Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Marivaux (Pierre Carlet de Chamblain de) (suite)

La Joie imprévue (7 juill. 1738, un acte, Théâtre-Italien) n’est qu’une petite pièce destinée à soutenir une reprise de la comédie précédente, dont les débuts avaient été difficiles. Les Sincères (13 janv. 1739, un acte, Théâtre-Italien) mettent en scène de « faux sincères », une femme qui, sous ce déguisement, veut médire impunément, un homme qui cherche à se faire par une sincérité outrée une réputation d’original. La pièce est très spirituelle, mais parut manquer d’action. L’Épreuve (19 nov. 1740, un acte, Théâtre-Italien) est la dernière pièce que Marivaux écrivit pour Silvia, qui, à quarante ans, y joua une ingénue avec une grande perfection. À la fois touchante et très amusante, elle est la comédie en un acte la plus jouée sur la scène française. Marivaux en écrivit plusieurs autres dans les années suivantes : la Commère (1741), destinée aux comédiens-italiens mais non représentée et découverte en 1965 ; la Dispute (19 oct. 1744, un acte, Théâtre-Français), une épure où l’auteur fait l’histoire de l’amour humain, de sa floraison délicieuse à son bref épanouissement, suivi de son déclin et de sa mort ; le Préjugé vaincu (6 août 1746, un acte, Théâtre-Français), où le préjugé de la naissance est vaincu dans l’âme d’une jeune fille orgueilleuse par les bons procédés de celui qui l’aime.

Les autres pièces de Marivaux ne furent pas représentées, sauf sur des scènes privées. Ce sont la Colonie, nouvelle version de la Nouvelle Colonie parue dans le Mercure de décembre 1750 ; la Femme fidèle, représentée le 24 août 1755 sur le théâtre de Berny, où Marivaux s’inspire pour une fois d’Homère ; Félicie, une « féerie mise en dialogue », publiée dans le Mercure de mars 1757 ; l’Amante frivole, reçue par la Comédie-Française le 5 mai 1757 et aujourd’hui perdue ; les Acteurs de bonne foi, publiés dans le Conservateur de novembre 1757, intéressant exemple de la formule « the play in the play » ; enfin la Provinciale, parue dans le Mercure d’avril 1761 et dont l’attribution à Marivaux est certaine, quelques doutes que l’on ait émis à ce sujet.


Les romans

Auteur dramatique d’une réputation indiscutée, Marivaux est aussi un romancier parmi les plus doués. Sa Vie de Marianne, dont les onze parties parurent en onze ans (1731-1741), constitue une nouveauté considérable dans l’histoire du roman français. Les célèbres « réflexions » entrelacées avec le récit donnent à ce genre une nouvelle dimension, suivant une technique qui évoque déjà celle de Proust. La Vie de Marianne a été rapprochée de Pamela, de Richardson. En fait, la ressemblance s’explique par une source commune, les Illustres Françaises, de Robert Challe. Mais la comparaison est surtout intéressante par les différences qu’elle fait apparaître. En bref, on peut dire que l’éthique de Marivaux n’est fondée ni sur la morale traditionnelle, ni sur le culte des passions, mais sur le respect de la personne humaine en tant que telle, respect de soi-même, respect exigé des autres à l’égard de soi. Une intéressante controverse entre deux critiques, G. Poulet et L. Spitzer, a précisé l’originalité de cette position. Les trois dernières parties du roman sont consacrées à l’histoire d’une religieuse amie de Marianne. Conformément au style propre à ce genre narratif, cette histoire est traitée sur un rythme plus vif, et les réflexions y ont à peu près disparu ; la trame fait apparaître des données nouvelles qui ne sont pas sans annoncer tel ou tel passage des romans ultérieurs, notamment des Liaisons dangereuses. Marivaux s’y révèle plus conteur que moraliste, quoique son histoire implique de sérieuses réflexions sur les différents états de la vie.

Par contraste avec la Vie de Marianne, qui se passe dans des milieux aristocratiques et constitue une glorification des talents féminins, sentiment et intuition, le Paysan parvenu (cinq parties, 1734-35) est le roman d’un jeune paysan dépourvu de scrupules excessifs, content de lui, inconstant en amour, mais doué des qualités de son état, bonne humeur, franchise, excellent appétit, sans compter les yeux vifs et le teint frais d’un « gros brunet ». Plus bref et plus dense que la Vie de Marianne, plus audacieux dans les scènes où Jacob est en tête à tête avec des femmes plus âgées que lui, la femme d’un financier, une cuisinière, une dévote, la femme d’un procureur, une femme du monde hypocrite et une autre qui étale sa « grosse gorge » et son goût des jeunes garçons, le Paysan parvenu est, aux yeux de beaucoup de critiques, le chef-d’œuvre romanesque de Marivaux.

Attaqué par ses contemporains, qui, comme l’abbé Desfontaines (1685-1745), l’accusaient de « néologie » parce qu’ils refusaient de reconnaître l’originalité de ses analyses psychologiques, envié par Voltaire, qui intrigua contre lui, exerçant ses talents dans des genres, comédie et roman, considérés comme « mineurs », Marivaux n’eut jamais de son temps une renommée à la mesure de son talent : il est caractéristique que ses correspondants ne conservèrent pas ses lettres. « Bon et honnête homme dans le fond », comme le décrit l’abbé Trublet (1697-1770) dans un portrait qu’il avait laissé inédit dans ses papiers, Marivaux est le seul homme de lettres dont J.-J. Rousseau, qui eut affaire à lui, ne dit jamais de mal. Il eut des amis dévoués, comme Houdar de La Motte, Fontenelle, Mme de Lambert, Mme de Tencin, Mme de Verteillac, Mme du Boccage, Helvétius et d’Alembert, mais il survécut à la plupart d’entre eux, comme à sa propre réputation, ce qui rendit sa vieillesse mélancolique. Très charitable lui-même, il fut alors aidé par une vieille amie, Mlle de Saint-Jean. Il mourut pauvre le 12 février 1763.

F. D.

➙ Comédie / Commedia dell’arte / Théâtre.

 G. Laroumet, Marivaux, sa vie et ses œuvres (Hachette, 1883). / G. Poulet, Études sur le temps humain, t. II : la Distance intérieure (Plon, 1952). / F. Deloffre, Une préciosité nouvelle. Marivaux et le marivaudage (Les Belles Lettres, 1955 ; 2e éd., A. Colin, 1971). / M.-J. Durry, À propos de Marivaux (S. E. D. E. S., 1960). / M. Matucci, L’Opera narrativa di Marivaux (Naples, 1962). / G. Bonaccorso, Gli Anni difficili di Marivaux (Messine, 1964). / E. J. H. Greene, Marivaux (Toronto, 1965). / L. Desvignes-Parent, Marivaux et l’Angleterre. Essai sur une création dramatique originale (Klincksieck, 1971). / M. Descotes, les Grands Rôles du théâtre de Marivaux (P. U. F., 1972). / H. Coulet et M. Gilot, Marivaux, un humanisme expérimental (Larousse, 1975). / H. Coulet, Marivaux romancier (A. Colin, 1975).