Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

luth (suite)

La première représentation de luth que nous ayons retrouvée en Europe est un ivoire gravé du xe s. Elle révèle que, dès cette époque, l’instrument possède tous ses caractères propres : caisse de résonance à fond bombé, table d’harmonie ornée d’une rosace sculptée, portant un cordier auquel viennent s’accrocher les cordes, manche large et relativement court, muni de bracelets de boyau (les frettes, qui délimitent les cases sur lesquelles s’appliquent les doigts de l’interprète), chevillier rejeté vers l’arrière en formant un angle presque droit.

Tous ces éléments caractéristiques du luth se retrouvent, inchangés, au cours des siècles. Les seules modifications qui l’affectent porteront sur sa technique de jeu et le nombre de ses cordes. L’emploi du plectre en usage au Moyen Âge fait place, vers la fin du xve s., au jeu au doigt. Quant au nombre des cordes — et à leur accord —, il est en perpétuel évolution. Au Moyen Âge, l’instrument possède quatre rangs de cordes ; les trois graves sont doubles, le plus aigu restant simple. Au cours du xve s., on en ajoute un cinquième au grave, puis, vers 1500, un sixième. Nous sommes alors en présence du luth classique, accordé sur ce modèle :

À ce luth un nombre très important de recueils sont destinés. Les interprètes éprouveront pourtant le besoin d’accroître encore ses possibilités, et leurs ambitions ne connaîtront plus de frein. Vers 1630, certains iront jusqu’à « mettre quinze ou vingt rangs de cordes (doubles) sur le luth », mais la table d’harmonie est alors « si chargée qu’elle est... contrainte de se rompre ». Plus sagement, les joueurs devront se contenter de luths à dix ou douze rangs, soit de vingt à vingt-quatre cordes.

Une telle démesure semble, de nos jours, difficile à comprendre. En effet, les cordes de boyau dont on monte alors l’instrument réservent aux interprètes maint désagrément. Sensibles à la moindre différence de température ou d’hygrométrie, elles se désaccordent sans cesse, et l’on reproche aux luthistes de passer plus de temps à s’accorder qu’à jouer ! D’autre part, leur fragilité est telle qu’on a pu dire, non sans exagération, qu’il en coûtait « aussi cher d’entretenir un luth en cordes qu’un cheval à l’écurie ». Enfin, il n’est pas douteux que leur multiplicité augmente, dans des proportions non négligeables, la difficulté de jeu d’un instrument déjà délicat à manier.

Ces seules considérations d’ordre matériel laissent présager que le luth n’est pas un instrument accessible à tous. En effet, sa pratique apparaît comme le privilège d’une élite artistique, intellectuelle ou... financière. Mais, dans ces milieux, il suscite un véritable engouement. Au cours de son âge d’or, qui s’étend du début du xvie s. à la fin du xviie, c’est l’instrument privilégié de tous ceux qui se piquent de raffinement et d’élégance. Le pape Léon X, les rois et reines (Henri VIII, Élisabeth Ire, Anne d’Autriche, Louis XIII), les poètes (Baïf, Ronsard) se vantent de pouvoir en jouer. Dans les salons, il devient le symbole de la préciosité. De leur côté, les luthistes professionnels jouissent des faveurs princières, et les cours, rivalisant entre elles, se les arrachent à prix d’or. Dans toute l’Europe — à l’exception de l’Espagne, qui reste attachée à son instrument national, la vihuela —, la mode du luth est identique.

Le répertoire destiné à l’instrument — et à ses dérivés — est à la mesure de l’immense considération qui l’entoure. Les premiers témoignages notés que nous en ayons conservés remontent aux environs de 1505. À partir de cette date, un nombre incalculable de recueils, manuscrits ou imprimés, voient le jour. Selon l’usage du temps, ils ne contiennent tout d’abord que quelques œuvres originales (préludes, ricercari, fantaisies) et surtout des transcriptions de pièces à succès : œuvres profanes (chansons ou danses) et même religieuses (fragments de messes et de motets). Au xviie s., toutefois, les auteurs se dégageront de cette habitude et créeront, à son intention, des compositions nouvelles : airs accompagnés et danses, en particulier.

L’école italienne est la première à briller, grâce aux œuvres de Francesco Spinaccino, Giovanni Ambrogio Dalza, Francesco Bossinensis et surtout Francesco da Milano (1497 - v. 1543), dont les Fantaisies connaissent un succès international. Vers le milieu du siècle, Melchiore de Barberiis, Giovanni Maria da Crema (v. 1470 - v. 1546) publient également des œuvres qui comptent parmi les meilleures pages de la littérature de luth. En Allemagne, la production est moins intense, mais de plus longue durée. Au xvie s., Hans Judenkünig (v.  445/50 - 1526), Hans Gerle (v. 1500-1570), Sebastian Ochsenkhun (1521-1574) proposent, eux aussi, des recueils de transcriptions de chansons et de danses. Jusqu’à la fin du xviiie s., les compositeurs continueront à s’intéresser au luth, le plus célèbre d’entre eux étant Jean-Sébastien Bach, qui destine à l’instrument deux œuvres (suite en mi mineur, prélude en ut mineur) ainsi que diverses transcriptions. Beaucoup plus ramassée dans le temps, l’école anglaise s’épanouit entre 1590 et 1620 grâce à l’un des plus illustres luthistes de l’époque : John Dowland (1563-1626). Ce n’est qu’en 1529 que paraissent, à Paris, les premiers livres de luth. Il faut ensuite attendre 1550 pour que reprennent les publications. Les auteurs en sont : Adrian Le Roy (v. 1520-1598), codirecteur de la maison d’éditions musicales de Robert Ballard, Albert de Rippe (v. 1480-1551), Guillaume Morlaye (v. 1515 - v. 1560), Julien Belin (v. 1530 - apr. 1584). C’est toutefois au xviie s. que l’école française brille de tout son éclat. Une pléiade d’excellents luthistes composent alors des airs accompagnés (airs de cour) et des pièces purement instrumentales : entrées de ballets et danses. Les premiers sont signés Gabriel Bataille (v. 1575-1630), Pierre Guédron (v. 1570 - v. 1620) ou Antoine Boesset (1586-1643) ; les secondes : Antoine Francisque (v. 1570-1605), Jean-Baptiste Besard (v. 1567 - v. 1625), Robert Ballard († 1588), René Mezangeau (v. 1638), Ennemond (v. 1575-1651) et Denis (v. 1603-1672) Gaultier, Charles Mouton (1626 - v. 1699)... Avec la mort de celui-ci s’achève la grande école de luth française.