Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

littérature (suite)

Le littéraire peut se compromettre avec le non-littéraire ; tout discours est à la fois nominaliste et réaliste. À rejeter le signifié, l’écrivain donne dans l’idéalisme. Le problème de la littérature moderne est fondamentalement celui du rapport avec le réel, sans doute comme mode d’expression, mais plus essentiellement comme praxis. Roland Barthes nous invite à chercher dans Sarrasine de Balzac le scriptible, manière de parole libre que nous entendons, opposé au lisible — ce qui est à lire —, dont le sens est figé par l’idéologie. Il installe la lecture et l’écriture hors de tout champ culturel afin de sauver leur spécificité. L’auteur et le lecteur conservent une entière liberté, parce que la signification n’est pas fixée. La forme reste même douteuse : le livre peut être joué, lu, filmé, jeté, affirme Marguerite Duras. Le refus de toute répression conduit à une manière d’indétermination dans la création et aussi à des incertitudes théoriques : les descriptions de Robbe-Grillet ne varient pas au rythme de ces thèses romanesques. En accentuant le caractère scriptuaire du texte, en limitant le littéraire à lui-même, de manière stricte, on le rend d’autant plus fragile, parce qu’on le définit comme la limite entre un non-texte (ce qui n’a pas été dit) et un surtexte (l’interprétation libre à laquelle le lecteur est invité), qui en font non pas un lieu libre d’idéologie, mais celui où celle-ci s’inscrira anarchiquement au gré du lecteur. Faute d’admettre la force du réel, cette littérature en devient nécessairement le jouet dès qu’elle est livrée au public.

J. B.

➙ Communications de masse / Critique / Écrivains, auteurs, hommes de lettres / Engagement en littérature (l’) / Livre (sociologie du).

 G. Genette, Figures (Éd. du Seuil, 1966). / P. Sollers, Logiques (Éd. du Seuil, 1968).


L’histoire de la littérature

L’histoire de la littérature est une notion qui nous paraît familière. Elle est pourtant d’apparition relativement récente. D’abord, l’histoire elle-même comme étude explicative d’un devenir ne s’est vraiment développée qu’au xixe s. C’est progressivement, entre la Renaissance et la fin du xviiie s., qu’elle a cessé d’être purement descriptive ou narrative.

D’autre part, c’est pendant la même période que s’élabore le concept de littérature tel que nous le connaissons aujourd’hui. La litteratura des Latins n’était pas un objet de connaissance, mais une manière d’être, et le mot désignait ce que nous appellerions la culture acquise par la fréquentation des livres. Les choses n’avaient guère changé du temps de Voltaire. On connaissait les belles-lettres comme une forme d’art, mais, quand il s’agissait de désigner le phénomène historique, on parlait de poésie, de philosophie ou d’éloquence.

C’est en Allemagne, vers 1760, que le mot Literatur semble avoir été employé pour la première fois par Lessing* pour désigner explicitement l’objet littéraire. L’usage s’en est très vite répandu dans toute l’Europe. On peut désormais parler de la littérature comme de quelque chose qui se connaît et s’étudie. C’est ainsi que Mme de Staël* en parle en 1800 dans son célèbre ouvrage De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales.

Comme, à cette époque, l’histoire est un des modes de la connaissance qui s’affirme avec le plus de vigueur, il est normal qu’apparaisse une histoire de la littérature.


Répertoire et biographie

Il serait cependant absurde de prétendre, sous prétexte que les mots pour la désigner n’existaient pas, que l’histoire de la littérature n’ait pas eu d’antécédents dans le passé.

L’exégèse homérique, qui domine l’érudition littéraire grecque, comportait une critique de textes qui ne pouvait ignorer la dimension historique. Les Alexandrins, en particulier, ont dû se donner des instruments bibliographiques permettant le répertoriage et le classement de la production passée, comme les Pinakes (tableaux) de Callimaque vers 250 av. J.-C. Ainsi naît la bibliographie chronologique, qui demeurera jusqu’à notre époque un des plus précieux outils de l’historien de la littérature.

À Rome, on assiste à la naissance d’une certaine conscience historique du fait que la culture latine se sent l’héritière de la culture grecque. On en trouve des reflets dans Cicéron ou dans Quintilien, mais la théorie dogmatique reste maîtresse. C’est par le biais de la biographie à l’imitation de Plutarque que l’histoire prend pied dans les lettres. Les hommes illustres dont Suétone raconte les vies sont tous des écrivains latins. C’est un genre qui demeurera vivace tout au long des siècles et qui l’est encore. Au xiiie s., Ibn Khallikān (1211-1282), le Plutarque de l’islām, a conté de nombreuses vies d’écrivains arabes. À peu près à la même époque, c’est grâce aux Vies des troubadours d’Uc de Saint-Circ que nous est connu tout un aspect de la littérature médiévale.


Le sens de l’histoire

L’éveil à la conscience du devenir est une des caractéristiques de l’esprit de la Renaissance. Du point de vue littéraire, il est favorisé par la conquête de l’identité, identité de l’écrivain d’une part, identité de la culture nationale de l’autre.

Comme l’a fait remarquer René Wellek, avec l’imprimerie l’écrivain sort de l’anonymat et acquiert une dimension historique. Le poète médiéval n’est pas forcément un inconnu, mais il n’a pas ce lien rigoureux avec une œuvre à forme fixe et définitive que possède l’écrivain moderne. Désormais, l’écrivain devient un personnage historique défini par un corps de textes précis et datés. Il a une situation dans l’histoire. Quand on parle de lui, il ne s’agit plus simplement de biographie anecdotique. Vers 1360, la vie de Dante par Boccace* relevait déjà de l’histoire littéraire. Le Summarium (1548) des principaux écrivains britanniques, compilé par l’évêque anglais John Bale (1495-1563), contient une séquence historique qui permet d’entrevoir une évolution.