Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
K

Kairouan (suite)

Bien que construite une première fois au début du viiie s. et refaite en 772, la Grande Mosquée de Sīdī ‘Uqba est essentiellement une œuvre arhlabide. Elle couvre une aire de 135 × 80 m à l’aspect de rectangle déformé, et comprend deux parties : une salle de prière dont la nef centrale, perpendiculaire au mur du fond et plus haute que les seize nefs qui l’encadrent, est surmontée de deux petites coupoles à côtes, situées respectivement sur le porche et devant le miḥrāb ; une grande cour bordée de portiques à deux nefs, aux arcs brisés légèrement outrepassés que soutiennent des colonnes de granité, de marbres divers et de porphyre. Sur l’un des côtés, le portique forme la façade majestueuse et savante de la salle, close par des portes de bois joliment travaillées. Sur le mur du côté nord-nord-ouest, dans l’axe, le minaret comporte trois tours superposées que coiffe une coupolette. C’est le prototype certain de tous les minarets maghrébins et espagnols.

L’extérieur de l’édifice est d’une grande sévérité, mais ne manque pas de noblesse malgré les contreforts parfois maladroits qui épaulent les murs. L’ordonnancement de la cour, encore austère, est de toute beauté. La salle est un chef-d’œuvre. Si la plupart des supports, intérieurs et extérieurs, sont des pièces de remploi, provenant en particulier de Carthage, leur mise en place est magistrale, et l’aménagement de l’espace est une réussite égale aux réalisations les plus grandioses. Certes, le décor n’atteint pas à la somptuosité de celui des grands sanctuaires contemporains de Jérusalem, Damas ou Cordoue. Le miḥrāb, très profond, sorte d’abside atrophiée, n’en prend que plus de relief. Revêtu de plaques de marbre sculpté ou ajouré, il présente en outre les premiers échantillons de carreaux de faïence à reflets métalliques, importés de Bagdad, alternant avec des carreaux de fabrication locale.

Deux ouvrages de menuiserie constituent la plus célèbre parure de l’édifice. La minbar en bois de teck, fait à Bagdad et sans doute le plus ancien qui soit conservé (fin du ixe s.), est une des plus belles réalisations de l’art islamique avec ses panneaux et ses rampants sculptés à jour de motifs géométriques et floraux. De qualité presque égale est la grande maqṣūra (clôture délimitant un espace privilégié), un peu plus récente (xie s.) : ses grilles en bois, ouvragées selon la technique du moucharabieh, ne sont pas toutes d’époque, mais le bâti est entièrement original. On y remarque une inscription coufique entremêlée de rinceaux du plus bel effet.

La mosquée du Barbier, ou mosquée du Sīdī Ṣāḥib, fondée aussi peu après la conquête et lieu de sépulture de ce compagnon du Prophète, est devenue au cours des siècles un vaste complexe de bâtiments divers, une zāwiya, et peut-être l’une des plus achevées de toutes celles du Maghreb. Son décor offre, à côté de faïences anciennes, des plafonds à caissons peints, des stucs découpés, des poutres à stalactites et des vitraux dus en partie à des artistes des xviiie et xixe s. ; il est surtout exquis dans la cour qui précède la salle de prières. La mosquée aux Trois Portes (mosquée Thlātha Bīybān) (866, restaurations au xve et au xvie s.) est un sanctuaire sans cour, à trois nefs et trois travées, délimitées par des arcs en fer à cheval soutenus par des colonnes antiques. Elle vaut surtout par sa façade très simple, à trois baies d’inégale hauteur, ornée d’un décor floral et épigraphique. On peut lui préférer celle des Sabres (Djāmi‘ ‘Amr ‘Abbāda), achevée vers 1871. Des très nombreuses zāwiya, celle qui est connue sous le nom de madrasa Sīdī ‘Abīd al-Rharyānī (xive s.) est la plus élégante, mais son plan est peu clair.

Kairouan possède encore ses murailles en brique, mais, sous leur aspect actuel, elles datent du xviiie s. Autour de la ville, des cimetières montrent d’anciennes pierres tombales, parfois épigraphiées de façon magistrale.

Au xviie et au xviiie s., les architectes et les ouvriers européens, surtout italiens, interviennent dans les constructions. Cependant, à la fin du xviiie et au début du xixe, de nombreuses réminiscences andalouses se font jour. Bien que décadent, l’art qui en résulte est souvent d’un grand charme.

J.-P. R.

➙ Arhlabides / Tunisie.

 H. Saladin, Tunis et Kairouan (Laurens, 1908). / A. Fikri, la Grande Mosquée de Kairouan (Laurens, 1934). / P. Sebag, la Grande Mosquée de Kairouan (Delpire, 1963). / A. Lézine, Architecture de l’Ifriqiya, recherches sur les monuments aghlabides (Klincksieck, 1966).

Kaiser (Georg)

Auteur dramatique allemand (Magdeburg 1878 - Ascona, Suisse, 1945).


Georg Kaiser a laissé une œuvre dramatique ample et variée, comme portée, successivement, par tous les courants qui ont marqué le théâtre allemand durant le premier tiers de notre siècle. Sa capacité de se renouveler demeurera tout au long d’une carrière commencée dans l’avant-garde berlinoise durant la Première Guerre mondiale et terminée dans l’exil, après 1933.

Kaiser a débuté en 1913 par une parodie sur le thème de Tristan entièrement « démythifié », intitulée le Roi cocu (König Hahnrei) : c’est du roi Marc qu’il s’agit, qui se plaît à son infortune et la commente, sans répit, en très larges monologues. Kaiser gardera longtemps une préférence pour le mode bouffon.

Pourtant, c’est une pièce plus grave, inspirée par les statues de Rodin, qui, en 1914, a fondé sa réputation : les Bourgeois de Calais (Die Bürger von Calais), drame historique et philosophique. À la fin, peu avant le dénouement tragique, Eustache de Saint-Pierre fait une analyse du sacrifice héroïque dans des termes à vrai dire si modernes qu’ils sont plus révélateurs de l’auteur que du passé dont il veut traiter. On est saisi pourtant de l’aspect visionnaire d’une telle production à la veille de la guerre menaçante. C’est un trait que l’œuvre de Kaiser a en commun avec plusieurs poèmes de ces années. La dureté comme transparente d’un langage aigu, des structures dramatiques volontairement heurtées sont autant de signes aussi d’une exaspération prophétique de la sensibilité. Ce sont les débuts du mouvement expressionniste.