Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Louis XVI (suite)

Le temps des réformes ne semble pourtant pas clos. Les innovations dont l’armée est le théâtre peuvent faire illusion : la suppression de la vénalité des charges, la création d’écoles militaires, la réforme de la milice, l’endivisionnement de l’armée, la discipline « à la prussienne », la dotation en machines de guerre modernes créent un instrument dont bénéficiera la future république. Mais il y a aussi derrière tout cela l’action aristocratique qui pénètre et corrompt les transformations : le roi cherche à façonner un outil, l’aristocratie tend à le lui ravir en se réservant les postes de direction. Cette armée rénovée va servir à soutenir les « insurgents » américains. L’entreprise enthousiasme la jeunesse libérale du royaume et elle compte de nombreux nobles dans ses rangs. Elle est un gouffre financier pour le Trésor royal (1778). Mais déjà Necker est là et le temps des faux remèdes commence.


De Necker à la prérévolution

Choisi en 1776, le nouveau directeur général du Trésor royal, Necker*, est un banquier, un protestant, un étranger. Il émerveille. On craignait la banqueroute, et il trouve de l’argent ; on disait les économies impossibles, et il semble les réaliser, car tout n’est qu’artifice.

Il abandonne les réformes fiscales et arrête le mécontentement de l’aristocratie. Les hommes éclairés le louent de mettre de l’ordre dans la complexité des droits perçus par la Ferme générale. La sensibilité du siècle est touchée par l’abolition de la « question préparatoire ». Il fait disparaître le servage sur le domaine du roi. Il ne rompt pas totalement avec l’expérience précédente, puisqu’il crée des assemblées provinciales des trois ordres. N’est-ce pas de nouveau une tentative d’association des élites au gouvernement monarchique ?

Mais n’est-ce pas de la poudre aux yeux ? Des historiens le soutiennent encore à notre époque ; ils font remarquer qu’il « élude en fait la question fiscale », qui est fondamentale, et, qu’ayant donné confiance, « il retourne à une politique systématique d’emprunts placés à des taux exorbitants auprès de banques amies » (G. Chaussinand-Nogaret). Il aidera ainsi le gonflement de la dette. La situation est malsaine ; le « compte rendu au roi » masque la réalité et fait croire pour longtemps à l’opinion publique qu’une bonne gestion a équilibré le budget (1781). Pourtant, une coalition s’est formée contre lui, et son « compte rendu » n’est qu’une manœuvre ou un dernier « coup d’éclat » contre elle. Elle rassemble les financiers traditionnels du roi ; les fermiers généraux, apeurés de voir le banquier genevois commencer à les éliminer ; les intendants qu’il a injustement attaqués, et, ennemis redoutables, les parlementaires inquiets des réformes judiciaires et administratives. De nouveau, Maurepas craint le prestige d’un rival. Il décide le roi à le renvoyer le 19 mai 1781.

La conjoncture redevient favorable. De 1782 à 1787, la situation économique se rétablit. À l’extérieur, la France semble triompher de la Grande-Bretagne : la paix de Versailles (3 sept. 1783) assure l’indépendance des États-Unis, consolide la position française à Terre-Neuve, et les articles du traité de Paris (1763) relatifs à Dunkerque disparaissent. Le nouveau contrôleur des Finances, Calonne*, saura, un temps, tirer avantage de cette situation.

Avant qu’il ne parvienne aux affaires, deux contrôleurs se succèdent encore à la tête des Finances : J.-F. Joly de Fleury (mai 1781 - mars 1783) et Lefèvre d’Ormesson (avr.-nov. 1783). Le premier recourt aux augmentations d’impôt et aux emprunts sans parvenir à combler le déficit. Il a le tort de ne pas le cacher et de demander des économies dont les courtisans risquent de faire les frais. Il est renvoyé. Lefèvre d’Ormesson, jeune homme embarrassé de sa personne et qui ne prend jamais une décision sans consulter son maître, Vergennes*, emprunte à la Caisse d’escompte. Le public, craignant l’appropriation par l’État de fonds privés, se presse en foule aux guichets pour retirer son argent. Seconde maladresse : il cherche à transformer la Ferme générale en régie ; les fermiers réagissent en menaçant d’interrompre leur versement au Trésor. Ils soutiennent que son départ et son remplacement par Calonne sont nécessaires. Le roi n’aime guère ce dernier, mais une coterie se forme à la Cour autour des Polignac ; elle gagne finalement à sa cause la reine ; le roi cède.

Avec Calonne, ce sont les financiers de Cour qui accèdent au contrôle. Titulaires d’offices qui les mettent à même de manier l’argent des impôts, ils confondent parfois leurs deniers avec ceux de l’État tout en sachant d’ailleurs l’aider quand la situation est difficile. Mais ces « capitalistes » ont la hardiesse d’investir leur argent dans l’industrie et le commerce, dont ils poussent la modernisation. C’est aussi le plan de Calonne : enrichir le pays pour que l’État puisse mieux trouver par l’impôt les espèces qui lui manquent. Mais l’État doit aider à cet enrichissement en drainant les capitaux et en les redistribuant aux commerçants et aux manufacturiers. Avant tout, il faut emprunter : pour emprunter, il faut donner confiance. Calonne paye exactement les rentes venues à échéance. Puis il manœuvre pour que les emprunts d’État priment sur le marché. Il organise à cet effet une véritable publicité, Mirabeau* étant son intermédiaire auprès de la presse. Il crée ainsi un courant à la hausse pour les valeurs d’État, tandis que baissent les valeurs concurrentes. Le ministre se fait agioteur : il s’entend avec les financiers qui placent l’emprunt dans le public : leur zèle est récompensé, le contrôleur aide leur spéculation. Enfin, le ministre reçoit de l’argent des détenteurs d’offices, des fermiers généraux, dont il perçoit un supplément de cautionnement. Ainsi, en trois ans, il réussit à rassembler 300 millions.

Mais cette somme n’est pas, comme trop souvent jusqu’ici, utilisée pour des dépenses improductives. Elle aide l’œuvre de rénovation industrielle entreprise par des hommes soucieux de lutter à armes égales avec la Grande-Bretagne. Ainsi, l’État seconde les entreprises privées à la pointe du progrès technique : manufactures textiles ou sidérurgiques des Oberkampf, des Perier ou des de Wendel. L’État protège aussi les commerçants qui cherchent à évincer les Scandinaves dans le commerce français des matières premières pour la construction navale.