Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Leibniz (Gottfried Wilhelm) (suite)

Raisonner, c’est toujours dégager des implications (praedicatum inest subjecto), mais ces implications peuvent reposer sur deux principes : le principe de contradiction et celui de raison suffisante. D’où, également, deux types de vérités : 1o des vérités logiques, nécessaires (leur contraire est impossible), démontrables par simple analyse, comme en mathématiques, où toutes les propositions sont déjà impliquées dans les définitions, les axiomes et les demandes d’où elles découlent ; 2o des vérités de fait, contingentes (leur contraire est possible) ; pour prouver leur raison, l’évidence, que le principe de contradiction garantit, n’est d’aucune utilité : il faut alors remonter à Dieu, seule et véritable raison suffisante de toute existence.

Dieu est infiniment parfait. Il est source des essences aussi bien que des existences (sans lui il n’y aurait « non seulement rien d’existant, mais rien de possible »), mais à des titres différents : si les essences dépendent de son entendement, les existences (contingentes) dépendent de sa volonté. Autrement dit : du fait de sa sagesse, Dieu distingue, entre tous les possibles que son entendement contient, celui qui est le meilleur ; du fait de sa bonté, c’est celui-là qu’il choisit et, du fait de sa puissance, il le produit. Parmi l’infinité des univers possibles, Dieu a donc créé (et continue de créer comme par des « fulgurations continuelles ») celui qui était le meilleur. Si la possibilité était le principe des essences, la perfection est maintenant celui des existences — perfection qui n’est pas une évidence (il faudra comprendre en effet que le meilleur des mondes implique le mal). Ce principe de raison sert de guide dans l’étude du monde, dont il permet de rattacher tous les objets à la sagesse divine en y retrouvant les principes de son action.

• Le principe de continuité. Le monde leibnizien est un monde dans lequel il n’y a rien de mort, puisque toute substance est monadique et que la monade est un principe vital. D’autre part, l’implication formulée au niveau des essences sous la forme praedicatum inest subjecto se traduit sur le plan existentiel par omne praesens gravidum est futuro, « le présent est gros de l’avenir », et cela depuis le premier instant. L’ensemble des monades, dont la compossibilité constitue le meilleur des mondes possibles, a dû être créé simultanément. Dès lors, il n’y a jamais dans le monde de naissances à proprement parler : ce mot désigne simplement la métamorphose des monades spermatiques, emboîtées les unes dans les autres depuis les reins d’Adam et qui accèdent au moment de la conception à un « plus grand théâtre ». Et la mort n’est, à son tour, qu’un retour de la monade à un « théâtre plus subtil ».

• Le principe des indiscernables. La monade (sans étendue) est un « point métaphysique » : un point de vue sur les autres monades que sa perception exprime. Chaque substance est ainsi un « miroir vivant » de l’univers, communiquant (mais à travers Dieu) avec toutes les autres substances à quelque distance spatiale ou temporelle qu’elles soient situées. Mais tout point de vue est unique. Il n’y a donc pas deux substances, deux monades identiques. Une différence, même infinitésimale (indiscernable), les distingue.

• L’harmonie préétablie. Toute monade est définie par la spontanéité de sa force active. Elle ne connaît ni n’éprouve rien qui ne vienne d’elle-même. Elle n’est sujette à rien qui ait une origine extérieure à elle ; « elle seule fait tout son monde ». Aussi est-ce Dieu qui accorde entre elles ces monades solipsistes (« sans portes ni fenêtres ») ; c’est lui qui « fait la liaison des substances et c’est par lui que les phénomènes des uns se rencontrent et s’accordent avec ceux des autres ». Tel est le premier aspect de l’harmonie préétablie. Le second éclaire l’union de l’âme et du corps : chacun des deux suit ses propres lois, elle les causes finales, lui les causes efficientes, aucun des deux ne pouvant agir sur l’autre, quoiqu’ils ne cessent de paraître en action réciproque ; l’harmonie que Dieu fait régner entre eux est la source de cette illusion.

Dans ce monde où Dieu a tout calculé d’avance, y compris la part du mal, la liberté a pourtant sa place. Dieu n’est pas responsable du péché d’Adam : Dieu permet sans doute qu’il y ait du mal, mais ce qu’il veut, c’est seulement le bien (le meilleur). « La racine du mal est dans le néant », c’est-à-dire dans ce qu’il manque à l’homme de perfection et dont Dieu n’est pas responsable, car il l’est, au contraire, dans sa bonté des seules perfections qu’il lui a effectivement données. Donc : « Dieu incline notre âme sans la nécessiter. »

Quelques écrits de Leibniz

droit : Codex juris gentium diplomaticus (1693)

géologie : Protogaea (publié en 1780)

histoire : Meditationes de originibus gentium (1710)

logique : De arte combinatoria (1666)

mathématiques : Analysis situs (1679) ; Nova Methodus pro maximis et minimis (1684)

pamphlets : Mars christianissimus (1683)

philosophie : Confessio naturae contra atheistas (1668) ; Dialogus de connexione inter res et verba et veritatis realitate (1677) ; Ouid sit idea (1678) ; Méditations sur la connaissance, la vérité et les idées (1684) ; Discours de métaphysique (1686) ; Remarques générales sur les « Principes » de Descartes et De la réforme de la philosophie première... (1694) ; Système nouveau de la nature et de la communication des substances (1695) ; De rerum originatione radicali (1697) ; De ipsa natura... (1698) ; Considérations sur la doctrine d’un esprit universel (1702) ; Nouveaux Essais sur l’entendement humain (1704, publié en 1765) ; Essais de théodicée (1710) ; Monadologie et Principes de la nature et de la grâce fondés en raison (1714)

physique : Hypothesis physica nova (1671) ; Brevis Demonstratio erroris memorabilis Cartesii (1686)

politique : Securitas publica (1670) ; Consultation touchant la guerre ou l’accommodement avec la France (1684) ; Exhortation aux Allemands pour mieux cultiver leur raison et leur langue avec, y joint, une proposition d’une Société teutophile (1696)

théologie : Demonstrationes catholicae (1669)

D. H.