Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

logique (suite)

La logique mathématique


L’algèbre* de la logique

L’algèbre de la logique voit le jour avec deux ouvrages qui paraissent simultanément en 1847 (The Mathematical Analysis of Logic, being an Essay towards a Calculus of Deductive Reasoning, de Boole, et Formal Logic, de De Morgan). Elle comprendra deux parties principales : l’algèbre des classes et l’algèbre des relations. Avec l’introduction du traitement algébrique de la logique se trouve réalisée effectivement la mathématisation de cette discipline, qui avait déjà été entrevue et esquissée par Leibniz.

Si Augustus De Morgan (1806-1871) apporte des idées neuves, son point de départ est en fait le plus souvent la logique traditionnelle, c’est-à-dire la théorie du syllogisme, à laquelle il a consacré notamment quatre mémoires importants parus entre 1850 et 1863 dans les Cambridge Philosophical Transactions. Il avait eu à ce sujet une querelle de priorité avec sir William Hamilton (1788-1856), dont l’innovation majeure avait consisté à introduire en 1833 la quantification du prédicat en plus de celle du sujet. En fait, De Morgan n’eut pas de peine à établir que sa théorie était tout à fait indépendante et fondamentalement différente de celle de Hamilton. C’est à lui que l’on doit l’introduction de la notion d’« univers du discours » pour désigner le domaine plus ou moins restreint des choses auxquelles on se réfère, le plus souvent implicitement, lorsqu’on introduit un couple de concepts opposés (par exemple l’ensemble des animaux pour le couple « vertébré/invertébré »). La Formal Logic contient des éléments d’algèbre des classes. On y trouve notamment formulées les lois de dualité entre la somme et le produit.
(FG)′ = F′ + G′, (F + G)′ = F′G′,
qui peuvent être transposées au calcul propositionnel, où elles sont valables pour la conjonction et la disjonction ; on les a appelées également plus tard lois de De Morgan.

Mais c’est surtout l’algèbre des relations qui a reçu de De Morgan une impulsion décisive. En un certain sens, celui-ci peut en être considéré comme le véritable créateur. La mise au jour de l’idée générale de relation constitue un événement d’une importance capitale qui dépossède la syllogistique de sa position privilégiée et la fait apparaître comme une partie importante, mais très réduite, d’une logique beaucoup plus vaste. Les progrès les plus remarquables en matière de logique des relations seront accomplis, après De Morgan, par Peirce, Ernst Schröder (1841-1902) et Russell.

La méthode utilisée par George Boole* en 1847 et 1854 (An Investigation of the Laws of Thought, on which are founded the Mathematical Theories of Logic and Probabilities) n’est pas exactement ce que l’on peut appeler une algèbre des classes, mais plutôt une application de l’algèbre numérique ordinaire à la logique des classes. On se donne une algèbre dont les variables x, y, z, etc., n’admettent comme valeurs que les nombres 0 et 1 et dont les axiomes, les opérations et les lois se révèlent être, dans une interprétation appropriée, ceux d’une algèbre des classes. L’interprétation en question est celle qui fait correspondre aux symboles littéraux des concepts interprétés en extension (c’est-à-dire des classes), à « 0 » la classe vide et à « 1 » la classe universelle. 1.x, ou x, est la classe obtenue en sélectionnant dans 1 tous les objets qui sont des X ; 1.x.y,ou xy, la classe dont les éléments sont à la fois des X et des Y ; x + y la classe dont les éléments sont soit des X, soit des Y, mais non les deux ; x – y la classe dont les éléments sont des X, mais ne sont pas des Y ; 1 – x la classe dont les éléments ne sont pas des X. La loi qui distingue l’algèbre binaire de l’algèbre numérique ordinaire est « x2 = x », que nous appellerions aujourd’hui la loi d’idempotence et que Boole appelle index law. La loi « x (1 – x) = 0 » exprime, dans l’interprétation logique, la loi de contradiction ou, comme Boole l’appelle, la loi de dualité ; « x + (1 – x) = 1 », la loi du tiers exclu, etc.

Le fait que Boole exige que, dans x + y, x et y soient deux classes disjointes (ce qui a l’avantage de rendre l’addition et la soustraction strictement inverses) lui interdit de reconnaître deux lois importantes de l’algèbre des classes classiques :
(1) x + x = x et (2) x = x + xy.

Une des améliorations apportées par William Stanley Jevons (1835-1882) au calcul logique de Boole a consisté à interpréter le symbole « + » par la réunion de deux classes, c’est-à-dire à remplacer l’interprétation exclusive de la somme logique par l’interprétation inclusive. John Venn (1834-1923) est plus proche de Boole que Jevons. On retrouve chez lui l’inspiration mathématique que le second avait vivement reprochée au premier, et l’interprétation exclusive de l’addition. Mais il est surtout connu aujourd’hui par l’introduction des diagrammes qui portent son nom et qui constituent un perfectionnement de ceux d’Euler. Les trois cercles eulériens qui servent à la représentation d’une inférence syllogistique sont tracés de manière à se couper tous deux à deux, divisant par le fait le rectangle dont la surface représente l’univers du discours considéré en huit compartiments. Pour représenter les prémisses, on hachure certains compartiments, qui symbolisent des classes vides, et on inscrit une croix dans d’autres, qui correspondent à des classes occupées. Si l’inférence que l’on a à étudier fait intervenir n termes (n > 3), on pourra utiliser des ellipses ou d’autres figures plus compliquées, qui, par leurs intersections, divisent le rectangle en 2n compartiments, et procéder ensuite de la même manière.

L’algèbre de la logique trouvera son achèvement et son couronnement dans deux ouvrages de synthèse publiés à la fin du siècle : les Vorlesungen über die Algebra der Logik (Leçons d’algèbre de la logique), en trois volumes (1890-1905), de Schröder, et le Treatise on Universal Algebra (1898), d’Alfred North Whitehead (1861-1947). Le premier est remarquable en tant qu’exposé technique d’ensemble ; le second est beaucoup plus philosophique, intéressé davantage par le problème des fondements d’un calcul algébrique en général. L’algèbre de la logique sera axiomatisée pour la première fois de façon satisfaisante par E.-V. Huntington (1904). Il faut faire ici une place à part au logicien et mathématicien russe Platon Sergueïevitch Poretski (1846-1907), dont les méthodes originales et très perfectionnées sont exposées en partie dans l’Algèbre de la logique (1905) de Louis Couturat (1868-1914).