôle de centre militaire et rural.

Le secteur industriel ne peut guère apporter une activité de relais. Vers 1965, seulement 2 200 personnes étaient employées dans l’industrie. À côté des usines alimentaires (huileries, minoteries, conserveries) tirant leurs matières premières des campagnes avoisinantes existent des ateliers mécaniques et une importante cimenterie.

La coupure de la vallée de l’oued Boufekrane accentue l’opposition entre « ville ancienne » et « ville nouvelle », chacune étant elle-même dédoublée. L’entassement dans la médina (dont le plus bel ornement est la majestueuse porte Bāb al-Manṣūr) a conduit à développer de nouveaux quartiers (Borj Aomar), eux-mêmes vite surpeuplés. Dans la ville impériale, au contraire, l’impression d’immensité domine, avec les vastes palais et les casernes, les 40 km de bastions et de murailles, les portes imposantes et les bassins inertes. Sur la rive droite, la ville nouvelle, séparée par la voie ferrée du quartier industriel, s’étale vers le sud et vers l’est en quartiers résidentiels et en cités d’allures diverses.

Le souci, proclamé, de faire de Fès la grande capitale du Nord marocain semble devoir maintenir Meknès dans l’état de « brillant second ».

J. L. C.

Melanchthon (Philipp)

Compagnon et principal collaborateur de Luther (Bretten, Bade, 1497 - Wittenberg 1560).


Philipp Schwartzerd, fils d’un armurier, est, par sa mère, le petit neveu de l’humaniste Reuchlin*. Formé à l’école du grammairien Georg Simler, de Pforzheim, il ne tarde pas à devenir un hébraïsant hors pair, ce qui amène son grand-oncle, ravi, à l’« anoblir » en lui faisant adopter pour toujours une traduction grecque de son nom allemand. Ainsi, le jeune Schwartzerd (« Terrenoire ») entrera dans l’histoire sous le nom de Melanchthon.

Après avoir fréquenté les universités de Heidelberg et de Tübingen, il obtient en 1514 le grade de maître ès arts, s’oriente vers l’enseignement des langues classiques, mais, passionné d’idées nouvelles, il accepte de quitter la très conformiste Tübingen pour occuper un poste de professeur de grec à Wittenberg, où l’Électeur de Saxe Frédéric III le Sage l’appelle sur la recommandation de Reuchlin. Arrivé le 25 août 1518, le jeune professeur prononce quatre jours après une leçon inaugurale dans laquelle il expose ses principes scientifiques : les langues anciennes sont indispensables aux théologiens, qui, à tout moment, doivent pouvoir revenir aux textes originaux.

Luther, émerveillé par l’érudition, la clarté et l’audace de son nouveau collègue, se met à son école et, en contrepartie, le gagne à la théologie. Melanchthon en conçoit une aversion si profonde pour la philosophie régnante qu’il n’a plus désormais d’ennemis plus détestés qu’Aristote et ses disciples. Dès lors, il épouse la cause de la Réforme, et on peut dire que, sans lui, celle-ci n’eût pas connu le succès qu’elle remporta : « C’est moi qui dois défricher la forêt, extirper les souches, arracher les ronces, combler les marécages, dira Luther, tandis que maître Philipp procède avec calme et douceur, il sème, il plante, il arrose suivant les dons que Dieu lui a si richement départis. »

Rien ne marque mieux la complémentarité exceptionnelle, certains diront « providentielle » entre les deux hommes et si, à plus d’une reprise, leurs tempéraments et charismes les opposent l’un à l’autre, ils se retrouvent finalement toujours profondément unis par une amitié exemplaire et proverbiale. Ainsi, en 1539, Melanchthon, écrasé de travail et d’angoisse quant à la décision qu’il a partagée dans la très délicate affaire du mariage de Philippe de Hesse, tombe si gravement malade qu’on peut le croire près de sa dernière heure. Luther passe toute une nuit en prière à son chevet, et, au petit matin, le malade étant hors de danger, il sort de la chambre épuisé et triomphant : « Il a bien fallu que le Seigneur Dieu m’écoutât. Je lui ai jeté le sac devant sa porte ; je lui ai frotté les oreilles avec toutes ses promesses d’exaucement. Je lui ai dit qu’il fallait qu’il m’écoutât pour que j’y crusse encore ! » Il n’est pas toujours vrai que nul n’est indispensable !...