Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Li Po ou Li T’ai-po

En pinyin Li Bo ou Li Taibo, poète chinois de la dynastie des Tang (701-762).


Il est avec son contemporain Du Fu (Tou Fou*) le plus grand poète de la Chine et certainement le plus célèbre et le plus traduit en Occident. Son lieu de naissance et sa famille sont mal connus. Son père, sans doute marchand dans les provinces du Nord-Ouest (Xinjiang [Sin-kiang] actuel), s’installa au Sichuan (Sseu-tch’ouan) quand Li Bo avait cinq ans. C’est dans cette province éloignée de la capitale que le poète passe son enfance, nourri des classiques et d’arts martiaux. C’est le début d’une vie d’errances et de fortunes diverses qui répond bien à un caractère foncièrement indépendant et insouciant. À vingt ans, maniant aussi bien l’épée que le pinceau, Li Bo part vivre sa vie dans les montagnes, comme les chevaliers errants de jadis. Plus tard, à Yangzhou (Yang-tcheou), on raconte qu’il dilapide en un an une fortune considérable. Quelque peu assagi, il épouse une jeune fille de bonne famille, dont il a un fils et une fille. Li Bo se mariera au moins trois fois, mais on ignore le nom de ses épouses et le nombre exact de ses enfants. À trente-cinq ans, Li Bo reprend ses pérégrinations, cette fois dans le nord de la Chine. Il y mène joyeuse vie avec d’autres lettrés et s’intéresse au taoïsme. C’est à la suite d’un maître taoïste de renom qu’il se rend à la cour de Chang’an (Tch’ang-ngan). L’empereur Tang (T’ang) Xuanzong (Hiuan-tsong) lui fait fête et le choie comme un enfant terrible. Mais ses excès et ses frasques lui créent de nombreux ennemis, dont la concubine préférée de l’empereur, qui lui inspira pourtant de beaux poèmes. Au bout de trois ans, il quitte la capitale. Reçu partout avec les honneurs dus à son génie, il fréquente la haute société, les artistes et les écrivains, écrivant et buvant. La rébellion d’An Lushan (Ngan Lou-chan), en 755, marque un tournant dans sa vie. Entraîné par les rebelles, il est condamné à l’exil. Gracié pour ses mérites précédents et l’admiration que lui gardent des gens haut placés, il revient sur les bords du Yangzi (Yang-tseu). La légende raconte qu’il s’y noya une nuit où il voulut attraper le reflet de la lune sur le fleuve.

La poésie de Li Bo défie toute définition. Violentes et tendres, grandioses et délicates, débordant d’imagination ou toutes simples, les improvisations de Li Bo étonnent toujours par la justesse de leur expression, leur équilibre interne, leurs résonances infinies. Ses vers s’imposent par leur naturelle perfection. Perfection immuable, mais non immobile, qui se prête à toutes sortes de métamorphoses. Magie du verbe qui sans cesse recèle de nouvelles beautés, réveille de nouveaux échos. Si la poésie chinoise est généralement rebelle à la traduction, celle de Li Bo est essentiellement intraduisible. Car on peut dire que Li Bo incarne les particularités poétiques de la langue et qu’il a joué avec un talent inégalé de la puissance de suggestion des mots chinois. Les thèmes qui inspirent Li Bo n’ont rien de spécialement original dans la littérature chinoise. Il y a d’abord la description de la nature, comme dans le long poème intitulé Dure est la route de Shu (Shu-dao nan [Chou-tao nan]). Pour Li Bo, il n’y a pas de discontinuité entre l’homme et la nature : il se sent partie intégrante de l’univers et le considère comme un être animé. Montagnes, fleuves ou étoiles sont autour de lui comme des objets aimés depuis toujours ou de fidèles amis. C’est pourquoi, même si sa mort romantique n’est qu’une légende, elle exprime mieux que toute vérité les rapports intimes du poète et de la nature. Ce n’est pas un rêveur qui se noie par distraction, mais un amoureux de la lune trahi par son reflet. Li Bo sait traduire la lumière qui anime, humanise la nature :
Un vol d’oiseaux a disparu bien haut.
Un nuage isolé s’en va, oisif, solitaire.
Pour se regarder à deux sans se lasser,
Il n’y a que la montagne Jingting.

Un grand nombre de récits et de peintures représentent Li Bo ivre ou en train de boire. Il est vrai que le vin est un des personnages importants de ses poèmes. Symbole de la joie de vivre, l’alcool est aussi moyen d’oubli de ce monde et de ses tristesses. L’existence même de Li Bo est celle d’un homme ivre, qui se laisse ballotter par les circonstances, insouciant du lendemain et des réalités quotidienne, à la poursuite d’un bonheur fugace et conscient uniquement de l’heure qui passe. Dans le poème Buvant seul sous la lune, Li Bo, ayant levé sa coupe pour inviter le clair de lune à boire, dit : « La lune et mon ombre me tiennent un temps compagnie, / Que cette vie de plaisirs dure jusqu’au printemps ! »

Pourtant, Li Bo ne boit pas souvent seul. L’amitié tient un rôle important dans l’œuvre et la vie de Li Bo. Lui qui ne chante pour ainsi dire ni les femmes ni l’amour consacre de nombreux poèmes à ses amis. Les poèmes en guise d’adieu sont les plus fréquents.

Pourquoi Li Bo mérite-t-il le surnom de « génie céleste » que lui a donné la postérité chinoise ? Dès son époque, il fut considéré comme un être exceptionnel, et cette réputation n’a pas faibli au cours des siècles, alors que la plupart des autres poètes ont subi des fortunes diverses. Sans doute, cela est-il imputable à cette suprême aisance avec laquelle Li Bo vécut sa vie et composa son œuvre. Son vocabulaire poétique n’est ni très étendu ni très recherché, mais il a l’art des rapprochements qui étonnent, des images qui charment. Alliance de mots, juxtaposition de goûts, confusion des sens, transposition des sentiments du monde de la nature à celui des hommes, telles sont les caractéristiques de sa vision poétique. Tels ces « nuages blancs, couleur de mélancolie », ou ces « fleurs de poirier, au parfum de neige ».

D. B.-W.

Lippi (les)

Peintres italiens du quattrocento.



Fra Filippo Lippi

(Florence v. 1406 - Spolète 1469). Il prononce en 1421 ses vœux au couvent de Santa Maria del Carmine (Florence), où il reste dix ans. Mentionné comme peintre en 1430, sa première œuvre connue, datée de 1432, est la fresque de la Réforme de la règle carmélite. On y perçoit les influences de Masaccio* et de Masolino, plus sensibles encore dans la Madone d’humilité du musée du Castello Sforzesco de Milan, dont une coloration vigoureuse soutient la plasticité. On retrouve Fra Filippo Lippi à Padoue en 1434, à l’occasion d’un travail aujourd’hui disparu à la basilique du Santo. La Madone de Tarquinia, datée de 1437 (Galerie nationale, Rome), et le retable peint en 1437-38 pour la chapelle Barbadori de l’église Santo Spirito de Florence (Louvre) sont d’une tonalité obscure, encore proche des œuvres vénitiennes du gothique tardif. Mais l’interprétation du volume à travers le filtre changeant des lumières et des lignes mouvantes marque, par rapport à Masaccio, une évolution qui va faire de Lippi l’un des grands créateurs de son temps.