Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Lassus (Roland de) (suite)

• Les motets. Dans ce genre, Lassus « triomphe par l’effet d’une adéquation parfaite entre les sujets à traiter et les prédilections intimes de son cœur et de son esprit » (Ch. Van den Borren). Sa foi ardente et sa haute culture littéraire lui permettent de choisir des textes de qualité, puisés dans l’Ancien Testament (dans les Psaumes, le Cantique des cantiques, l’Ecclésiaste, les Lamentations de Jérémie ou le Livre de Job) et le Nouveau Testament. Le compositeur laisse ainsi plus de sept cents motets, écrits pendant environ quarante années (1555-1594) et qui permettent d’apprécier l’évolution de son style. Il ne peut, toutefois, être parlé de progression, car, dans ce genre, Lassus atteint, dès ses premières œuvres, une maîtrise achevée.

Quatre types principaux d’écriture s’y remarquent ; le « motet archaïque », construit sur un cantus firmus grégorien placé à une seule voix, est peu représenté. Lassus utilise plus volontiers un contrepoint à imitations, où les différentes voix empruntent leurs mélodies au thème liturgique, un peu à la manière de Josquin Des Prés (Salve Regina, à quatre voix, de 1573). Le motet « madrigalesque » a toutefois ses préférences. Il s’y livre à une recherche d’allusions musicales propres à souligner les inflexions du texte, parvenant ainsi à un véritable travail de miniaturiste (Non des mulieri, écrit vers la fin de sa vie). Nous trouvons enfin de véritables fresques sonores, à la manière vénitienne, tel le motet Timor et tremor, où la profonde angoisse exprimée par le texte se voit traduite par des modulations chromatiques d’un effet dramatique puissant.

Le compositeur traite ses textes de deux à huit voix (dans ce cas, il utilise la technique du double chœur), mais il a une préférence pour l’écriture à cinq voix, qui lui rappelle celle du madrigal. La cinquième partie revêt alors une importance toute particulière, apportant à la polyphonie un élément de variété et de contraste. Par la nouveauté de cette écriture, qui allie la tendance analytique du madrigal à une recherche harmonique colorée, Lassus peut être considéré comme le grand maître du motet dans la seconde moitié du xvie s., dépassant dans ce domaine son illustre contemporain, Palestrina.

À ce nombre impressionnant de motets, il faut ajouter les Psaumes de la pénitence (écrits vers 1559-60), les Lamentations d’après Job, pièces en langage syllabique, d’écriture volontairement simple, et les Prophetiae Sibyllarum (composées à l’âge de dix-huit ans), où le compositeur fait appel aux ressources du chromatisme pour exprimer l’étrangeté mystérieuse du texte. Notons encore que, parmi les motets à deux voix parus à Munich en 1577, douze sont dépourvus de paroles et portent le nom de ricercare. Leur destination instrumentale est donc bien évidente.

• Les Passions. Outre les Sept Paroles du Christ, Lassus laisse quatre Passions, dont une seule, la Passion selon saint Matthieu, a été publiée de son vivant (1575). Comme pour le Magnificat, l’ensemble du texte n’est pas traité par le compositeur. Une alternance est pratiquée entre les versets chantés dans le ton du choral grégorien et les fragments polyphoniques. Les paroles de Jésus sont confiées au choral monodique ; les divers protagonistes du drame s’expriment en duos et trios ; le chœur, enfin, intervient pour exprimer les situations collectives, augmenté parfois d’une cinquième partie afin d’intensifier sa présence. Un demi-siècle plus tard, Schütz* s’inspirera directement de cet exemple.

Par l’universalité de son œuvre tout autant que par sa puissante personnalité, Lassus apparaît comme l’un des grands humanistes de la Renaissance. Esprit ouvert à tous les courants artistiques, tant littéraires que musicaux, il sait recueillir l’héritage de ses prédécesseurs sans pour autant négliger l’apport de ses contemporains. S’assimilant le meilleur de leurs découvertes, il les féconde de son propre génie créateur. C’est ainsi qu’il clôt avec éclat la grande lignée des polyphonistes franco-flamands, opère une synthèse parfaite des styles français et italien, pressent toutes les nouvelles formes et techniques d’écriture qui seront en usage jusque vers 1750. S’il ne laisse aucun successeur réel, tous les compositeurs — de musique religieuse en particulier — porteront la marque de son empreinte, Jean-Sébastien Bach* pouvant être considéré comme le dernier représentant de cette tradition.

H. C.

 C. Van den Borren, Roland de Lassus (La Renaissance du livre, Bruxelles, 1942).

latin de Constantinople (Empire)

État fondé par les croisés sur les ruines de l’Empire d’Orient.



La fondation de l’Empire

Constantinople ayant été prise d’assaut le 12 avril 1204 et mise au pillage pendant trois jours par les Occidentaux, un conseil composé de six Francs et de six Vénitiens se réunit conformément au traité conclu entre les deux partis en mars précédent. Sous la pression du doge de Venise, Enrico Dandolo, ce conseil écarte la candidature au trône impérial du trop prestigieux chef de la quatrième croisade, Boniface de Montferrat, et élit à sa place le comte Baudouin de Flandre, qui est couronné le 16 mai empereur latin de Constantinople à Sainte-Sophie. En compensation, des chanoines installés dans cette église par les Vénitiens élisent leur compatriote Tommaso Morosini au patriarcat latin de Constantinople, désignation que confirme le pape Innocent III en mars 1205. Reste à partager l’Empire byzantin entre les vainqueurs toujours en conformité avec l’accord de mars 1204. Ainsi deux huitièmes reviennent-ils à l’empereur Baudouin, qui reçoit la Thrace, l’Asie Mineure du Nord-Ouest, Lesbos, Chios et Samos. Trois huitièmes sont attribués à titre de fiefs aux autres chefs de la quatrième croisade, dont le premier est le vassal direct et les autres les vassaux indirects (par son intermédiaire) de l’empereur : Boniface de Montferrat, qui conquiert la Macédoine et la Thessalie et les constitue en royaume de Thessalonique (1204-1224) ; Otton de La Roche, qui réunit l’Attique et la Béotie en un duché d’Athènes (1205-1456) ; Guillaume de Champlitte et Geoffroi de Villehardouin, neveu du chroniqueur, qui érigent enfin le Péloponèse en principauté française d’Achaïe ou de Morée (1205-1428). Les trois derniers huitièmes sont cédés aux Vénitiens, qui renoncent à exercer, faute de moyens humains, leur souveraineté directe sur l’Épire, l’Acarnanie, l’Étolie et le Péloponèse pour se contenter d’occuper les places marchandes de Raguse et de Durazzo, les bases navales de Coron et de Modon, la plupart des îles de la mer Égée, des ports des Dardanelles et de la mer de Marmara (Gallipoli, Rodosto, Héraclée) ainsi que la ville thrace d’Andrinople et les trois huitièmes de la capitale de l’Empire.