Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

latin de Constantinople (Empire) (suite)

L’organisation de l’Empire latin

La substitution des dignitaires francs aux hauts fonctionnaires civils et militaires grecs, exception faite de Théodore Vranas qui épouse Agnès de France, l’introduction relativement facile du système féodal dans un monde byzantin depuis longtemps en voie de féodalisation et où la pronoia grecque présente une grande similitude avec le fief occidental, enfin le retour, qui suscite des graves réserves chez les autochtones, de l’Église grecque à l’obédience de Rome, telles sont quelques-unes des innovations essentielles introduites par les Francs dans l’Empire latin.

Très vive dans l’aristocratie terrienne et au sein des milieux religieux, qui sont les principales victimes du changement de régime, l’opposition s’apaise très rapidement lorsque les Francs ont l’habileté de garantir à Thessalonique et aux autres cités de l’Empire leurs privilèges et leurs coutumes, aux membres de la classe moyenne la possession de leurs pronoiai et de maintenir sur leurs terres les paysans libres et les parèques, dès lors dénommés francs hommes et vilains. En fait, ces derniers sont soumis aux mêmes impôts, services et corvées que précédemment : ils n’ont fait que changer de maîtres et n’auraient guère réagi au changement de régime sans l’introduction de certaines pratiques romaines qui blessent les sentiments religieux de tous les Grecs, telles le célibat ecclésiastique, l’usage du pain azyme et la récitation du filioque.


Erreurs et défaites (1204-05)

En soustrayant dès septembre 1203 l’Église bulgare au patriarcat de Constantinople, le pape Innocent III avait d’ailleurs déjà commis une grave maladresse en ce domaine. En écartant avec arrogance l’aristocratie grecque des fonctions auliques ou administratives, l’aristocratie franque en commet une seconde, car elle incite cette dernière à une révolte qui se traduit par la fondation, en 1204, de deux nouveaux États byzantins : l’Empire de Nicée, constitué en Asie Mineure par Théodore Lascaris, et le despotat d’Épire*, fondé en Grèce occidentale par Michel Ange Doukas. Les Byzantins prennent en tenaille l’Empire latin de Constantinople et s’efforcent, dès 1205, de reconquérir la Mysie et la Bithynie, lorsque la maladresse de Baudouin Ier provoque l’entrée en guerre du tsar des Bulgares Jean II Kalojan et, par contrecoup, la révolte des populations grecques de Thrace. Le tsar refuse, en effet, de restituer les anciens territoires byzantins dont l’empereur revendique la possession ; le 14 avril 1205, il bat à Andrinople les troupes latines rappelées d’Asie par Baudouin Ier, qui meurt peu après en captivité.


La survie de l’Empire latin (1205-1216)

L’habileté de Geoffroi de Villehardouin, qui sauve l’arrière-garde de l’armée vaincue, la prudence du frère de Baudouin Ier, Henri de Flandre et Hainaut, assurent la survie de l’Empire latin. Comme régent d’abord (1205-06), comme empereur ensuite (1206-1216), Henri rétablit habilement une situation très compromise. Peu après la mort du doge Enrico Dandolo, il conclut en effet en octobre 1205 avec le nouveau podestat Marino Zeno un accord qui impose aux Vénitiens comme aux Francs le service de chevauchée. La Thrace est en partie reconquise, Andrinople est dégagée le 28 juin 1206, et les Grecs sont ralliés. Sauvés de leurs dangereux et redoutés alliés bulgares, admis à la Cour par Henri, ces derniers voient dans l’empereur latin un sauveur. Menacé par Théodore Lascaris, David Comnène, souverain du royaume byzantin de Trébizonde* qui a annexé la Paphlagonie, s’allie même en 1206 à la garnison française de Pigae, ce qui permet aux Latins de reprendre pied en Asie Mineure, où ils s’allient bientôt aux Turcs contre l’empereur de Nicée. L’assassinat de Jean II Kalojan aux portes de Thessalonique (oct. 1207) et la défaite de son successeur aux portes de Philippopoli (1er août 1208) facilitent le redressement des Francs, dont le souverain impose alors sa tutelle au jeune Démétrius de Montferrat, qu’il couronne le 6 janvier 1209, peu avant de contraindre les barons francs de Grèce à lui prêter hommage au « Parlement » de Ravennika (mai 1209). Redoutant sa puissance, le despote d’Épire Michel Ange Doukas se reconnaît à son tour vassal de l’empereur latin. Maître de l’Europe, Henri peut reprendre la lutte en Asie et imposer finalement à l’empereur de Nicée la paix de Nymphaion (1214), par laquelle celui-ci lui cède la côte de Bithynie, y compris Nicomédie ainsi que la majeure partie de la Mysie. À l’intérieur de l’Empire latin ainsi territorialement consolidé, il pratique une politique de tolérance religieuse qui facilite le ralliement des indigènes, dont le clergé est autorisé à pratiquer le rite grec et est protégé contre l’intransigeance doctrinale et disciplinaire du légat Pélage.


Le déclin (1216-1261)

La mort d’Henri de Flandre et Hainaut (11 juin 1216) interrompt brutalement l’expérience de coexistence fraternelle de deux peuples latin et grec sous une même autorité. Élu par les barons en 1216, sacré à Rome le 9 avril 1217, son beau-frère l’empereur Pierre de Courtenay est fait prisonnier par le despote d’Épire Théodore Ange Doukas, avant même d’avoir atteint Constantinople. Décédé mystérieusement en captivité sans doute en 1218, il laisse le pouvoir à son épouse, Yolande de Courtenay (1217-1219), et à son fils Robert. Le quatrième empereur latin part de France à la fin de 1220, et est couronné à Sainte-Sophie le 25 mars 1221 ; en 1224, il ne peut empêcher le despote grec d’Épire de s’emparer de Thessalonique et le nouvel empereur de Nicée Jean III Vatatzès de reconquérir l’Asie latine, à l’exception de la seule presqu’île de Scutari. Ne contrôlant même plus Andrinople, l’inactif Robert de Courtenay meurt en 1228, au retour d’un voyage en Italie. Son frère l’empereur Baudouin II (1228-1261) n’a que onze ans, et les barons latins proclament régent et empereur l’énergique Jean de Brienne (1231-1237), qui brise le double assaut de l’empereur de Nicée Jean III Vatatzès et du tsar des Bulgares Jean III Asen II contre Constantinople (1235-36). Parti chercher du secours en Occident en 1236, Baudouin II regagne Constantinople en 1239-40 à la tête d’une importante croisade qui lui permettra de reprendre Tzurulum et de battre la flotte de Jean Vatatzès en 1240. Une trêve signée avec ce dernier en 1241, les luttes fratricides opposant les Grecs d’Épire aux Grecs de Nicée, des secours sollicités de l’Occident permettent à Baudouin de prolonger jusqu’à 1261 la survie de l’Empire, désormais réduit à sa capitale, dont Michel VIII Paléologue s’empare par surprise le 25 juillet 1261.

P. T.

➙ Byzantin (Empire) / Constantinople / Croisades / Épire / Lascaris (dynastie des) / Trébizonde.