Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Maroc (suite)

À sa mort, en 1894, le Maroc est certes affaibli par les intrigues étrangères, mais le prestige de la dynastie n’est pas encore terni. Le chambellan de Ḥasan Ier Aḥmad ibn Mūsā, dit Bā Aḥmad, esclave d’origine, lui succède à la tête du pays en attendant la majorité de Mūlāy ‘Abd al-‘Azīz (1878 ou 1881-1943). Bā Aḥmad ne manque pas de profiter du pouvoir pour s’enrichir avec sa famille. Il continue, néanmoins, la tradition de Ḥasan Ier et laisse à sa mort, en 1900, un pays relativement calme et un trésor public bien garni.


Le règne de ‘Abd al-‘Azīz (1900-1908)

Très vite, la situation est compromise par le sultan ‘Abd al-‘Azīz, qui monte sur le trône à l’âge de vingt ans. Très peu doué pour le pouvoir, faible de caractère, négligent et timide, le jeune souverain ne tarde pas à tomber sous la coupe de son entourage.

Son désir de faire des réformes se transforme en un engouement puéril pour toutes les nouveautés de l’Europe. Le palais devient un véritable bazar abritant des objets de toutes sortes, jouets mécaniques, billards, phonographes, appareils photographiques achetés à prix d’or pour satisfaire les caprices du sultan.

Ces fantaisies de ‘Abd al-‘Azīz, outre leur caractère peu orthodoxe, grèvent le trésor public. Pour trouver de l’argent, le sultan procède en 1901 à une réforme fiscale. Les anciens impôts tels que le ‘āchūr et la zakāt, prélevés respectivement sur les céréales et les troupeaux, sont remplacés par une nouvelle contribution, le tartīb, qui pèse sur tous les revenus de l’agriculture et de l’élevage. Cette réforme établit une meilleure répartition de l’impôt, mais elle va à l’encontre de beaucoup d’intérêts et soulève des mécontentements. Les notables, les dignitaires religieux et tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, pouvaient échapper à l’impôt, la présentent comme contraire au Coran. Mūlāy ‘Abd al-‘Azīz est par la même occasion dénoncé comme impie et vendu aux chrétiens.

Cette situation favorise l’agitation et est exploitée par un marabout, Djilālī ibn Idrīs, connu sous le nom de Bū-Ḥamāra (l’« homme à l’ânesse »), qui, prêchant contre le tartīb, parvient à soulever une bonne partie de la population contre le sultan. Le climat est alors à l’anarchie, et les tribus refusent de payer le nouvel impôt. L’autorité du gouvernement est considérablement réduite. Le Maroc devient alors plus vulnérable, et les grandes puissances en profitent pour aggraver leurs interventions dans ce pays.

Du reste, les difficultés financières de l’Empire chérifien favorisent la pénétration étrangère. Devant le refus de la population de payer le nouvel impôt, le sultan recourt à l’emprunt. En 1903, il contracte un emprunt de 22 500 000 francs à 6 p. 100 d’intérêt auprès des banques françaises, anglaises et espagnoles. L’année suivante, un nouvel emprunt de 62 500 000 francs portant intérêt à 5 p. 100 est engagé auprès d’un consortium de banques françaises dirigé par la Banque de Paris et des Pays-Bas. En contrepartie, Mūlāy ‘Abd al-‘Azīz s’engage à s’adresser exclusivement au consortium français pour de nouveaux emprunts et à lui confier la création d’une banque d’État. Bien plus, il affecte au service de sa dette 60 p. 100 des droits de douanes maritimes, qu’il confie au contrôle de fonctionnaires français.


L’intervention française au Maroc

Dans cette pénétration financière, la France a, par rapport aux autres puissances européennes, la part du lion. Le gouvernement français vise alors, sous la pression des hommes d’affaires, des milieux français d’Algérie et du parti colonial, la domination politique de l’Empire chérifien. Son ministre des Affaires étrangères Delcassé* manifeste ces préoccupations en mettant en garde les puissances européennes contre une intervention dans un pays limitrophe de l’Algérie française.

En même temps, la France exploite les incidents qui se multiplient sur les frontières algéro-marocaines pour justifier ses pressions sur le sultan. Incapable d’assurer l’ordre dans le pays, celui-ci se soumet en 1901 aux exigences de la France et lui confie la responsabilité de la « pacification » des confins algéro-marocains. Cette politique permet l’établissement de la prépondérance française qui conduira vers le protectorat. Mais, pour atteindre cet objectif, la France doit compter avec les autres puissances européennes. Elle entreprend une politique de troc afin d’obtenir leur désistement en sa faveur moyennant quelques concessions.

En décembre 1900, l’Italie reconnaît la prépondérance française au Maroc en échange de la reconnaissance de la Tripolitaine comme zone d’influence italienne. Le 8 avril 1904, un autre accord, l’Entente cordiale, est conclu avec l’Angleterre : la Grande-Bretagne laisse les mains libres à la France au Maroc. En contrepartie, celle-ci s’engage à ne plus entraver son action en Égypte. Cette convention reconnaît en outre à l’Espagne une zone d’influence au Maroc et prévoit pour Tanger le statut d’une ville internationale. Le 3 octobre 1904, un accord franco-espagnol réserve à l’Espagne la portion du territoire marocain la plus proche du détroit de Gibraltar, que l’Angleterre veut protéger contre le voisinage des grandes puissances.

Fort de l’appui de certaines puissances, et notamment de celui de la Grande-Bretagne, le gouvernement français engage le processus qui mènera le Maroc au protectorat. Delcassé envoie à Fès une mission diplomatique pour imposer au sultan un plan de réformes concernant l’organisation de forces de police dans les ports, la création d’une banque d’État par le consortium des banques françaises et l’exécution de travaux publics sous un contrôle français.


L’affaire marocaine et les rivalités franco-allemandes

Il faut néanmoins compter avec l’Allemagne, que la France semble jusque-là ignorer. Or, cette puissance porte un intérêt de plus en plus grand au Maroc, où ses intérêts n’ont pas cessé d’augmenter depuis les années 1890, et elle ne tarde pas à manifester son opposition à l’action française. Le 31 mars 1905, l’empereur allemand Guillaume II interrompt une croisière en Méditerranée pour faire une escale à Tanger. Il déclare alors que l’Allemagne considère le Maroc comme un État indépendant et qu’elle ne tolère pas qu’une puissance y établisse sa domination.