Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

logique (suite)

Cette algèbre comporte naturellement une troisième partie ou un troisième aspect : le calcul des propositions, qui est traité dans les Leçons de Schröder en combinaison avec le calcul des classes. Boole avait déjà envisagé la possibilité d’interpréter les variables de son algèbre comme des variables de proposition plutôt que comme des variables de classe. Mais le premier calcul des propositions véritable fait son apparition dans des mémoires publiés à partir de 1877 par Hugh MacColl. C’est à lui que l’on doit notamment la redécouverte des lois de De Morgan du calcul propositionnel, déjà connues des scolastiques (en particulier de Guillaume d’Occam).


Peirce

Charles Sanders Peirce (1839-1914) est l’auteur d’une œuvre monumentale consacrée à des sujets extrêmement divers. Dans le seul domaine de la logique, ses contributions sont exceptionnellement nombreuses et variées. On lui doit notamment toute une série de perfectionnements et d’inventions dans la théorie générale des relations et dans celle des relations d’ordre ; une anticipation de la découverte de M. H. Sheffer concernant la possibilité d’exprimer tous les connecteurs propositionnels à l’aide d’un seul d’entre eux (1880), et l’utilisation d’une procédure dévaluation pour les expressions du calcul propositionnel qui est déjà celle des tables de vérité (1885) ; la définition logique classique de l’identité dans la ligne de Leibniz (1885) ; la définition d’un ensemble fini comme étant un ensemble qui ne peut être mis en correspondance biunivoque avec un de ses sous-ensembles propres (1881). On trouve également chez lui des éléments qui autorisent à le considérer, en ce qui concerne le problème des fondements de l’arithmétique, comme un précurseur direct de R. Dedekind* et de G. Peano. Il faut signaler enfin que Peirce est avec Venn (1880, 1881) le premier à avoir introduit explicitement la convention aujourd’hui en vigueur sur le problème de l’« import existentiel », c’est-à-dire celle qui consiste à considérer que les propositions existentielles, mais non les propositions universelles du syllogisme catégorique, impliquent l’existence de leur sujet. On peut remarquer que, tout à fait indépendamment de l’algèbre des classes, pour laquelle cette modification de la doctrine classique s’imposait particulièrement, Franz Brentano (1838-1917) avait adopté dans sa Psychologie vom empirischen Standpunkt (1874) une position analogue avec les conséquences qu’elle implique, c’est-à-dire le rejet de certaines formes d’inférence traditionnelles comme, par exemple, le syllogisme en darapti.


Frege

Gottlob Frege (1848-1925), dont les travaux n’ont suscité sur le moment à peu près aucun intérêt, est considéré aujourd’hui universellement comme le plus grand logicien de son époque. Avec lui s’effectue le passage de l’algèbre de la logique à ce qu’on a appelé plus tard la logistique (terme proposé au Congrès international de philosophie de Genève en 1904 par Itelsohn, A. Lalande et Couturat, et aujourd’hui quelque peu tombé en désuétude). Alors que la première s’était efforcée essentiellement de créer une logique mathématisée, c’est-à-dire de faire de la logique une théorie mathématique particulière, la seconde essaiera d’être avant tout une logique des mathématiques, c’est-à-dire de rendre logique, voire de logiciser, le discours des mathématiques.

C’est essentiellement pour les besoins des mathématiques que Frege a été amené à révolutionner la logique. Si l’on veut atteindre, remarque-t-il, à l’idéal d’une méthode parfaitement scientifique en mathématiques, il faut non seulement que les propositions initiales non démontrées soient réduites à un nombre minimal et énoncées expressément, mais également que les méthodes d’inférence utilisées soient spécifiées d’avance. Pour éliminer le recours à l’intuition dans les enchaînements logiques, lequel représente à la fois un manque de rigueur caractéristique et une source d’erreur, il importe de pourvoir le raisonnement mathématique lui-même d’un langage aussi exact que celui des mathématiques, d’une écriture idéographique qui permette de représenter adéquatement et de tester commodément et à coup sûr les étapes successives du cheminement déductif.

Tel est l’objet de la Begriffsschrift (1879), un ouvrage dans lequel Frege propose un système d’écriture logique très perfectionné qui permet d’exhiber de façon beaucoup plus claire qu’auparavant la structure logique des propositions et des démonstrations, mais auquel on a par la suite, pour des raisons de commodité, préféré celui de Peano. La Begriffsschrift contient la première présentation systématique du calcul des propositions et du calcul des prédicats avec identité. On y voit apparaître notamment l’usage des quantificateurs (suggéré, il est vrai, également de façon indépendante par O. H. Mitchell, à qui Peirce attribue l’idée dans un texte de 1885).

La réduction des mathématiques à la logique, qui constitue la grande ambition de ce qu’on a appelé le logicisme, est décrite et défendue par Frege dans Die Grundlagen der Arithmetik (1884) et réalisée de façon systématique dans les Grundgesetze der Arithmetik (en deux volumes, 1893-1903). À la différence de Dedekind, qui utilise comme point de départ les notions d’ensemble et d’appartenance d’un élément à un ensemble, ce qui l’amène à jeter les premiers fondements d’une théorie des ensembles, Frege, qui ne considère pas ces deux notions fondamentales comme des notions proprement logiques, s’exprime en termes de concepts et de relations. Dans les Fondements de l’arithmétique, il montre qu’un nombre cardinal (Anzahl) doit être considéré comme une propriété non pas d’objets, comme on l’a cru souvent, mais de propriétés ou de concepts. Il introduit le terme équinumérique (gleichzahlig) pour désigner la relation qui existe entre deux concepts lorsque les classes qu’ils déterminent respectivement peuvent être mises en correspondance biunivoque ; et il définit alors le nombre qui appartient au concept F comme l’extension du concept « équinumérique au concept F », en d’autres termes comme la classe des concepts qui sont équinumériques au concept F. Il procède ensuite à la définition de « 0 » et de la relation « successeur » de la façon suivante :
« 0 est le nombre cardinal qui appartient au concept « non identique à soi-même » ;
« n suit immédiatement m dans la suite naturelle des nombres » signifie : « Il existe un concept F et un objet x qui tombe sous ce concept, tel que le nombre cardinal qui appartient à ce concept est n et que le nombre cardinal qui appartient au concept « qui tombe sous F, mais n’est pas identique à x » est m. »