Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Juifs (suite)

Sous la Restauration, les Juifs s’intégrèrent de mieux en mieux à la vie française. Sous Louis-Philippe, ils obtinrent même que leurs ministres du culte fussent rétribués par l’État. Sous la IIe République, il y eut des ministres juifs, comme A. Crémieux et A. Fould. Le serment « more judaico » devant les tribunaux fut aboli. La littérature traduisait bien parfois des sentiments peu amènes à l’égard des Juifs, mais, dans l’ensemble, la situation était bonne.

Il n’en était pas de même en Allemagne, où beaucoup de Juifs ne purent accéder à des fonctions publiques qu’au prix du baptême. Après la chute de Napoléon et le congrès de Vienne (1815), une période de réaction commença. Le nationalisme allemand, favorisé par des idées sur la supériorité « raciale » de l’homme « aryen », commença une carrière qui devait mener loin. Là encore, un certain nombre de Juifs virent dans une réforme du culte un moyen de s’imposer favorablement à l’attention de leurs voisins. D’autres créèrent « la science du judaïsme ».

En Grande-Bretagne aussi, la bataille pour l’égalité des droits fut longue. La réinstallation des Juifs sous Cromwell n’impliquait pas leur libre accès à certaines fonctions. Disraeli ne put être ministre que parce qu’il avait été baptisé dans son enfance. Ce n’est qu’en 1858 que Lionel Rothschild put prêter serment, en tant que membre du Parlement, avec une formule conforme à sa croyance et non « avec la vraie foi d’un chrétien » (on the true faith of a Christian). Mais, dans ce pays, beaucoup de Juifs furent anoblis et arrivèrent souvent à de très hautes positions.

En 1871, l’émancipation légale des Juifs de l’Europe occidentale était chose totalement faite : les Juifs pouvaient vivre où ils voulaient et s’occuper à leur convenance. Ils s’européanisèrent complètement et se vouèrent à l’industrie, au commerce, aux professions libérales, à l’enseignement, à la politique, à la carrière des armes. Mais cette liberté pouvait avoir un pouvoir dissolvant pour la foi.

Cependant, le monstre médiéval de l’intolérance n’était pas mort. Il reparut sous le déguisement prétendument scientifique de la théorie des races. On lui inventa le nom d’antisémitisme*, dont une des conséquences fut le sionisme*.

Depuis l’expulsion des Juifs d’Espagne et la découverte du Nouveau Monde, les Juifs avaient pris part à la création des États d’Amérique. Des marranes trouvèrent refuge au Brésil, puis dans les territoires hollandais de la Nouvelle-Amsterdam, plus tard appelée New York. En 1728, après la conquête anglaise, ils ouvrirent la première synagogue d’Amérique du Nord. Vers 1776, il y avait 3 000 Juifs, qui s’illustrèrent dans les guerres. La Constitution de la nouvelle République américaine accorda la liberté comme « vérité évidente par elle-même » (self-evident truth).

L’immigration des Juifs en Amérique fut ralentie par les guerres de Napoléon, en Europe, de sorte qu’avant 1848 il n’y avait guère plus de 25 000 Juifs, qui se distinguèrent comme soldats, comme marins, comme négociants et comme philanthropes. Dès 1840, le gouvernement américain intervenait contre les persécutions dans les autres pays. Après 1848, des réfugiés d’Allemagne prirent part à la « ruée vers l’or ». Dès 1849, on célébrait le culte à San Francisco, et, en 1852, il y avait deux Juifs dans le Parlement de Californie. Les Juifs prirent part, dans les deux camps, à la guerre de Sécession. On comptait 700 officiers juifs, dont 8 généraux. Le mouvement du judaïsme réformé trouva aux États-Unis un terrain favorable, qui permit un large développement. Après la vague d’immigration allemande, il y eut, à partir de 1881, celle des Juifs de Russie, de Galicie et de Roumanie. La vie ne fut pas toujours facile pour eux, et ils furent copieusement exploités, jusqu’à ce qu’ils créent des syndicats. Leur tendance religieuse était plutôt traditionaliste. Ils créèrent de nombreuses sociétés philanthropiques et s’intéressèrent au sionisme. En 1914, il y avait 3 500 000 Juifs aux États-Unis.


Depuis la Première Guerre mondiale

Lorsque la Première Guerre mondiale éclata, il y avait 14 millions de Juifs dans le monde. Dans les pays belligérants, ils représentaient 1 p. 100 de la population globale. Dans les forces armées des deux camps, ils étaient 1 506 000, dont 172 000 furent tués. Plus de 100 000 furent décorés. Ils représentaient 2 p. 100 des effectifs de toutes les armées. Les Juifs de Russie, dont le centre d’habitation était près du front oriental, souffrirent beaucoup. Les sacrifices des soldats juifs de l’armée allemande ne firent pas taire les antisémites. Quand la Turquie devint l’alliée des Allemands, beaucoup de Juifs de Palestine qui étaient encore de nationalité russe furent exilés. Il y eut partout des réfugiés qu’il fallut secourir. Les organisations juives d’Amérique se surpassèrent. C’est l’intervention des États-Unis dans le conflit, en 1917, qui hâta la fin des hostilités. Cette année 1917 apporta aussi la Révolution russe, qui émancipait — en principe — les Juifs, et la « déclaration Balfour », par laquelle le gouvernement britannique s’engageait à favoriser l’établissement en Palestine d’un « foyer national » pour le peuple juif.

Après la Première Guerre mondiale et la Révolution russe, les Juifs d’Europe orientale connurent des pogroms en Pologne. Ils eurent également à souffrir des excès des troupes contre-révolutionnaires commandées par Petlioura et Denikine. À la conférence de la Paix, les Juifs firent tout ce qu’ils purent pour faire valoir les droits des minorités. Des clauses spéciales figurèrent dans le traité ; mais elles furent tournées ou négligées. Les Juifs de Pologne et de Roumanie s’en aperçurent bien vite.

En France et en Grande-Bretagne, il n’y eut guère de problèmes jusqu’à la crise économique de 1930. Dans les années menaçantes qui précédèrent la Seconde Guerre mondiale, on vit abondamment fleurir une presse antisémite et des mouvements tels que le gouvernement promulgua des lois réprimant l’incitation à la haine (loi Marchandeau de 1939). Les personnalités politiques d’origine juive étaient prises à partie (Léon Blam, Georges Mandel, etc.). L’aide des services nazis de propagande complétait le travail de la presse de droite et des théoriciens nationalistes et antisémites (Charles Maurras). Cependant, l’accueil de la France aux réfugiés juifs d’Allemagne et d’Autriche resta assez libéral.