Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Juillet (monarchie de) [1830-1848] (suite)

De plus, deux conceptions s’affrontent : les libéraux sont favorables aux concessions aux compagnies privées et s’opposent aux étatistes (Lamartine), qui craignent de céder le territoire aux féodalités financières. Les libéraux triomphent : les premières lignes de voyageurs sont réalisées par des compagnies : en 1837, le Paris - Saint-Germain (ouverte jusqu’au Pecq) ; en 1839, le Paris - Versailles. Mais dès 1840, le budget, écrasé par les dépenses militaires de Thiers, est dans l’impossibilité de financer l’établissement d’un réseau. Aussi, le 11 juin 1842, est adoptée la loi sur les chemins de fer : l’État acquiert les terrains et construit les gares ; les compagnies fournissent le matériel roulant et assurent l’entretien. Dès lors, c’est la railway mania à l’instar de la Grande-Bretagne. La ligne Paris - Rouen - Le Havre est réalisée par les capitaux du banquier anglais Edward Blount. Amiens - Boulogne, par des capitaux anglais et la banque Laffitte. La haute banque, Rothschild, Hottinguer, Baring, pénètre dans les conseils d’administration. Les luttes sont vives, pour l’octroi des concessions, entre les frères Pereire (la Compagnie du Midi) et le financier parisien Talabot (le P. L. M.).

Pour éviter la concurrence ruineuse des procédures d’adjudication, le gouvernement pratique la concession directe, favorisant ainsi tous les trafics d’influence. Bien des compagnies au bout de leurs disponibilités s’effondrent, et la chute des valeurs ferroviaires en 1846 contribue à aggraver la crise financière. En 1848, la France ne dispose encore que de 1 930 km de voies ferrées dispersées, contre près de 6 000 en Angleterre et de 3 500 en Prusse.


L’industrie

La France connaît à cette époque le passage du capitalisme commercial au capitalisme industriel et de l’artisanat à la fabrique. Le mouvement s’inscrit toutefois dans une phase de baisse des prix, qui se poursuit depuis 1815 et qui impose aux industriels l’abaissement draconien des coûts de production, en particulier salariaux.

Le machinisme se développe inégalement : les machines à vapeur pénètrent dans les mines, les filatures, les sucreries. La grosse métallurgie, stimulée par le développement des chemins de fer, est en expansion : le nombre des hauts fourneaux à coke a quadruplé depuis la Restauration, et la fonte au coke représente près de la moitié de la production en 1848 ; la production de minerai de fer passe de 741 000 t en 1831 à plus de 1 600 000 en 1847, et la production charbonnière de 2 à 5 Mt. De puissants centres de constructions mécaniques s’établissent à Lille, Mulhouse, Lyon, Marseille et au nord de Paris, disposant d’un outillage moderne (marteaux-pilons, laminoirs, fours à puddler).

La concentration industrielle fait naître les premières grandes sociétés, De Wendel, la Compagnie des mines de la Loire. C’est à cette époque que se crée le paysage des sinistres zones industrielles autour du Creusot, de Fourchambault, de Decazeville, de Denain, de Saint-Étienne. La concentration pénètre également le textile, surtout l’industrie cotonnière, dont le fief est l’Alsace.

Mais la France demeure un pays de petite entreprise, où le machinisme est loin d’être dominant. À Paris même, 7 000 patrons seulement occupent plus de 10 ouvriers, contre 32 000 travaillant seuls avec un ou deux compagnons et apprentis.

Le développement industriel se heurte à deux obstacles majeurs, le protectionnisme et l’insuffisante organisation du crédit.


Le protectionnisme

La progression du commerce extérieur est nette : plus de 50 p. 100 en 1848 par rapport à 1830. Mais la législation douanière bloque l’essor et perpétue l’archaïsme. La coalition des grands propriétaires fonciers et des métallurgistes a établi des droits exorbitants à l’entrée de la fonte et du fer, et l’échelle mobile sur les blés, héritée de la Restauration. Ce protectionnisme retarde les progrès du machinisme et des chemins de fer. Le prix de la tonne de fer est de 325 francs, contre 125 en Angleterre.

Chaque projet destiné à réduire les droits se heurte aux violentes campagnes de l’Association pour la défense du travail national, animée par le gros cotonnier Pierre Mimerel (1786-1871), qui dispose de puissantes influences à la Chambre. Des comités pour la défense du système prohibitif se constituent dans les grands secteurs industriels (coton, lin, métallurgie). Le projet Ducos sur l’abaissement des droits n’aboutit qu’à des réductions partielles (1836). Les traités de commerce avec la Hollande (1840) et la Belgique (1842) sont dénaturés et restent de faible portée. Les économistes libéraux, Jean-Baptiste Say (1767-1832) et Frédéric Bastiat (1801-1850), dénoncent ces pratiques rétrogrades qui aboutissent par exemple à élever le prix de la viande de 30 p. 100 en refusant l’entrée libre des bestiaux.


Le crédit

La France souffre surtout d’un retard considérable dans le domaine du crédit. L’accroissement progressif des valeurs escomptées par la Banque de France atteste les progrès de la richesse mobilière (500 millions en 1830, deux milliards en 1847). Mais l’argent est rare et cher : la Banque de France n’émet que de grosses coupures et n’escompte que les traites portant trois signatures ; l’échéance est de trois mois au maximum, les quelques grandes maisons de banque* parisiennes à structure familiale et à capital réduit ne s’adressent qu’à une clientèle sûre et peu nombreuse.

Le crédit courant demeure le prêt hypothécaire ou l’usure ; l’appel au marché financier n’existe pas, et les entreprises pratiquent l’autofinancement. La monarchie de Juillet a vu toutefois se développer des « caisses » destinées à faciliter l’escompte et à favoriser la commandite, mais la crise financière de 1847-48 provoquera l’écroulement de la plupart de ces établissements.


La population

Stabilité dominante et mutation d’ampleur réduite, telles sont les conclusions que suggère l’étude démographique. L’accroissement de la population est régulier, mais lent : 1826, 31 millions d’habitants ; 1831, 32 millions ; 1841, 34 millions ; 1846, 35 millions. En rupture avec le régime démographique des siècles précédents, la fécondité diminue : le taux de natalité passe de 32 p. 1 000 en 1832 à 28 p. 1 000 en 1837 et 27 p. 1 000 en 1844. La mortalité régresse, mais demeure élevée en raison des crises de subsistance et des épidémies.