Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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littérature (suite)

Parallèlement, les cultures nationales modernes prennent conscience de leur originalité face aux cultures universelles et intemporelles de l’Antiquité. Cela commence naturellement par l’affirmation de la langue. Dès le xvie s. apparaissent dans tous les pays d’Europe des « défenses et illustrations » dont la lignée continue à notre époque pour les langues jadis orales qui accèdent une à une à l’expression littéraire.

Ce modernisme et ce nationalisme se traduisent souvent par une recherche des origines médiévales. C’est ainsi qu’en 1581 Claude Fauchet (1530-1602) écrit son Recueil de l’origine de la langue et poésie françoise, ryme et romans. Plus les noms et sommaire des œuvres de 127 poètes françois vivans avant l’an MCCC. Moins d’un siècle après cette tentative encore maladroite, le traité de Daniel Huet (1630-1721) De l’origine des romans, qui, en 1670, sert de préface au Zaïde de Mme de La Fayette, est déjà de l’historiographie explicative au sens contemporain du mot.

Cette évolution entre dans le cadre de ce que Paul Hazard (1878-1944) appelle la crise de la conscience européenne. Elle atteint une phase critique au xviiie s. C’est en 1733 que les bénédictins de Saint-Maur publient le premier volume de leur gigantesque Histoire littéraire de la France, dont la rédaction s’est poursuivie jusqu’à notre époque. Cependant, le terme de littéraire déborde ici largement de ce que nous appelons maintenant littérature. C’est une histoire de la culture écrite dont les belles-lettres ne sont qu’un aspect.

Il faut, comme nous l’avons dit, attendre les dernières années du xviiie s. pour qu’apparaisse une véritable histoire de la littérature. C’est en 1790-1798 que paraît par exemple en Allemagne le Compendium der deutschen Literaturgeschichte d’Erduin Julius Koch (1764-1834). Ce n’est encore qu’un catalogue studieux, mais le mot est là pour rester.


Le temps des historiens

Un contenu lui est très vite donné par la génération de Mme de Staël, et notamment par Frédéric Friedrich von Schlegel (1772-1829), qui publie en 1815 sa Geschichte der alten und neueren Literatur. Les notions de Zeitgeist (esprit d’époque) et de Volksgeist (esprit national) dominent alors l’histoire littéraire, dont le développement suit pas à pas l’éveil et l’affirmation des nationalités. Tout au long du xixe s. et jusqu’à notre époque, chaque pays fait et recommence inlassablement l’histoire de sa littérature, où il trouve souvent l’expression la plus significative de son identité.

Mais à côté du problème des intentions se pose très vite celui des méthodes. Les premiers historiens de la littérature étaient souvent des historiens tout court. Ce fut notamment le cas en France de A. F. Villemain et d’Edgar Quinet. Or, dès le milieu du xixe s. apparaît le personnage de l’historien de la littérature, distinct du critique littéraire, mais étroitement associé à lui. C’est un spécialiste armé de tout un arsenal de méthodes spécifiques qui portent la marque de la tendance universitaire dominante.

En Angleterre, de William Hazlitt à Matthew Arnold, c’est un impressionnisme à base de pénétration psychologique et d’analyse morale. Sous l’influence notamment de Carlyle*, l’étude des grandes personnalités littéraires compose l’essentiel de l’histoire de la littérature, qui se découpe en époques dominées chacune par des Shakespeare, des Dryden, des Pope, le docteur Johnson, etc.

En Allemagne, c’est la philosophie qui domine, en particulier pour les littératures anciennes et médiévales. En France, bientôt ce sera le positivisme de Taine*. Cependant, jusqu’au milieu du xixe s., avec Georg Gervinus en Allemagne et Désiré Nisard en France, l’histoire politique conditionne l’histoire littéraire. De cette époque date la vision traditionnelle qu’ont les Français de leur époque classique, vision en fait plus politique que vraiment littéraire.

La tentative de Taine est la première à donner une méthodologie spécifique à l’histoire de la littérature. C’est une méthodologie positiviste calquée sur celle des sciences de la nature. Le fait littéraire y est considéré comme déterminé par la race, le milieu et le moment. Comme l’a écrit G. Lanson, « cette forte doctrine a le tort de tout expliquer ». L’influence de Taine a été énorme tant en France qu’à l’étranger, mais son Histoire de la littérature anglaise (1864-1872) reste un des rares monuments réussis du tainisme.

Bien que très différente de celle de Taine, surtout parce que moins positiviste, la tentative de Brunetière s’en rapproche dans la mesure où elle cherche à appliquer aux genres littéraires les idées darwiniennes sur l’évolution des espèces.

En fin de compte, l’historien de la littérature qui a su hériter de la rigueur positiviste, mais en éviter les écueils est Gustave Lanson (1857-1934). Son règne a commencé en 1894 avec sa fameuse Histoire de la littérature française, et l’on ne peut pas dire qu’il soit entièrement achevé. Montrant que l’assimilation de la science littéraire aux sciences de la nature ne peut être que métaphorique, Lanson définissait ainsi la spécificité de l’histoire littéraire : « Nous ne pouvons expérimenter, nous ne pouvons qu’observer. » Le seul défaut de la doctrine lansonienne, mais il est de taille, est qu’elle s’interdit toute critique esthétique et s’en tient sur ce point au jugement impressionniste.

C’est le sentiment de ce manque qui a provoqué une vaste réaction antipositiviste en Europe à la fin du xixe s. Cette réaction s’est manifestée d’abord en Allemagne, où dominait la science philologique, mais aussi en Italie avec la Storia della letteratura italiana (1870-71) de Francesco De Sanctis*, maître de Benedetto Croce*, et en Espagne avec l’Historia de las ideas estéticas en España (1883-1891) de Marcelino Menéndez Pelayo.


Synchronie et diachronie

La réaction contre les idées positivistes a été largement nourrie par l’apparition d’une Literaturwissenschaft, ou science de la littérature, plus orientée vers la synchronie du fait littéraire que vers sa diachronie. Un de ses points de départ a été l’œuvre immense de Wilhelm Dilthey (1833-1911), qui s’étage de 1870 aux textes posthumes de 1933. Il y a une filiation directe des idées de Dilthey à celles des formalistes russes et, par leur intermédiaire, à celles des structuralistes de la seconde moitié du xxe s. Le très fort courant antihistoriciste qui s’est manifesté en France après la Seconde Guerre mondiale tend à s’atténuer, mais il est certain qu’il a contribué à faire perdre à l’histoire littéraire la suprématie qui était la sienne du temps du lansonisme.