Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

logique (suite)

La définition du concept général de nombre cardinal inductif (fini) est un peu plus délicate à obtenir. Dans le langage légèrement différent des Principia mathematica, elle revient à dire que x est un nombre cardinal fini (un entier naturel) s’il appartient à toutes les classes héréditaires auxquelles appartient 0 (une classe de nombres cardinaux est héréditaire si, toutes les fois qu’elle contient un nombre, elle contient également son successeur). Le nombre cardinal du concept « nombre cardinal fini » est le premier cardinal infini, qui correspond à la puissance du dénombrable de Cantor. Dans les Grundgesetze, des définitions formelles seront données, et le traitement de l’arithmétique des cardinaux sera complété par une théorie des nombres réels.

Frege avait achevé la rédaction du deuxième volume de cet ouvrage lorsqu’il reçut de Russell en 1902 une lettre lui exposant l’antinomie de l’ensemble de tous les ensembles qui ne sont pas éléments d’eux-mêmes, connue depuis sous le nom d’antinomie de Russell. La découverte de cette antinomie semble bien avoir été interprétée par lui comme tout à fait ruineuse pour le système qu’il avait laborieusement construit. En dépit du fait qu’il propose lui-même un remède possible, qui consisterait à modifier l’un de ses axiomes de manière à rendre impossible l’obtention de la contradiction, l’obligation de recourir à un expédient de ce genre ne pouvait pas ne pas jeter, dans son esprit, un doute sur la valeur absolue des fondements logiques qu’il avait proposés pour l’arithmétique.

Frege utilise dans les Grundgesetze la distinction fondamentale qu’il avait élaborée dans Sinn und Bedeutung (1892) entre le sens (Sinn) et la dénotation (Bedeutung) d’une expression. Les deux expressions « l’étoile du matin » et « l’étoile du soir » ont deux sens différents, mais ont la même dénotation, c’est-à-dire désignent le même objet : la planète Vénus. Cette distinction, tout à fait naturelle en ce qui concerne les noms, est étendue de façon quelque peu artificielle aux propositions. Le sens d’une proposition est la « pensée » (Gedanke) qu’elle exprime (il s’agit du contenu de signification objectif, non de la représentation mentale subjective). Sa dénotation est sa valeur de vérité. Les propositions sont considérées en fait comme des noms d’une certaine espèce, toute proposition vraie étant un nom du Vrai et toute proposition fausse un nom du Faux. Les théories sémantiques de Church et de Carnap s’inspirent directement de Frege sur un certain nombre de points fondamentaux.

En ce qui concerne la logique proprement dite, les travaux de Frege se caractérisent notamment par une exigence de rigueur tout à fait inaccoutumée dans le discours métalogique, par exemple en ce qui concerne la distinction capitale entre l’usage et la mention d’un symbole ou d’une expression, qui avait été clairement reconnue dans les théories médiévales de la suppositio, mais avait été et reste encore souvent négligée.


Peano

Giuseppe Peano (1858-1932) est important à cause de son influence sur Russell et de la contribution qu’il a apportée à la constitution d’un système de notation logique plus utilisable que ceux de ses prédécesseurs (notamment celui de Frege). De ce système, qui a été adopté par Russell, il subsiste beaucoup de choses dans la notation logique actuellement en usage. Sur un point essentiel, les préoccupations de Peano coïncident avec celles de Frege : trouver une écriture symbolique (la « pasigraphie ») dans laquelle puisse être exprimée la totalité des propositions et des déductions mathématiques. Les principes fondamentaux de l’idéographie péanienne avaient été exposés dans les Notations de logique mathématique (1894) et seront mis en œuvre dans les cinq éditions ou volumes successifs du Formulaire de mathématiques (1895-1908). À cette grandiose entreprise de traduction ne correspondent chez Peano et ses collaborateurs aucune intention proprement philosophique ni rien de tel qu’un projet de réduction des mathématiques à la logique. Peano introduit le symbole  pour désigner l’appartenance d’un individu à une classe et fait une distinction nette entre cette relation et celle de l’inclusion d’une classe dans une autre. Il ramène toute l’arithmétique à trois notions primitives : « nombre », « zéro » et « successeur », et à cinq axiomes, connus depuis sous le nom d’axiomes de Peano, que l’on peut exprimer en langage familier de la façon suivante : (1) 0 est un nombre ; (2) le successeur d’un nombre quelconque est un nombre ; (3) si une classe contient 0 et, toutes les fois qu’elle contient un nombre, contient également son successeur, alors elle contient tous les nombres ; (4) deux nombres différents ne peuvent avoir le même successeur ; (5) 0 n’est le successeur d’aucun nombre. Mais ces propositions sont empruntées en fait à un essai de Dedekind, Was sind und was sollen die Zahlen ? (Nature et signification des nombres) [1888], où elles ne sont cependant pas utilisées comme axiomes.

Parmi les rédacteurs du Formulaire, Cesare Burali-Forti (1861-1931) mérite une mention spéciale pour avoir découvert (ou plus exactement mis à l’ordre du jour, car elle était déjà connue de Cantor*) en 1897 l’antinomie qui porte son nom. Il s’agit de l’antinomie qui a trait au nombre ordinal de l’ensemble de tous les nombres ordinaux.


Russell*

Bertrand Russell (1872-1970) a adopté assez rapidement la thèse frégéenne selon laquelle les mathématiques sont une branche de la logique, en ce sens que tous les termes de l’arithmétique peuvent être définis entièrement à l’aide de termes logiques, et tous les théorèmes de l’arithmétique démontrés à partir d’axiomes uniquement logiques. Au début des Principles of Mathematics (1903), il donne la définition suivante : « Les mathématiques pures sont constituées par la classe de toutes les propositions de la forme « p implique q » dans lesquelles p et q sont des propositions contenant une ou plusieurs variables, les mêmes dans les deux propositions, et ni p ni q ne contiennent de constantes quelconques si ce n’est des constantes logiques. Et les constantes logiques sont toutes les notions qui peuvent être définies dans les termes de celles qui suivent : l’implication, la relation d’un terme à une classe dont il est un élément, la notion de tel que, la notion de relation et certaines autres notions qui peuvent être impliquées dans la notion générale de propositions de la forme ci-dessus. En plus de celles-là, les mathématiques utilisent une notion qui n’est pas un constituant des propositions qu’elles considèrent, à savoir la notion de vérité. »