Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Marivaux (Pierre Carlet de Chamblain de) (suite)

La Seconde Surprise de l’amour (30 janv. 1727, trois actes, Théâtre-Français) inaugure un genre très difficile, la « variation sur un thème connu ». Il s’agit à la fois de combler l’attente du public et de la tromper en renouvelant l’intérêt. En fait, comme dans la pièce précédente, les deux partenaires ont apparemment de bonnes raisons de ne pas aimer : ils se laisseront pourtant « surprendre » par l’amour ; très éloignés de l’idée d’un mariage, ils s’épouseront. La différence est qu’ils ne sont plus séparés par l’hostilité des sexes ennemis ; ce sont seulement « un homme et une femme ». Ils ont même été comblés sentimentalement et restent attachés à l’idole de leur souvenir. Mais un nouveau piège les guette. Leur viduité sentimentale, qui se traduit par une mélancolie élégante, les rend réceptifs à un nouvel amour. Ils succomberont au charme insidieux de la sensibilité triste. Autre nouveauté, le personnage d’Hortensius, qui représente la raison livresque, opposée à la sagesse vitale des deux protagonistes. Par opposition à la légèreté du dialogue des précédents, la lourdeur de son langage a quelque chose d’obscène, preuve de l’importance décisive du ton dans ce théâtre où les mots sont tout.

Le Triomphe de Plutus (22 avr. 1728, un acte, Théâtre-Italien) est une pièce allégorique sans grande importance. En revanche, le Jeu de l’amour et du hasard (23 janv. 1730, trois actes, Théâtre-Italien) est reconnu comme le chef-d’œuvre de Marivaux. C’est, en tout cas, celle de ses pièces qui, après des débuts modestes, est, de loin, le plus jouée. Marivaux y traite avec gravité du problème du mariage, mais, en même temps, la verve — inspirée de l’ancien Théâtre-Italien — avec laquelle il traite le rôle de son Arlequin rend cette comédie la plus plaisante peut-être de son théâtre. Le procédé du double travestissement des deux couples maître-maîtresse et valet-suivante se rattache à une longue tradition théâtrale — elle remonte par exemple aux Grenouilles d’Aristophane et venait de trouver une forme très semblable à celle qu’on trouve chez Marivaux dans une pièce récente, les Amants déguisés (1728) de l’abbé Aunillon (1685-1760) —, mais Marivaux l’utilise avec une parfaite logique : désireux de connaître le caractère de ceux qu’ils doivent épouser, soucieux d’être aimés pour eux-mêmes, ses jeunes gens opposent un masque que trop de gens portent dans la vie. En tous les sens, on comprend le titre allemand de cette pièce, Maske für Maske (Masque pour masque).

La Réunion des amours (5 nov. 1731, un acte, Théâtre-Français) traite de l’union souhaitable entre l’Amour à l’antique et l’Eros moderne. Beaucoup plus original, le Triomphe de l’amour (12 mars 1732, trois actes, Théâtre-Italien) dépayse volontairement dans un cadre à l’antique des problèmes propres à la psyché du xviiie s. : l’équivoque sur les sexes, l’angélisme (« toutes les âmes sont de même âge »). Silvia, princesse spartiate travestie en homme, séduit un philosophe qui la sait une femme, la sœur de ce dernier qui la croit un homme et le pupille des précédents, qui passe insensiblement de l’amitié pour celle qu’il prend pour un homme à l’amour pour celle qui lui apprend son sexe. La pièce n’est qu’une suite de reflets de l’amour jouant sur lui — ou sur elle.

Les Serments indiscrets, la seule comédie en cinq actes de Marivaux (8 juin 1732, Théâtre-Français), reprend avec plus d’ampleur que précédemment le problème du mariage. La jeune fille craint d’y perdre tout ce qui la rend désirable, le jeune homme d’y abandonner sa liberté au profit d’une volonté plus forte que la sienne. Pièce « crispée », comme les personnages, les Serments indiscrets n’eurent que peu de succès.

Inspirée d’une petite comédie de Dancourt (1661-1725), la Parisienne, l’École des mères (25 juill. 1732, un acte, Théâtre-Italien) traite des rapports entre mère et fille avec une pertinence et une « naïveté » qui lui valurent beaucoup de succès. Plus développé, le même thème devait fournir un peu plus tard à Marivaux une autre réussite avec la Mère confidente (9 mai 1735, trois actes, Théâtre-Italien). En attendant, l’Heureux stratagème (6 juin 1733, trois actes, Théâtre-Italien) est un des classiques de Marivaux par la composition géométrique, la brillante étude de l’inconstance et l’éclat du dialogue. La Méprise (16 août 1734, un acte, Théâtre-Italien) joue sur le thème connu des Ménechmes. Assez froide, comme beaucoup de pièces « françaises », le Petit-Maître corrigé (6 nov. 1734, trois actes, Théâtre-Français) n’en est pas moins une pièce de mœurs fort intéressante. Le « petit-maître » n’est pas l’homme du monde infatué de lui-même, c’est le « dandy » du xixe s. Comme ce dernier, il a l’horreur du naturel, suprême inconvenance et marque de mauvais goût. Comme le criminel endurci, il n’avoue jamais, et n’avoue surtout pas qu’il aime. Trop efféminé, trop sensible, il a peur de l’amour, qui lui ferait perdre la fragile personnalité qu’il s’est artificiellement construite. Lorsque ce personnage se sera effondré, celui qui lui succédera poussera jusqu’aux limites du masochisme l’humiliation du néophyte devant le monde nouveau qui s’ouvrira devant lui.

Tiré d’une comédie de Fontenelle, le Legs (11 juin 1736, un acte, Théâtre-Français) est une pièce amusante, qui, dans la version abrégée que Marivaux en a lui-même procurée, a été très souvent jouée à la Comédie-Française. Le personnage du timide brusque, amoureux d’une femme qui le domine, n’est pas sans faire penser aux personnages de My Man Jeeves, de P. G. Wodehouse, et l’esprit de Marivaux prend ici des tons d’humour anglais.

Les Fausses Confidences (16 mars 1737, trois actes, Théâtre-Italien) rivalisent avec le Jeu de l’amour et du hasard pour le titre de chef-d’œuvre de Marivaux. Moins plaisantes que cette pièce, elles ont des accents d’une mélancolie douce inhabituels sur la scène comique. Le rôle de la veuve, Araminte, y est traité avec une délicatesse de touche et une sympathie admirables. Le personnage quasi méphistophélique du valet Dubois a beaucoup de relief. L’influence d’une histoire de Robert Challe, celle de Dupuis et de la veuve, dans les Illustres Françaises, a aidé Marivaux à donner à sa pièce un réalisme moral et social qui la distingue du reste de son théâtre.