Lucas de Leyde (suite)
La plus ancienne de ses œuvres, les Joueurs d’échecs du musée de Berlin-Dahlem (v. 1508), a beaucoup de vigueur malgré une certaine gaucherie dans la composition entassée des personnages. L’influence de Quinten Matsys (v. 1466-1530) apparaît dans les intentions psychologiques des scènes représentant des joueurs de cartes ou d’échecs ; celle de Jheronimus Bosch* et celle de Geertgen* tot Sint Jans marquent, plus dans l’esprit que dans la manière, la Tentation de saint Antoine (musées royaux de Bruxelles) ou Loth et ses filles (musée Boymans-Van Beuningen, Rotterdam, et musée du Louvre). Lucas affectionne les compositions en demi-figures (les Fiancés, musée de Strasbourg), révélatrices d’un talent de portraitiste dont la spontanéité s’affirme dans l’autoportrait du Herzog-Anton-Ulrich-Museum de Brunswick.
Deux étapes importantes marquent sa carrière : un séjour à Anvers, au cours duquel il rencontre Dürer (1521) et se fait recevoir comme maître par la guilde de la ville (1522) ; puis un voyage dans les Pays-Bas du Sud en 1527, en compagnie de Jan Gossart*, dont il partage l’enthousiasme pour le nouvel art italien.
Son œuvre capitale, le triptyque du Jugement dernier (1526-27, Lakenhal, Leyde) lie admirablement les souvenirs gothiques, perceptibles dans les figures, au sentiment Renaissance d’un espace largement ouvert. Entre l’utilisation d’éléments architecturaux italianisants encadrant les personnages entassés d’une scène de genre (le Sermon, Rijksmuseum, Amsterdam) et les silhouettes dansantes, le paysage aux nuées orageuses, la composition pyramidale de la Danse devant le veau d’or (même musée) se marque le passage d’une conception plastique du monde à une autre.
De nombreux ouvrages de Lucas de Leyde ont probablement été détruits pendant la crise iconoclaste de la Réforme, et tout particulièrement son œuvre de peintre verrier, signalée par Carel Van Mander (1548-1606) et dont les seuls témoignages sont une copie de David accueilli par les filles de Jérusalem (bibliothèque Ambrosienne, Milan) et deux vitraux du Museum of Art de Cleveland (Esther et Assuérus, Jugement de Salomon) exécutés dans son entourage. On peut considérer comme des projets de verrières certaines de ses gravures pour lesquelles il adopte la forme d’un tondo.
Le musée des Beaux-Arts de Lille possède le beau portrait à la mine d’argent où Dürer montre le visage attentif et passionné du jeune Lucas de Leyde posant devant le maître, avec lequel il tente de rivaliser. L’étonnante virtuosité de son œuvre gravé surpasse ses travaux de peintre ; elle est déjà évidente dans la Suzanne au bain de 1508, s’affirme aussi bien dans les études de genre (la Laitière, 1510) que dans les scènes religieuses (Esther devant Assuérus, 1518) ou les représentations profanes (Virgile ridiculisé par Lucrèce, 1525). À partir de 1526, Lucas transpose poétiquement plutôt qu’il ne subit l’influence de Marc-Antoine Raimondi. Beaucoup de compositions de Lucas de Leyde ont été copiées ou imitées par Nicolaas de Bruyn (v. 1594-1656), mais la supériorité du maître, dont tous les amateurs de l’époque se disputaient les gravures, éclate dans la subtilité des éclairages, la transparence des ombres, l’éclat des blancs et surtout l’incomparable légèreté du burin poussé par une main à la fois capricieuse et sûre.
S. M.
M. J. Friedländer, Lucas Van Leyden (Berlin, 1963). / J. Lavalleye, Lucas de Leyde. Peter Bruegel l’Ancien. Gravures (Arts et métiers graphiques, 1966).