Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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marxisme (suite)

D’autre part, la prise du pouvoir par Fidel Castro* à Cuba en 1959 soulève l’espoir de voir se réaliser une révolution d’un type nouveau, en dehors de schémas historiques connus, et qui affirme une volonté de réaliser très rapidement les objectifs démocratiques révolutionnaires : l’abolition des rapports marchands dans la société, mais surtout la remise à l’honneur d’une voie d’accès au pouvoir, que la théorie officielle semblait avoir rejetée : la lutte armée, la guerre populaire de libération. À cet égard, la révolution cubaine a nourri jusqu’à un véritable mythe, incarné dans la figure de « Che » Guevara*. Mais la voie cubaine est aujourd’hui une tentative isolée et vouée, du fait de sa dépendance économique, à l’imitation du modèle soviétique.


Le maoïsme

Aussi, c’est sans doute en Chine, avec l’affirmation d’une pensée originale, le maoïsme, que se pose dans les faits la question de l’unité des mouvements marxistes. En effet, si, après la prise du pouvoir (1949) et jusqu’en 1958, les communistes chinois paraissent s’être fidèlement alignés sur les positions soviétiques, le lancement du « grand bond en avant » en 1958 amorce le processus de la scission ouverte au sein du communisme mondial (1963) et aussi, sur le fond, pose la question idéologique au sein du marxisme. Le « grand bond » avait été précédé d’un texte de Mao Zedong (Mao* Tsö-Tong), De la juste solution des contradictions au sein du peuple (1957), qui opère une distinction entre deux types de contradictions : celles qui opposent le peuple à ses ennemis (contradictions antagonistes) et celles qui opposent des éléments du peuple à d’autres, dont la nature n’est pas antagoniste. Mais résoudre les contradictions au sein du peuple est nécessaire pour mener à bien la lutte contre l’ennemi ; cette lutte peut unir le peuple et résoudre ses contradictions : c’est dire que l’édification du socialisme n’est possible que dans un processus de révolution ininterrompue, dans lequel la socialisation des rapports de production et la socialisation des forces productives (collectivisation) jouent un rôle simultané et dialectique. S’opposant aux théories « économistes » en vigueur dans l’orthodoxie du mouvement communiste, les dirigeants chinois affirment la priorité du politique dans la période (1958-1973) englobant la révolution culturelle ; d’où l’accusation de « volontarisme », d’« aventurisme » qui leur est portée. Eux-mêmes voient dans la ligne soviétique une forme nouvelle du « révisionnisme ».

Ce « révisionnisme » des partis communistes européens leur paraît s’être précisément constitué dans l’apparition, à la faveur du développement du phénomène bureaucratique, d’une nouvelle bourgeoisie en Union soviétique ; l’explication du stalinisme par le culte de la personnalité devient pour eux un signe certain de l’abandon des positions prolétariennes. Car la « déstalinisation » se présente aussi comme le rejet de la dictature du prolétariat, l’État devenant l’État du peuple tout entier. Or, c’est une thèse essentielle du marxisme-léninisme que l’État ne saurait être qu’au service de la classe dominante et l’instrument de la classe dominante, soit pour opprimer et exploiter le peuple (c’est l’État bourgeois), soit pour réprimer les ennemis du peuple (c’est la dictature du prolétariat). Parler, pour les Chinois, de l’État du peuple tout entier est une contradiction dans les termes qui reflète une contradiction dans les faits ; aussi, les dirigeants maoïstes mettent l’accent sur la permanence de la lutte pour le pouvoir au sein même de la société socialiste. C’est le sens qu’on peut donner à la Révolution* culturelle, déclenchée en 1966 : faute d’une critique permanente par les masses, la bureaucratie ne peut que se renforcer. Elle ne saurait manquer de devenir une nouvelle caste sociale privilégiée, oppressive et exploiteuse. Pour les maoïstes, le processus a déjà eu lieu en U. R. S. S. : en effet, pendant une longue période après la prise du pouvoir par le prolétariat, les idées dominantes, les mœurs, les arts, c’est-à-dire l’ensemble de la vie intellectuelle ou la sphère de l’idéologie, restent dominés par la forme que leur a antérieurement donnée la classe au pouvoir ; d’où la nécessité de lutter contre cette domination de l’idéologie bourgeoise au sein de la société socialiste. Pour cela, il faut « révolutionner » sans cesse les rapports entre dirigeants et dirigés, par exemple dans l’enseignement, entre enseignants et enseignés, et, d’une façon plus générale, abolir la division entre travail intellectuel et travail manuel. C’est le sens de mots d’ordre tels qu’« unité de la théorie et de la pratique », « liaison avec le travail productif » et « idéologie prolétarienne domine en tout ». Plus que de « culture », il s’agit bien de créer un homme nouveau.

La « pensée-Mao-Tsö-tong » est-elle le troisième stade du marxisme-léninisme ? Après Marx, théoricien du capitalisme industriel, Lénine, théoricien de l’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Mao est-il, comme le disent les Chinois, le théoricien de l’époque « où l’impérialisme va à son déclin et où le socialisme va à la victoire finale » ? Certains auteurs ne veulent voir dans le socialisme chinois qu’un « marxisme sinisé » et parlent d’un retour aux sources chinoises classiques. Pour les différentes tendances trotskistes, le régime chinois reste celui d’une bureaucratie stalinienne : les Chinois se refusent à participer au processus de rejet universel de Staline, du moins sous sa forme soviétique actuelle.


Le marxisme dans la pensée moderne

Le développement du marxisme peut être suivi sur un autre plan, celui d’une élaboration théorique et spéculative dans les pays capitalistes avancés. Le phénomène de « mort des idéologies » et le doute apparent dont ont été pris bon nombre d’intellectuels communistes, après le retentissement du stalinisme, phénomène renforcé par l’éclatement de l’ancien monolithisme, n’ont été, en effet, que le moment préparatoire à une floraison théorique. Cessant d’être un dogme, les théories de Marx n’en suscitent que plus d’intérêt, et l’on découvre que sa pensée doit être étudiée comme un système permettant de repenser le monde, à défaut de le transformer tout de suite. Redécouvert comme pensée révolutionnaire, le marxisme révolutionne aussi la pensée.