Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Leibniz (Gottfried Wilhelm) (suite)

Dès cette époque, Leibniz sera le champion d’un renouveau patriotique de l’Allemagne. Devant les ambitions de Louis XIV, il tentera de restaurer la cohérence de l’Empire, dont les différents États seraient liés sur un mode fédéral, la prépondérance des protestants neutralisant les catholiques plus ou moins suspects de francophilie. Il essaiera aussi de détourner vers l’Égypte les visées expansionnistes de la France, projet où se lit un double désir d’épargner l’Allemagne et de réaliser par cette sorte de croisade l’unité des nations chrétiennes. Une mission liée à ce projet le conduit à Paris en 1672. Mais la guerre que Louis XIV déclare alors à la Hollande anéantit tout espoir que le projet aboutisse. Leibniz restera pourtant à Paris jusqu’en 1676 pour y rencontrer diverses célébrités. C’est alors qu’il se perfectionne dans les mathématiques, à l’instigation de Christiaan Huygens, et met au point le calcul infinitésimal, origine d’une célèbre querelle avec Newton, qui l’accusera de lui avoir volé cette découverte. Avec Arnauld et Bossuet, il tente de définir les conditions d’une négociation irénique qui aboutirait à la réunion des Églises. Appelé en 1676 à Hanovre, où la place de bibliothécaire lui était offerte par le duc Jean Frédéric de Brunswick-Lunebourg, il restera jusqu’à sa mort au service de la cour de Hanovre. Il se lie avec la comtesse palatine Sophie et avec sa fille Sophie Charlotte, qui, devenue reine de Prusse, l’aidera à fonder l’Académie des sciences de Berlin (1700). À la demande du duc Ernest Auguste, il s’engage à écrire une histoire de la maison princière de Brunswick, dont les recherches généalogiques qu’elle demande l’entraîneront de 1687 à 1690 à Vienne, à Rome (où son esprit de conciliation lui vaut l’offre d’un poste au Vatican s’il se convertit : ce qu’il refuse), etc. Tenu à l’écart des affaires sous Georges Louis (le futur George Ier d’Angleterre), il se tourne vers la Russie (Pierre le Grand le fait conseiller privé en 1712). En 1714, l’empereur le nomme baron.

Mais c’est dans la plus totale indifférence de son entourage qu’il mourra, le 14 novembre 1716, à Hanovre, alors que sa pensée achève de conquérir l’Europe.

L’œuvre mathématique de Leibniz

L’œuvre mathématique de Leibniz est à la fois la complémentaire et l’opposée de celle d’Isaac Newton*. S’insérant dans tout un courant de pensée qui remonte à l’Antiquité grecque et que les analystes du xvie et du xviie s. ont renouvelé, les deux hommes fondent tous deux l’analyse infinitésimale moderne. Mais Newton, physicien, mécanicien, génial créateur de la mécanique rationnelle, veut une mathématique directement efficace et manque ainsi de peu l’invention d’une symbolique enrichissante.

Venu plus tard aux mathématiques d’avant-garde, et cela grâce en particulier aux conseils de Christiaan Huygens, Leibniz a une formation et surtout un tempérament beaucoup plus philosophiques. Si tous deux s’inspirent de la mathématique cartésienne, à laquelle il leur arrive de s’opposer dans l’espoir de la surpasser, c’est Leibniz qui rêvera le plus à la découverte de nouveaux algorithmes, à une symbolique universelle et efficace, au prolongement de l’algèbre par des mécanismes mentaux nouveaux, véritables machines à penser, aptes à décupler la puissance de l’esprit humain. De son vivant, il ne réalisera son rêve que très partiellement. Sa machine arithmétique, supérieure à l’additionneuse de Blaise Pascal*, qui est de 1645, lui donne une place de choix parmi les précurseurs de la cybernétique. Ses notations de la différentielle et de l’intégrale se sont rapidement imposées ; Leibniz pressent le calcul des déterminants ainsi que l’Analysis situs, la topologie actuelle. Mais sa pensée a imprégné l’esprit de ses premiers disciples, les frères Bernoulli*. Elle a ensuite animé les travaux de Leonhard Euler*, puis et surtout ceux de Louis de Lagrange*, et elle reste toujours vivante dans certains aspects des mathématiques modernes.

J. I.


La philosophie

Jusqu’à sa mort, Leibniz ne cessera d’écrire sur les sujets les plus variés (« pareil en quelque sorte aux Anciens qui avaient l’adresse de mener jusqu’à huit chevaux attelés de front, il mena de front toutes les sciences », dira Fontenelle).

À ses ouvrages il faut ajouter d’importantes correspondances avec Spinoza, Hobbes, Antoine Arnauld, Bossuet, Malebranche, Bernoulli, Bayle, Clarke, etc., ainsi que tous les fragments publiés après sa mort ou qui attendent encore de l’être à la bibliothèque de Hanovre.

Ce n’est pas sans raison que l’on a caractérisé la pensée de Leibniz par son opposition au cartésianisme, opposition qui apparaît en effet en physique, en mathématiques, en théologie comme en métaphysique. Leibniz refuse la dualité des substances posée par Descartes : l’espace, en particulier, ne saurait être considéré comme une substance ; il n’est que l’ordre selon lequel les substances coexistent. Celles-ci (il les appelle des monades) sont des principes spirituels et seul le lien avec une telle entéléchie constitue une substance.

L’être de la monade est une force active (vis primitiva activa), plus métaphysique que physique, qui se manifeste d’abord par deux types d’actions : la perception (qu’il ne faut pas ramener à l’aperception consciente : il y a une infinité de « petites » perceptions qui sont inconscientes), par laquelle chaque monade « exprime » l’infinité des autres monades, et l’appétition, qui assure le passage d’une perception à l’autre.

S’il n’y a que des monades, il y en a de plusieurs ordres, selon qu’elles sont ou ne sont pas capables de mémoire : les monades qu’on appelle corps en sont dépourvues (corpus est mens momentanea), ainsi que les plantes, mais non les animaux, dont l’entéléchie est une âme. À son tour, l’âme est soit brute (empirique : chez les animaux), soit raisonnable (chez l’homme), selon qu’elle est capable ou non de connaître par réflexion la nécessité des vérités éternelles, l’identité du moi et la perfection de Dieu, capable de raisonnement.