Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Léon XIII (suite)

Dès l’encyclique Quod apostolici muneris (28 déc. 1878), Léon XIII condamne le socialisme, le communisme et le nihilisme, leur opposant l’égalité chrétienne, de nature et de fin, qui n’exclut pas l’inégalité de droits et de puissance. Il renouvelle ces condamnations, quelques mois après l’assassinat du tsar Alexandre II, par l’encyclique Diuturnum (29 juin 1881).

Avec l’aide du secrétaire d’État Rampolla, Léon XIII maintient à l’égard des puissances (sauf l’Italie « spoliatrice ») une attitude de conciliation : en Allemagne, en particulier, s’apaise le Kulturkampf* ; les lois de mai 1873 de Bismarck* sont révisées en mai 1886 et en avril 1887. En France, par contre, les lois de 1880 (« article 7 ») inaugurent une politique anticléricale fondamentale, ce qui n’empêche pas le pape, une fois passée l’épreuve du boulangisme, de préconiser le ralliement à la république, chargeant le cardinal Lavigerie*, primat d’Afrique, d’en être le messager (toast d’Alger, 12 nov. 1890). Le pape précise sa pensée dans l’encyclique Inter innumeras sollicitudines (16 févr. 1892), qui demande aux catholiques français d’accepter la Constitution pour changer la législation ; le ralliement soulève d’abord peu d’enthousiasme ; mais, à la longue, cette politique portera ses fruits.

Avec la Belgique, les relations diplomatiques sont rétablies (1884), quatre ans après la rupture de Frère-Orban, chef d’un cabinet libéral. En Autriche, Léon XIII combat les restes du joséphisme.

Le pape projette même de nouer des relations permanentes avec le gouvernement anglais ; mais, devant les représentations du cardinal Manning, il recule ; cependant, il appuie l’œuvre de rapprochement avec l’Église anglicane, dont lord Halifax et l’abbé Portal se font les champions. Si la validation des ordinations anglicanes n’aboutit pas, du moins les conversions au catholicisme se multiplient-elles au Royaume-Uni. Léon XIII favorise aussi l’expansion catholique aux États-Unis, mais il met en garde les fidèles, par la lettre apostolique Testem benevolentiae (22 janv. 1899), contre l’américanisme, qui est une tendance à assouplir le dogme en vue de l’adapter à la vie moderne.

Léon XIII s’intéresse à tous les problèmes posés par la transformation de la société moderne, et il préconise des solutions tirées de la doctrine de l’Église. Tout en maintenant les droits de l’autorité et en condamnant la franc-maçonnerie (encyclique Humanum genus, 21 avr. 1884), il définit la place légitime des libertés populaires (Immortale Dei, 19 nov. 1885) et de la liberté tout court (Libertas, 20 juin 1888). Défenseur de la famille chrétienne face à la vague des divorces (Arcanum, 14 févr. 1880), il veut créer un ordre chrétien fondé sur la justice sociale.

Léon XIII, par une série d’initiatives, mérite d’ailleurs le titre de « pape social », de « pape des ouvriers ». Il refuse de condamner les Chevaliers du travail (Knights of Labour) américains, et reçoit plusieurs pèlerinages d’ouvriers français. En 1882, il patronne la fondation à Rome du Comité d’études sociales. Puis il encourage les rencontres de catholiques sociaux dans le cadre de l’Union catholique d’études sociales de Fribourg (1884-1891), animée par l’évêque de cette ville, Mgr Mermillod, et dont les travaux inspirent largement l’esprit et le contenu de l’encyclique Rerum novarum (15 mai 1891) sur la condition des ouvriers. Le pape y affirme le droit de propriété, tout en en marquant les limites : selon lui, l’homme doit connaître un régime de travail conforme à sa dignité et bénéficier d’un salaire juste. Des associations professionnelles, une législation ouvrière qui tienne compte des atteintes à la santé et à la moralité des travailleurs par suite des conditions économiques et sociales inhumaines, tels sont les moyens préconisés par le pape pour résoudre le problème social.

On doit encore mettre à l’actif de Léon XIII l’impulsion donnée aux études exégétiques et à la recherche scientifique (encyclique Providentissimus, Deus, 18 nov. 1893), le pape ouvrant aux chercheurs les archives du Vatican et patronnant ouvertement le thomisme (encyclique Aeterni Patris, 4 août 1879), parce que saint Thomas d’Aquin, « distinguant avec soin la raison et la foi et unissant amicalement l’une et l’autre, a sauvegardé les droits et la dignité de chacune ». Aeterni Patris sera au départ de ce qu’on appellera le néo-thomisme. L’une des dernières décisions du vieux pontife (lettre Vigilantiae, 1902) est la création de la Commission pontificale pour les études bibliques, promise à un si fructueux avenir.

Le pontificat de Léon XIII est capital dans l’histoire de l’Église, car, s’il a posé comme principe l’indépendance et la souveraineté des deux sociétés, l’Église et l’État, chacune dans son ordre, il a donné aussi deux principes qui contenaient un germe actif de développement et le fondement même de la possibilité du dialogue : le principe de la liberté de conscience religieuse comme garantie des droits de la personne ; le principe du bien commun comme norme de fidélité à l’État.

P. P.

➙ Catholicisme social / Église catholique.

 Mgr t’Serclaes, le Pape Léon XIII (Desclée De Brouwer, 1894-1906 ; 3 vol.). / F. Mourret, les Directions politiques, intellectuelles et sociales de Léon XIII (Bloud et Gay, 1920). / E. Soderini, Il Pontificato di Leone XIII (Milan et Vérone, 1932-33 ; 3 vol.). / R. Kothen, la Pensée et l’action sociales des catholiques 1789-1944 (Éd. universitaires, 1947). / E. T. Gargan, Leo XIII and the Modern World (New York, 1961). / F. A. Isambert, Christianisme et classe ouvrière (Casterman, 1961). / J.-J. Thierry, la Vie quotidienne au Vatican au temps de Léon XIII (Hachette, 1963). / L. P. Wallace, Leo XIII and the Rise of Socialism (Durham, N. C, 1966).

Léonard de Vinci

Peintre italien (Vinci, près de Florence, 1452 - château de Cloux [auj. Clos-Lucé], près d’Amboise, 1519).