Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Luxembourg (grand-duché de) (suite)

L’indépendance par étapes

La chute de l’Empire amène une redistribution des territoires annexés par la France. Le duché de Luxembourg, ressuscité et élevé au rang de grand-duché (congrès de Vienne, 1815), mais amputé (deuxième démembrement), reçoit un statut international compliqué : il est donné en toute propriété à Guillaume Ier (de 1815 à 1840), roi du nouveau royaume des Pays-Bas sous le régime de l’union personnelle. Pour renforcer la barrière que ce royaume doit former contre la France, le grand-duché entre dans la nouvelle Confédération germanique. Luxembourg devient une forteresse fédérale avec une garnison prussienne.

Le roi-grand-duc ne respecte toutefois pas l’indépendance du grand-duché, traité comme une simple province des Pays-Bas. Ainsi s’explique qu’en 1830 le Luxembourg, à l’exception de la capitale, se joint à la Révolution belge. À la conférence de Londres (1831), le traité des Vingt-Quatre Articles, appliqué seulement en 1839, prévoit le partage du Luxembourg (troisième démembrement). De ce dernier partage sort le territoire grand-ducal tel qu’il existe encore aujourd’hui. L’amputation du quartier wallon crée l’unité linguistique au profit du dialecte luxembourgeois, qui se développe sur le plan littéraire (deux grands écrivains : Michel Lentz [1820-1893] et Michel Rodange [1827-1876]) et favorise l’éclosion du sentiment national. Dans le mouvement des nationalités au xixe s., le Luxembourg présente un cas à part : les institutions d’un État indépendant y ont précédé l’apparition d’un véritable sentiment national. Tirant la leçon des événements, Guillaume II (de 1840 à 1849) donne au Luxembourg une administration séparée, exclusivement aux mains des Luxembourgeois. À partir de 1840 sont créés peu à peu les organes d’un État indépendant malgré les liens qui limitent encore sa souveraineté : appartenance à la Confédération germanique (1815) et à une union douanière avec la Prusse (Zollverein, 1842). À une constitution d’États octroyée en 1841 succède en 1848 une constitution libérale, changée unilatéralement en 1856 (création du Conseil d’État) dans un sens autoritaire par Guillaume III (de 1849 à 1890). La guerre austro-prussienne (1866) soulève la question luxembourgeoise (1867) : la politique des compensations de Napoléon III se rabat sur le Luxembourg, que Guillaume III est disposé à vendre. Bismarck* s’y oppose in extremis. C’est la crise, finalement évitée grâce au compromis élaboré à la Conférence de Londres : le grand-duché est déclaré État indépendant et neutre sous la garantie collective des puissances signataires. La garnison prussienne quitte la ville, mais le Luxembourg reste dans le Zollverein. Une constitution libérale est élaborée en 1868 ; elle sera révisée en 1919 (introduction du suffrage universel, accentuation du principe de la souveraineté de la nation) et en 1948 (abandon de la neutralité).

Conformément au pacte de famille des Nassau (1783), la couronne grand-ducale est passée en 1890 (mort de Guillaume III d’Orange-Nassau) à Adolphe de Nassau — Weilburg (de 1890 à 1905), dont l’arrière-petit-fils, le grand-duc Jean, occupe le trône depuis 1964. Parallèle à l’essor économique est l’éclosion d’un véritable sentiment national (devise de 1859 : « Nous voulons rester ce que nous sommes » ; de 1910 : « Le Luxembourg aux Luxembourgeois »), en réaction contre l’annexionnisme à tour de rôle français, belge et allemand.

La création d’un vicariat apostolique (1840), élevé en 1870 au rang d’évêché dépendant directement du Saint-Siège, libère l’Église luxembourgeoise des derniers liens avec l’étranger.

Grâce au suffrage censitaire, hauts fonctionnaires et bourgeois d’affaires dirigent l’État. Les députés se groupent autour de quelques personnalités marquantes, parmi lesquelles émerge la figure de Paul Eyschen (1841-1915, président du gouvernement de 1888 à sa mort). Deux tendances se dessinent, libéraux et catholiques, que divisent la question scolaire et le statut de l’Église luxembourgeoise. Des partis politiques organisés n’apparaissent qu’au début du xxe s. : parti social-démocrate, 1902 ; ligue libérale, 1904 ; parti de la droite, 1914 ; parti communiste, 1921. La vie politique cède cependant le pas à une extraordinaire expansion économique : en 1842, on découvre les gisements miniers du Sud (bassin lorrain), que l’essor des chemins de fer (première ligne en 1859) permet d’exploiter. L’appartenance du Luxembourg au Zollverein est un facteur favorable. Une sage politique lie les concessions minières à l’exploitation sur place. À partir de 1860-1870, on assiste à un démarrage économique foudroyant : à une exception près, toutes les usines s’installent dans le bassin minier (Esch-sur-Alzette, 1870 ; Rodange, 1872 ; Rumelange, 1872 ; Dudelange, 1885 ; Differdange, 1896). À partir de 1886, le procédé Thomas-Gilchrist (traitement de la fonte phosphoreuse) permet l’installation d’aciéries. L’ensemble des installations sidérurgiques est en place en 1913. Des mouvements de concentration réduisent le nombre des sociétés : A. R. B. E. D. (1911), H. A. D. I. R. (1920 et en fusion avec A. R. B. E. D. depuis 1966) et Minière et métallurgique de Rodange.

Le démarrage économique luxembourgeois présente, par rapport aux pays voisins, la particularité de se limiter à un seul secteur, la sidérurgie. Il en résulte une faiblesse fondamentale de cette économie monolithique : l’absence de secteurs de relais quand plus tard, au xxe s., la sidérurgie entre dans une phase de croissance lente. La production de fonte passe de 15 000 t en 1856 à 2 547 000 t en 1913. De pays agricole, le Luxembourg se transforme rapidement en un pays industrialisé ; de pays d’émigration (75 000 Luxembourgeois ont émigré aux États-Unis dans la seconde moitié du xixe s.), il devient pays d’immigration (40 000 étrangers en 1912). Dès cette époque, une forte présence étrangère constitue une des caractéristiques de la démographie luxembourgeoise (15 p. 100 en 1912 et 20 p. 100 en 1972). L’industrialisation a accéléré l’exode rural ; l’urbanisation du pays se fait au profit de la capitale et du bassin minier (villes nouvelles : Esch-sur-Alzette, Differdange, Dudelange). En 1870, à la veille du démarrage économique, 20 p. 100 de la population vivaient en ville ; en 1970, ce sont 66 p. 100. En 1970, 56 p. 100 des Luxembourgeois vivent sur 11,4 p. 100 du territoire (la capitale et le bassin minier).