Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

littérature (suite)

Un autre mouvement antitainien a été la littérature comparée, d’apparition relativement récente puisqu’elle ne s’est répandue dans les universités françaises qu’après la Seconde Guerre mondiale. Une de ses ambitions, avec ses fondateurs Fernand Baldensperger, Paul Hazard, Jean-Marie Carré, était de délivrer l’étude du fait littéraire du carcan des chronologies nationales. La littérature comparée demeure une discipline largement historique, mais l’histoire n’est pas l’objet principal de son étude. La recherche sur les thèmes ou sur les genres comporte des regroupements et des rapprochements synchroniques qui donnent à la littérature comparée un caractère particulier, à mi-chemin entre l’histoire de la littérature et la science de la littérature. De plus en plus, d’ailleurs, elle est conduite à se préoccuper de théorie littéraire.

On continue à publier de monumentales histoires de la littérature, comme l’Oxford History of English Literature ou l’Histoire de la littérature soviétique de l’Académie des sciences de l’U. R. S. S. Mais souvent, sous l’influence de la littérature comparée, on assiste à des tentatives synthétiques de littératures mondiales, de littératures universelles ou de littératures multinationales, comme l’Histoire des littératures européennes entreprise par l’Association internationale de littérature comparée.

On peut, cependant, penser que le temps des grandes histoires descriptives de la littérature est passé et que, compte tenu des nécessaires révisions et mises à jour, ce genre d’entreprise n’offrira plus de nouveautés appréciables. C’est par d’autres biais que la littérature trouvera sans doute sa dimension historique. La sociologie de la littérature telle que l’on conçue György Lukács* et son disciple Lucien Goldmann peut en être un. Les structures de l’œuvre littéraire y sont perçues dans leur relation avec les structures économico-sociales de la situation historique qui lui a donné naissance. Cette manière de voir les choses est particulièrement bien adaptée aux exigences de la pensée marxiste.

La contribution du marxisme à l’histoire littéraire contemporaine est d’ailleurs considérable. Pour ne donner qu’un exemple, le problème ardu de la « périodisation », c’est-à-dire du découpage chronologique et des grandes articulations des faits littéraires, est considérablement éclairci par la prise en considération des relations économiques et des tensions sociales qui en sont l’effet.

Après avoir longuement cherché sa spécificité, la littérature sera, sans doute, maintenant amenée à chercher son insertion dans l’histoire des relations humaines. Phénomène longtemps élitaire, privilégié, elle tend à se « massifier », et l’historien de la littérature est conduit de plus en plus à prendre en compte rétrospectivement ce qui, jusqu’ici, était rejeté dans les ténèbres de la sous-littérature ou de la para-littérature. En outre, la littérature n’est plus le seul mode de communication culturelle utilisant le langage. Les moyens de communication audio-visuels estompent et parfois effacent les frontières de l’écrit. Il existe déjà pour le dernier demi-siècle une histoire du cinéma qu’il est bien difficile de dissocier de l’histoire de la littérature. Demain, d’autres délimitations, sans doute, se révéleront impossibles, et peut-être alors faudra-t-il envisager l’histoire de la littérature comme un simple cas particulier de l’histoire de la communication.

R. E.

 P. Lacombe, Introduction à l’histoire littéraire (Hachette, 1898). / G. Renard, la Méthode scientifique de l’histoire littéraire (Alcan, 1900). / H. et J. Pauthier, l’Histoire littéraire (A. Colin, 1911). / A. Morize, Problems and Methods of Literary History (New York, 1922). / G. Rudler, les Techniques de la critique et de l’histoire littéraire en littérature française moderne (Oxford, 1923). / R. Unger, Literaturgeschichte als Problemgeschichte (Königsberg, 1924) ; Literaturgeschichte als Geistesgeschichte (Halle, 1925). / J. W. H. Atkins, Literary Criticism in Antiquity (Cambridge, 1934 ; 2 vol.). / R. Wellek, The Rise of English Literary History (Chapel Hill, Caroline du N., 1941). / F. Baldensperger, la Critique et l’histoire littéraires en France au xixe et au début du xxe siècle (New York, 1945). / P. H. Teesing, Das Problem der Perioden in der Literaturgeschichte (Groningue, 1948). / R. Wellek et A. Warren, The Theory of Literature (New York, 1949 ; trad. fr. la Théorie littéraire, Éd. du Seuil, 1971). / R. Escarpit, « Histoire de l’histoire de la littérature », dans Histoire des littératures sous la dir. de R. Queneau, t. III (Gallimard, « Encyclopédie de la Pléiade », 1959). / B. Gros (sous la dir. de), la Littérature (Denoël, 1970). / Problèmes et méthodes de l’histoire littéraire (A. Colin, 1974). / G. Delfau et A. Roche, Histoire, littérature. Histoire et interprétation du fait littéraire (Éd. du Seuil, 1977).


La littérature comparée

La littérature comparée, constituée comme discipline littéraire « scientifique » à la fin du xixe s., naît, à l’époque romantique, de la claire conscience du cosmopolitisme et des traits nationaux propres à toute création esthétique — la tradition étant conçue non plus seulement comme norme, mais aussi comme genèse et trace d’une évolution continue dont il faut définir la nécessité. Apparentée, par ses premiers desseins, aux méthodes comparatives qui se développent dès le xviiie s. en zoologie, en anatomie, puis après 1820 en embryologie, en physiologie, et dans le domaine culturel — géographie, histoire, mythologie et linguistique —, elle doit beaucoup au progrès des sciences historiques et à la rigueur du positivisme. Comme toute forme d’étude littéraire, elle reste étroitement dépendante des thèses et des systèmes dominants dans les sciences exactes et humaines. La crise de la littérature comparée, que l’Américain Rene Wellek et ses imitateurs ont décrite, et les vives polémiques d’il y a presque vingt ans traduisent sans doute les oppositions des différentes écoles nationales ou même continentales — dans le Yearbook of General and Comparative Literature, les spécialistes ont parfois mené un dialogue qui reproduit les oppositions habituelles du Nouveau et de l’Ancien Monde —, mais elles marquent aussi l’adaptation de la discipline à de nouveaux modes d’enquête et d’analyse, qui, à l’historicisme et même souvent, pourrait-on dire, au causalisme premier, substituent la description du monde imaginaire suivant une symbolique issue des diverses psychanalyses et de l’anthropologie religieuse, la saisie d’une spécificité littéraire particulièrement fuyante ou approfondissent les rapports de l’art et de la communauté par la sociologie.