Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

marxisme (suite)

En effet, tout autant que celle des révolutions politiques, notre époque est aussi celle d’une prodigieuse appropriation du monde social par les hommes. Après s’être exclusivement consacrée pendant des siècles à la spéculation (la philosophie), la pensée se tourne aujourd’hui vers une étude systématique de la réalité concrète des hommes : l’ensemble des sciences humaines. De même que Freud, avec la psychanalyse, a ouvert à la connaissance un domaine jusqu’alors inconnu, l’univers de la vie psychologique par la découverte de l’inconscient, de même Marx a ouvert le domaine des productions sociales dans leur ensemble, par la découverte scientifique des lois qui les régissent. Dire de toute production sociale (telle que formation politique, organisation sociale, mœurs, institutions, idées, etc.) qu’elle est fonction d’un rapport entre forces productives et rapports de production, et donner la loi de ce rapport par l’étude du fonctionnement de la production capitaliste équivaut à rendre intelligible l’activité des hommes en général, de même que la théorie psychanalytique rend intelligible l’ensemble de la vie psychologique de l’individu. Et une telle possibilité de connaissance, dans l’un comme dans l’autre cas, représente un pouvoir de domination des phénomènes, c’est-à-dire un instrument de transformation de la réalité. De nombreux penseurs modernes reconnaissent dans le marxisme et dans la psychanalyse d’abord des théories établissant, dans leurs objets, un déterminisme rigoureux, ensuite les moyens mêmes de la libération de l’homme. Il y a peu de doute que ce soit dans une telle perspective qu’un philosophe comme Herbert Marcuse unit dans sa réflexion ces deux inspirations. Dans une autre optique (comme théoricien marxiste et non comme critique du capitalisme avancé), c’est dans le sens d’un Marx analyste que Louis Althusser a apporté une riche contribution au renouveau contemporain des études marxistes, en présentant avec rigueur la pensée de Marx comme la théorie scientifique donnant ses fondements à la science sociale en général, ce qu’il appelle l’ouverture du Continent-histoire.

F. M. et J. M.


Quelques biographies complémentaires


Louis Althusser,

philosophe français (Birmandreis, près d’Alger, 1918). Membre du parti communiste à la Libération, agrégé de philosophie (1948), il enseigne à l’École normale supérieure. Rattachant les œuvres de jeunesse de Marx à Hegel, il leur oppose les textes postérieurs à 1848. Selon lui, la dialectique de Marx n’est pas celle de Hegel renversée : aussi la philosophie marxiste-léniniste n’est-elle qu’une modalité particulière de la lutte des classes, qui dissocie l’idéologique du scientifique. Althusser a écrit notamment (seul ou en collaboration) : Pour Marx (1965), Lire le Capital (1965), Réponse à John Lewis (1973), Éléments d’autocritique (1974), Positions (1976).


Otto Bauer,

homme politique et théoricien politique autrichien (Vienne 1882 - Paris 1938). Social-démocrate, il collabore à l’Arbeiter-Zeitung et devient secrétaire d’État aux Affaires étrangères (nov. 1918 - juill. 1919). Il se retire quand il est clair que l’essentiel de la politique qu’il préconise n’a aucune chance d’aboutir. Il se réfugie en Tchécoslovaquie et en France après 1934. Il est le promoteur de la notion d’« austro-marxisme ». Il a écrit notamment : Die Nationalitätenfrage und die Sozialdemokratie (1907), Der Weg zum Sozialismus (1921), Die österreichische Revolution (1923), Sozialdemokratische Agrarpolitik (1926) et Der Aufstand der österreichischen Arbeiter (1934).


Eduard Bernstein.

V. l’article.


Friedrich Engels.

V. l’article.


Antonio Gramsci.

V. l’article.


Rudolf Hilferding,

théoricien et homme politique allemand d’origine autrichienne (Vienne 1877 - Paris 1941). Il dirige le journal social-démocrate Vorwärts à Berlin de 1907 à 1915. Il s’oppose aux attributions de crédits destinés à la guerre, se fait le champion d’une propagande pacifiste et se rattache au parti social-démocrate indépendant d’Allemagne, dont il dirige le quotidien Freiheit (1918-1922). Il préconise la réunification du parti social-démocrate et devient ministre des Finances en 1923 et de 1928 à 1929. Théoricien de l’« austro-marxisme », il a écrit notamment Böhm-Bawerks Marx-Kritik (1904), Das Finanz-kapital (1910) et Die Sozialisierung und die Machtverhältnisse der Klassen (1920).


Karl Kautsky,

révolutionnaire allemand (Prague 1854 - Amsterdam 1938). Membre du parti social-démocrate autrichien (1875), il dirige avec Bernstein, à Zurich, le Sozialdemokrat (1880-81), va à Londres, où il est secrétaire d’Engels, puis fonde à Stuttgart le Temps nouveau (Die Neue Zeit), revue officielle du parti (1883-1917). Expulsé, il retourne à Londres (1885-1888). Au congrès d’Erfurt (1891), il combat Bernstein et fait triompher le marxisme intégral. Au congrès de Paris (1900), il fait condamner la participation socialiste aux ministères bourgeois. Il fonde le parti social-démocrate indépendant (1917), puis, après la révolution allemande de novembre 1918, il est sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères et publie Comment éclata la guerre mondiale (1919), recueil de documents établissant la responsabilité de l’Allemagne impériale. En 1934, il se réfugie en Tchécoslovaquie, mais, venu travailler à Vienne, il y est arrêté par les Allemands lors de l’Anschluss (mars 1938). Revenu en Bohême, il s’enfuit à Amsterdam après l’annexion des Sudètes. On lui doit plusieurs ouvrages polémiques et théoriques, en particulier Der Weg zur Macht (le Chemin du pouvoir, 1909) et Materialistische Geschichtsauffassung (1927), ainsi que l’édition de la dernière partie du Capital de Karl Marx (1905-1910).


Karl Korsch,

théoricien marxiste allemand (Tostedt, Basse-Saxe, 1886 - Cambridge, Massachusetts, 1961). Après des études de droit, il entre au parti social-démocrate indépendant (1919), puis au parti communiste après la scission du congrès de Halle (1920). Il est nommé professeur de droit à l’université d’Iéna (1923) ; il est ministre communiste de la Justice pendant quelques semaines en Thuringe (il est député à la diète de ce Land) ; il publie son ouvrage principal, Marxismus und Philosophie, en 1923 (trad. fr. Marxisme et philosophie en 1944). Député au Reichstag de 1924 à 1928, il vote contre le traité germano-russe de 1926. Il est exclu du parti communiste la même année. Après quelques tentatives pour regrouper les exclus du parti autour de la revue Kommunistische Politik ou pour entrer en contact avec les oppositionnels démocrates de l’U. R. S. S., qui disparaîtront très vite sous les coups de Staline, il n’a plus aucun contact avec aucune organisation. Il quitte l’Allemagne en 1933, passe en Grande-Bretagne, puis au Danemark, où il fréquente B. Brecht*, avec lequel il entretiendra une amitié qui durera jusqu’à la mort. Il part pour les États-Unis en 1936 et publie son Karl Marx en anglais (trad. fr. en 1938). Il s’intéresse à la philosophie des sciences et collabore avec Kurt Lewin*, tout en continuant à publier des articles sur le marxisme dans le monde actuel.


Antonio Labriola,