Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Marīnides (suite)

Cette situation favorise le développement des forces centrifuges et l’éclatement de l’empire. Divers prétendants entrent en lutte contre le vizir et finissent par se partager le pays. On voit alors Marrakech se dresser contre Fès. La dynastie marīnide n’est pas éteinte pour autant. Elle trouve suffisamment de souffle pour neutraliser les ‘Abdalwādides et établir même à partir de 1389 sa suzeraineté sur les sultans de Tlemcen.

Mais le coup de grâce provient des chrétiens d’Espagne, qui débarquent en 1401 en Berbérie et détruisent la ville de Tétouan. Quatorze ans plus tard, en 1415, les Portugais s’emparent à leur tour de Ceuta. Incapables de conjurer la menace extérieure, les Marīnides voient leur autorité sur la population se réduire considérablement. La dynastie ne peut pas alors résister aux troubles et aux révolutions du palais, qui ne cessent de s’aggraver. En 1420, le sultan Abū Sa‘īd (1398-1420) est assassiné. Ses successeurs survivent sous la tutelle des Waṭṭāsides, et, en 1465, les Marīnides disparaissent définitivement de la scène politique, avec l’assassinat du sultan ‘Abd al-Ḥaqq (1420-1465).


La civilisation marīnide

Disparus deux siècles environ après leur avènement, les Marīnides laissent le souvenir d’une brillante civilisation. À leur époque, le Maroc connaît un grand essor intellectuel et artistique. Fès, promue au rang de capitale, est dotée d’édifices somptueux (palais, mosquées, medersas) qui témoignent d’une grande valeur artistique. Lieu de rencontre des négociants africains, andalous et chrétiens, cette ville est également un centre économique important. Elle est aussi un centre de rayonnement intellectuel. Les étudiants viennent de tous les pays de l’Occident musulman suivre les cours de son université d’al-Qarawiyyīn. Et les sultans marīnides attirent les plus fins lettrés du Maghreb et de l’Andalousie. Leur cour est fréquentée par des hommes comme ibn Khaldūn*, ibn al-Khatib et ibn Baṭṭūṭa*, qui comptent parmi les noms les plus prestigieux de la culture arabe.

M. A.

➙ ‘Abdalwādides / Almohades / Berbères / Fès / Ḥafṣides / Maroc.

Marino (Giambattista)

Poète italien (Naples 1569 - id. 1625).


Giambattista Marino est sans aucun doute le poète le plus doué, le plus fécond et le plus célèbre de son siècle. Pendant tout le xviie s., son œuvre est l’origine des principales polémiques sur le baroque en littérature, que la critique de l’époque identifie, précisément, au marinisme. Mais autant peut-être que par sa virtuosité poétique, ses contemporains sont frappés par l’exceptionnelle réussite de sa carrière sociale et par la fabuleuse richesse que lui vaut sa muse.

Le théâtre de prédilection de ses exploits littéraires est toujours la Cour. Chassé du toit paternel pour s’être dérobé aux études de droit auxquelles on le destinait, Marino tente d’abord l’aventure auprès du duc de Bovino et du marquis de Villa avant d’entrer, en 1596, en qualité de secrétaire, au service de Matteo di Capua, prince de Conca. Fuyant Naples, où le menace un procès pour adultère et avortement, il s’engage en 1602 auprès du cardinal Pietro Aldobrandini, neveu de Clément VIII, au service duquel il demeurera à Rome jusqu’en 1605 et qu’il suivra à Ravenne de 1605 à 1608. La publication, en 1602, de son premier recueil de Rime lui a valu une réputation avantageuse, qu’il met aussitôt à profit pour s’introduire dans les milieux artistiques et se constituer une première collection d’œuvres et d’objets d’art qu’il ne cessera d’enrichir toute sa vie. De 1608 à 1615, Marino vit à Turin à la cour de Charles-Emmanuel Ier, dont il aspire à devenir le secrétaire en supplantant le poète Gaspare Murtola (fin du xvie s. - 1624), qui, au terme d’un échange de libelles injurieux, le blesse d’un coup de pistolet. Il se venge en composant les « fischiate » de sa Murtoleide, mais finit par impatienter par son arrogance grandissante Charles-Emmanuel, qui lui inflige plus d’un an de prison. En 1615, Marie de Médicis l’appelle à la cour de Paris, où il connaît la fortune et la gloire. Et c’est à Paris, loin des foudres de l’Inquisition, que Marino publie (ou c’est de Paris qu’il fait publier en Italie) ses principales œuvres : en 1616, le troisième recueil poétique de La Lira (la Lyre) [le deuxième recueil, où sont insérées les Rime de 1602, date de 1608] ; en 1618, les sermons laïques, destinés à la lecture, les Dicerie sacre (sur « la peinture, la musique et le ciel ») ; en 1619 et en 1620, La Galeria, somptueux musée mi-imaginaire et mi-privé de Marino ; en 1620, les idylles de La Sampogna ; en 1623, son monumental chef-d’œuvre, l’Adone (l’Adonis), préfacé par Jean Chapelain. Il quitte Paris la même année et revient à Naples en 1624 après un séjour à Rome. Sa mort donne lieu à d’aussi grandioses qu’édifiantes funérailles. Au demeurant, dans la carrière du poète-aventurier, la stratégie épistolaire a peut-être autant d’importance que les chefs-d’œuvre, comme en témoigne éloquemment l’immense et pittoresque correspondance de Marino.

Marino lui-même a dit que « la fin du poète est la merveille » — autrement dit : d’émerveiller. Encore une fois, il s’agit peut-être moins ici d’un précepte purement poétique que stratégique, rhétorique. Marino est loin d’être le plus « surprenant » des poètes baroques, et nombre de marinistes l’emportent sur lui en bizarrerie thématique et en subtilité métaphorique. Il se propose plutôt de convaincre son public qu’il est le plus grand poète non seulement de son temps, mais de tous les temps, et ce par des moyens beaucoup plus quantitatifs ; à preuve l’insistance qu’il met à se vanter d’avoir écrit avec l’Adone un poème plus long que le Roland furieux et la Jérusalem délivrée réunis. D’où l’étendue de son registre stylistique, servi par une érudition des plus éclectiques, et l’infinie variété des genres dans lesquels il s’exerce contemporainement (cf. les différentes sections du troisième volume de La Lira, divisé en « Amours », « Éloges », « Larmes », « Dévotions » et « Caprices » ; syncrétisme tonal et formel porté à son comble dans la prodigieuse marquetterie mythologique de l’Adone). Aussi bien Marino se préoccupe-t-il moins de rien inventer que de fondre en une œuvre unique les plus grandes beautés de la poésie classique et contemporaine, moins de créer la beauté que de collectionner les beaux vers et les beaux objets, dont la beauté est elle-même subordonnée à la splendeur de la matière, selon une esthétique de la richesse qu’accomplit un art somptueux du catalogue et de la description. La plus grande originalité de Marino réside, en fin de compte, dans l’incessant désir d’émulation qu’inspire à l’incomparable virtuose du vers l’hédonisme sensuel du collectionneur.

Parmi les œuvres posthumes, il faut signaler La Strage degli innocenti (1632) et le poème épique L’Aversa liberata, publié pour la première fois en 1956.

J.-M. G.