Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Maroc (suite)

L’histoire du Maroc contemporain


La pénétration européenne au Maroc

Situé entre la péninsule Ibérique et le Sahara, le Maroc constitue une zone de passage entre la Méditerranée et l’Atlantique par le détroit de Gibraltar et une porte d’entrée pour l’Afrique noire. Cette position privilégiée lui donne une importance stratégique, économique et politique particulière. Aussi le pays est-il convoité, dans la seconde moitié du xixe s. et au début du xxe s., par les grandes puissances européennes, qui lui imposent des traités inégaux limitant sa souveraineté.

Ces puissances européennes, et plus particulièrement la France, la Grande-Bretagne et plus tard l’Allemagne, s’intéressent au Maroc d’abord pour des raisons économiques. Chacune d’entre elles veut faire de ce pays un débouché pour ses produits fabriqués, un champ d’investissements pour ses capitaux, une réserve de matières premières et de denrées alimentaires pour son industrie et sa population. Au surplus, depuis la prise d’Alger en 1830 et surtout l’occupation de la Tunisie en 1881, la France vise la domination de tout le Maghreb pour développer ses intérêts dans la région et éviter le voisinage d’une autre puissance en Afrique du Nord. Commandant la rive européenne du détroit de Gibraltar, la Grande-Bretagne souhaite s’assurer le contrôle de la rive africaine pour garantir la sécurité de son commerce et de sa navigation. Son intérêt pour le détroit, et partant pour le Maroc, s’est encore accru avec l’ouverture du canal de Suez en 1869, puisque désormais la route des Indes passe par Gibraltar. Quant à l’Espagne, puissance il est vrai plus en retrait, elle considère que le voisinage et la possession des présides comme Ceuta et Melilla lui confèrent des droits particuliers sur l’Empire chérifien.

Pour réaliser leurs desseins, les puissances européennes imposent des conventions au sultan du Maroc.

Au mois de décembre 1856, le sultan régnant étant alors Mūlāy ‘Abd al-Raḥmān (de 1822 à 1859), un traité anglo-marocain ouvre le pays aux produits britanniques, sur lesquels le gouvernement ne peut pas prélever à l’importation plus de 10 p. 100 ad valorem. En plus de la liberté commerciale, cette convention exempte les ressortissants britanniques de tous impôts autres que les droits de douanes, et leur confère le droit de propriété et de nouvelles garanties judiciaires. Désormais, ces derniers relèvent de leur juridiction consulaire non seulement pour les différends qui peuvent surgir entre eux, mais également en cas de conflits avec des sujets du sultan.

Suivant l’exemple de la Grande-Bretagne, l’Espagne et la France imposent à leur tour au sultan des conventions qui leur assurent, outre les privilèges accordés aux Anglais, de nouveaux avantages. Il en est ainsi des traités dictés par l’Espagne en 1860 à la suite d’un conflit qui aboutit à la défaite de l’armée marocaine et à la prise de Tétouan (6 févr. 1860). Profitant de sa victoire, l’Espagne obtient, en plus de la liberté de commerce, des exemptions fiscales et du droit de propriété pour ses ressortissants, des concessions territoriales, une lourde indemnité de guerre et l’occupation de Tétouan jusqu’au versement de cette indemnité (1862).

Le 27 août 1863, la France fait signer au sultan Muḥammad IV ibn ‘Abd al-Raḥmān (de 1859 à 1873) un traité qui reconnaît les privilèges économiques, fiscaux et judiciaires non seulement à ses ressortissants, mais aussi à ses protégés. Désormais, en vertu de cette convention, transformée deux jours plus tard en un accord international, les Marocains protégés des grandes puissances, tels les employés des consulats, les agents consulaires dans les villes de l’intérieur, les courtiers des maisons de commerce et les associés agricoles des Européens, sont dispensés des impôts et soustraits aux lois de leur propre pays.

Ces traités inégaux portent une grave atteinte à la souveraineté et à l’économie du Maroc. Le sultan perd le contrôle de la législation douanière, ses droits de justice à l’égard des Européens, et une partie de ses sujets échappe, en vertu du statut de protection, à son autorité. Sur le plan économique, l’essentiel du commerce maritime est contrôlé par les étrangers, et l’artisanat est ruiné par la concurrence des produits européens, qui inondent le marché national et qui sont au besoin adaptés au goût de la population. Une pareille situation ne peut que favoriser le développement de l’influence européenne au Maroc. Dans la seconde moitié du xixe s. et au début du xxe, les grandes puissances consolident leur position dans l’Empire chérifien. Elles travaillent au développement de leurs maisons de commerce, à l’acquisition de propriétés par leurs nationaux et à l’accroissement de leur colonie. Le Maroc ne doit de conserver son indépendance jusqu’en 1912 qu’à cette compétition très serrée des grandes puissances pour sa domination.


Mūlāy Ḥasan et l’Europe

Dès son avènement, Ḥasan Ier (Mūlāy Ḥasan [de 1873 à 1894]) essaie de jouer sur ces contradictions entre les intérêts des grandes puissances pour recouvrer sa souveraineté sur l’ensemble de ses sujets. Pour cela, il demande la suppression de la protection qui profite essentiellement à la France et à l’Espagne et dont la pratique donne lieu à d’innombrables abus. Ses démarches aboutissent à la réunion de la conférence de Madrid, du 19 mai au 3 juillet 1880, avec la participation de toutes les puissances ayant un représentant au Maroc. Mais, loin d’abolir la protection ou même de l’atténuer, la conférence l’affirme en étendant son exercice à toutes les puissances. Elle reconnaît par la même occasion à tous les Européens le droit d’acquérir des propriétés au Maroc, élargissant ainsi le champ d’intervention européenne dans l’Empire chérifien.

Malgré cet échec, Ḥasan Ier — dont le règne coïncide avec une phase de dépression économique en Europe et partant avec un besoin accru des grandes puissances de rechercher des débouchés pour leur excédent de produits fabriqués et des champs d’investissements pour leur surplus de capitaux — continue à exploiter les contradictions des pays européens et plus particulièrement les rivalités franco-anglaises pour sauvegarder l’indépendance de son empire. Au demeurant assez énergique, ce souverain ‘alawīte maintient le pays dans un ordre relatif, lui évitant ainsi des situations anarchiques et par conséquent des prétextes d’intervention des puissances européennes.