Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

liturgie (suite)

La célébration hebdomadaire est organisée autour du dimanche, noyau très ancien du culte chrétien, au point qu’il est difficile de déterminer si à l’âge apostolique ce « jour du Seigneur » fut une pâque hebdomadaire ou si la fête de Pâques fut le premier dimanche. Celui-ci semble s’être imposé par rapport au sabbat comme un jour décisif, marqué par la venue de Dieu dans l’histoire humaine et qui échappe par là à la durée cosmique, tout en remplissant cette durée d’une promesse assurée de salut. Il anticipe le grand jour du repos, où il n’y aura plus de temps, comme il anticipe, par la célébration de la Sainte Cène, le retour glorieux du Seigneur. Le cycle hebdomadaire, hérité de la Synagogue, fut, lui aussi, l’objet d’une refonte fondamentale. Centré sur la Résurrection, il célèbre l’ordre de la création, élevé par l’annonce du salut au-dessus de la mutabilité, dans laquelle les choses sont encore plongées.

Le cycle des heures quotidiennes vient, en particulier en milieu monastique, parachever cette ordonnance liturgique et intégrer la totalité du temps dans le « mystère » du Christ. Ce n’est pas seulement une prière de toutes les heures ; c’est l’acte d’intercession constante de l’Église encore retenue dans les rets du péché, et c’est l’expression la plus vive de l’attente de la seconde venue du Christ, venue qui ne cesse de se produire au cours de l’histoire, mais qui doit se produire ultimement pour la « récapitulation » de toutes choses.

B.-D. D.


La liturgie protestante

À l’origine, il y a une indifférence, pour ne pas dire une hostilité des réformateurs à l’égard de la liturgie, et Luther* ira jusqu’à déclarer que toute célébration rituelle est l’expression de l’orgueil spirituel de l’homme religieux et de sa volonté d’accomplir des œuvres méritant la justification. Seule lui importe la prédication claire et populaire de la parole de Dieu, l’annonce du salut par la grâce, par le moyen de la foi seule, excluant toute notion, même liturgique, d’œuvre méritoire.

S’il y a, cependant, une réflexion et une production liturgiques protestantes, c’est pour des raisons pratiques et pastorales : aucune communauté, de quelque importance qu’elle soit, ne peut se réunir sans un cadre extérieur, sans un minimum de règles liturgiques. Et c’est pourquoi Luther publie dès 1523, d’abord pour Wittenberg et contre les anabaptistes, « un ordre du culte pour la communauté » et dès 1526 « la messe allemande », formulaires provisoires, à changer « aussi souvent que nécessaire et selon qu’il paraîtra bon ». Ce sont ces textes du réformateur qui seront codifiés, figés peut-être par ses successeurs, qui n’héritèrent pas toujours de sa souplesse et de sa richesse inventive.

Du côté réformé, c’est au cours de son séjour à Strasbourg et sous l’influence de Martin Bucer* que Calvin* est conduit à mettre au point « la forme des prières et chants ecclésiastiques avec la manière d’administrer les sacrements et consacrer le mariage selon la coutume de l’Église ancienne », qui sera publiée en 1542, immédiatement après le retour du réformateur à Genève. On remarque la prétention, constante dans toute la première période de la Réforme, de renouer avec l’Église primitive, prétention plus dogmatique qu’historique d’ailleurs, car il ne semble pas qu’une recherche approfondie sur la nature du culte chrétien originel ait précédé la mise au point de la plus ancienne liturgie protestante de langue française.

Dans la liturgie tant luthérienne que réformée, l’une et l’autre évidemment en langue vulgaire, on va donc, paradoxalement, mais tout naturellement, retrouver l’ordre habituel... de la messe : invocation trinitaire, introït d’adoration, confession des péchés suivis de la déclaration de pardon, ou absolution, lectures de l’Écriture (péricopes ecclésiastiques, ou lectio continua) précédant ou suivant la récitation du Credo, prédication ne durant guère moins d’une heure au xvie s. et, aujourd’hui encore, de quinze à trente minutes. Tout cet ensemble constitue la liturgie de la Parole, qui est normalement suivie de la liturgie du sacrement : action de grâces et intercession, « Notre Père », préface et Sanctus, épiclèse, mémorial, consécration, communion, louange, bénédiction.

Deux remarques s’imposent. S’il n’y a pas création nouvelle d’une formule liturgique originale, c’est à la fois par souci de manifester la continuité entre l’Église ancienne et les communautés de la Réforme, qui se considèrent comme ses héritières authentiques, et parce qu’on a le sentiment, sans doute imprudent, que, si l’on change le contenu de la liturgie (plaçant en son cœur l’annonce du salut gratuit), la forme générale et les différents moments peuvent en être conservés.

Et puis, complète à l’origine, la liturgie est fréquemment célébrée sans le sacrement, cela par réaction contre ce qui fut souvent considéré comme l’aspect magique de la messe ; d’où un appauvrissement qui ne cède que longtemps après la Réforme, sous l’influence des mouvements de renouveau liturgique, principalement entre les deux guerres mondiales. Dès lors, le service dominical comprend, une ou plusieurs fois par trimestre, l’administration du baptême au début de la liturgie de la Parole, et la liturgie, ainsi, devient le résumé des grands moments de la vie chrétienne, du baptême à la cène, en passant par l’acte prophétique de la prédication, actualisation de la Parole originelle.

Pour les pays de langue française, en France et en Suisse notamment, de nombreuses publications et de remarquables manuels attestent l’importance de cette reconstruction, fortement marquée par les recherches et la pratique quotidienne de la communauté de Taizé : nul doute, en effet, que l’office œcuménique de ces moines, protestants en majorité, n’ait redonné à nombre de chrétiens et de paroisses de la Réforme le sens de la beauté, du geste, de l’acclamation, de la récitation et du chant antiphonés... inscrits dans la tradition liturgique universelle.