Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Louis XVI (suite)

Toute une administration économique soutient l’activité des marchands et des fabricants. La réforme monétaire de 1785, rendue indispensable par la réévaluation de l’or, arrête la spéculation et débloque les espèces que les particuliers thésaurisaient. D’autres moyens sont en outre donnés pour que la production progresse. Les ports de la façade atlantique sont améliorés, et Marseille agrandit ses quais. La politique de construction routière commencée à l’époque de Louis XV est reprise et amplifiée. Les canaux de Bourgogne sont entrepris.

Mais la crise intercyclique vient briser une expérience qui demandait du temps pour porter fruit. De nouveau, les difficultés ressenties par le monde agricole ralentissent la demande au secteur industriel, dès lors en crise. Un à un, les financiers qui travaillaient avec Calonne font faillite, et le crédit se contracte au moment où les impôts, étant donné la misère, rentrent mal.

Dans le même temps où l’État connaît de nouveau des embarras financiers, un scandale éclate qui jette le jour sur l’attitude équivoque des courtisans et ternit le prestige du roi et de la royauté. C’est l’affaire du collier de la reine. Louis de Rohan (1734-1803), évêque de Strasbourg, grand aumônier de France et cardinal, est un des descendants d’une des plus grandes familles du royaume (v. Rohan). Ambassadeur à Vienne, il a déplu à Marie-Thérèse ; rentré en France, il a clabaudé sur Marie-Antoinette ; la reine le déteste, il rêve de rentrer en grâce. Une femme, Jeanne de Valois-Saint-Remy (1756-1791), comtesse de La Motte, s’offre à le réconcilier avec la souveraine. C’est une descendante d’un bâtard royal ; elle vit à la Cour d’expédients, elle compte sur la naïveté du cardinal pour l’escroquer. La première partie du piège est montée : Rohan croit rencontrer, de nuit, dans les jardins de Versailles, la reine ; il baise en fait la main d’une grisette qui lui ressemble. Puis Mme de La Motte dit au cardinal le désir de la reine d’acheter un collier dont tout le monde parle depuis que le défunt roi l’a fait créer pour la du Barry sans le lui offrir. Il coûte 1 600 000 livres. Rohan accepte d’être dans la transaction l’intermédiaire.

Le collier est acheté et passe aux mains de Mme de La Motte et de ses complices. Mais, au moment du premier versement, Mme de La Motte prétend la reine embarrassée pour payer. Le cardinal ne rassemble que 30 000 livres. Inquiets, les bijoutiers Bassenge et Boehmer parlent de l’affaire au ministre Breteuil. La reine, mise au courant et choquée que Rohan l’ait crue assez légère et assez coquette pour entrer dans une telle machination, exige et obtient l’embastillement du cardinal. Traduit devant le parlement (6 sept. 1785 - 31 mai 1786), il prouve qu’il a été dupé. Le parlement l’acquitte. C’est un camouflet donné à la reine. Les aristocrates applaudissent. Ils ont feint de considérer qu’en jugeant l’un d’entre eux — et de quel rang ! — la royauté faisait leur procès à eux tous. Depuis plus d’un demi-siècle, ils s’opposent à toutes les réformes de structure imaginées par le gouvernement dès lors que leurs privilèges sont menacés ; ils mènent, dans tout le corps politique, la réaction contre la montée et l’emprise bourgeoises. Ils tiennent les hauts postes de l’État, ils sont le haut clergé, ils sont les cadres de l’armée, dont ils évincent le tiers. Voilà qu’inconscients de l’abîme qu’ils creusent sous leurs pas ils entrent en révolte ouverte contre la royauté. Ils veulent profiter de son désarroi financier pour la contrôler.

Calonne, faute d’une hausse continue de la prospérité, doit retrouver les projets de ses prédécesseurs : l’égalité devant l’impôt, un impôt unique reposant sur toutes les terres, « la subvention territoriale ». On avait accusé Turgot de la projeter ; elle avait en partie causé sa perte. Calonne la reprend à son compte.

Mais l’homme est habile, et il sait qu’il aura contre lui le front des privilégiés, et que le parlement, en s’opposant à l’enregistrement des édits fiscaux, se fera leur porte-parole comme il l’a fait jadis sous le feu roi. Il commence par créer un courant d’opinion en sa faveur : aux paysans, il promet d’abolir les corvées et de diminuer la taille ; aux commerçants, de supprimer les douanes intérieures ; à l’élite, il promet la participation, par l’intermédiaire d’assemblées provinciales. Puis, pour tourner le parlement, il songe à réunir, comme Henri IV l’avait fait jadis, une assemblée de notables. Les princes du sang encadreront des nobles, des membres du haut clergé, quelques représentants du tiers, tous triés sur le volet. Leur accord reçu, le roi s’en prévaudra pour faire appliquer le projet.

Le calcul se révèle faux. Les notables réunis à Paris (22 févr. 1787) sont très vite sous l’emprise des courtisans hostiles à Calonne. Celui-ci, dépourvu de l’aide et des conseils de Vergennes, qui meurt quelques jours avant l’ouverture de l’assemblée des notables, commet la maladresse de présenter son projet en condamnant l’ordre existant. Traitant des causes profondes du malaise financier, il dénonce d’emblée « les abus des privilèges pécuniaires, les exceptions à la loi commune qui ne peuvent affranchir une partie des contribuables qu’en aggravant le sort des autres », il condamne « l’inégalité générale dans la répartition des subsides », il proteste contre « le déshonneur imprimé au commerce des premières productions », contre « les bureaux de traites intérieures et ces barrières qui rendent les diverses parties du royaume étrangères les unes aux autres », contre « les droits qui découragent l’industrie, ceux dont le recouvrement exige des frais excessifs et des préposés innombrables... ». À travers son plaidoyer, c’est tout ce que la génération révolutionnaire va qualifier d’« ancien régime » qui est accusé. Prévenus contre le ministre, les notables voient leur crainte renforcée : n’est-ce pas leur position, leur prééminence sociale qui est en jeu ? L’ordre par excellence, le clergé, se sent directement menacé dans la possession de ses biens. Groupés autour de l’archevêque de Toulouse, Loménie de Brienne, les évêques contre-attaquent. Ils peuvent compter sur l’appui, du moins couvert, des propres frères du roi. Le comte de Provence, qui sera Louis XVIII*, discrédite sa belle-sœur, projetant de faire déshériter un jour ses neveux. Le cousin du roi, le duc d’Orléans, croit en une monarchie à l’anglaise dont il serait le souverain. D’autres coteries se forment ou se recréent. Il y a celle de Necker, qui agit « par vengeance, et dans l’espérance de le voir revenir en place » ; il y a celle de M. de Miromesnil, garde des Sceaux, « qui veut à toute force faire contrôleur général M. de Neville, sa créature » (Mémoires du baron J. de Besenval). Calonne se tourne alors vers l’opinion publique. Imprimant tous les mémoires qu’il a remis aux notables, il l’informe que « le roi est arrêté dans le soulagement qu’il veut donner à ses peuples par ceux-là même qui devraient l’assister ». En vain. Le roi est troublé par l’opposition grandissante à Calonne. Il le renvoie le 8 avril 1787 et fait appel à celui qui est le chef de file de l’opposition, Loménie de Brienne.

« Le renvoi de Calonne fit apprécier le caractère du roi ; et, dès cet instant, les prétentions et la ténacité des notables n’eurent plus de bornes » (Besenval).