Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Juifs (suite)

En 1795, la Pologne fut partagée entre la Prusse, la Russie et l’Autriche. La plus grande partie des Juifs devint sujette des tsars, qui parquèrent leurs nouveaux administrés dans une « zone de peuplement juif » située près de la frontière polonaise ; il n’était pas rare que, même là, on les expulsât des bourgades ; c’est ce qui arriva sous Alexandre Ier (1801-1825). Son successeur, Nicolas Ier (1825-1855), voulut les forcer à changer leur genre de vie. L’un des moyens employés fut de rafler les jeunes garçons et de les enrôler pour un service militaire de vingt-cinq ans, assorti du baptême. On envoyait ces recrues dans les provinces les plus éloignées.

Un certain nombre de penseurs crurent qu’en répandant la culture parmi les Juifs ils arriveraient à relever leur condition et à les faire admettre par la société ambiante. Ce mouvement en vue de l’émancipation s’appelait Haskalah ; ses promoteurs étaient les « maskilim ». Pour propager parmi les Juifs la culture européenne moderne, ils utilisèrent l’hébreu, dont ils firent une langue qui redevenait vivante et dans laquelle ils traduisirent les œuvres les plus disparates (romans français, etc.). Dans l’ensemble, les masses ne les suivirent que peu.

Alexandre II (1855-1881) sembla plus libéral au début de son règne ; mais, en 1863, après l’écrasement d’une insurrection polonaise, à laquelle des Juifs avaient pris part, les persécutions reprirent. Les idées révolutionnaires commençaient à circuler. Le tsar fut assassiné par des nihilistes ; son fils Alexandre III (1881-1894) trouva expéditif de détourner sur les Juifs, désignés pour les « pogroms », le mécontentement des masses. À partir de 1881, il se produisit plus d’une centaine de ces massacres, où la populace se déchaînait contre les Juifs devant une armée et une police passives, voire complices. Il y eut de la part des Juifs quelques tentatives d’autodéfense, mais les pogroms ne cessèrent que devant l’indignation mondiale, qui s’exprimait dans des meetings, à Paris, à Londres et à New York. Par milliers, des Juifs quittèrent la Russie à destination de l’Amérique du Nord et du Sud, de l’Empire britannique, de la France.

Un mouvement s’était créé à l’appel de certains intellectuels, qui pensaient que la meilleure solution de la question juive était la colonisation de la Palestine, qui appartenait alors aux Turcs. Leurs idées de retour à la terre et de collectivisme n’étaient pas sans rapport avec les idées socialistes. En 1882 des étudiants créèrent la première colonie agricole en Palestine.

Cet exode des Juifs de Russie s’accrut encore sous Nicolas II après le terrible pogrom de Kichinev (1903). Au lendemain de la défaite essuyée par les Russes devant les Japonais (1905), les idées révolutionnaires se propagèrent. Cela n’empêcha pas d’autres massacres, mais, de plus en plus, les Juifs prirent l’habitude de se défendre. La persécution prit un autre aspect : en 1911, le Juif M. Beilis fut accusé faussement de meurtre rituel ; l’affaire secoua et troubla la conscience européenne.

Pendant ce temps, l’idée de la résurrection de la nation juive en Palestine gagnait de plus en plus de terrain en Russie, mais aussi en Roumanie et dans la Pologne autrichienne. En Roumanie, les Juifs, maintenus dans un statut d’étrangers sans protection, étaient dans un triste état économique et social ; les idées des partisans de la restauration d’Israël en Palestine s’exprimaient dans des congrès et dans des livres. Elles trouvèrent leur expression la plus achevée dans celui qu’un journaliste viennois en poste à Paris, Theodor Herzl*, fit paraître à Paris en 1896, après la dégradation du capitaine Dreyfus, à laquelle il avait assisté. Cet ouvrage, l’État juif, posait le principe du sionisme politique et décrivait prophétiquement les linéaments de l’État d’Israël. D’autres Juifs de Russie et de Pologne préféraient cependant d’autres formules et se joignaient aux mouvements révolutionnaires de leur pays (v. sionisme).


Mouvements d’émancipation

Si les Juifs d’Europe orientale en vinrent, avec le courant d’éveil des nationalités, à l’idée d’une « auto-émancipation » (c’est le titre du livre d’un médecin juif de Russie, L. Pinsker), ceux d’Europe occidentale attendaient depuis le xviiie s. une émancipation qui dépendrait du bon vouloir des souverains des pays où ils se trouvaient ; ils voulaient payer cette émancipation d’une assimilation qui les rendrait acceptables.

L’un des promoteurs de cette idée fut le philosophe juif allemand Moses Mendelssohn (1729-1786), qui chercha à propager parmi ses frères opprimés la culture allemande et à amener ceux-ci à faire de leur judaïsme un système qui pourrait être exposé valablement à leurs contemporains chrétiens. Il eut certains appuis parmi les chrétiens, et c’est à lui que pensa Lessing lorsqu’il écrivit Nathan le Sage.

En France, les philosophes et les encyclopédistes commencèrent à parler de l’égalité de tous les hommes. On chercha à « régénérer » les Juifs, qui trouvèrent des défenseurs en la personne de l’abbé Grégoire, de Mirabeau et de quelques autres. Sous Louis XVI, une commission améliora la situation des Juifs d’Alsace. Lorsque la Révolution éclata, les doléances des Juifs se joignirent à celles des autres habitants du royaume. Mais ce n’est que le 27 septembre 1791 que les Juifs de France obtinrent l’entière égalité avec les autres citoyens. Il avait fallu bien des efforts, et l’on avait rencontré bien des oppositions.

Les armées de la République apportèrent aux Pays-Bas le nouveau statut. Celui-ci ne résolvait pas tout. Il brisait l’autonomie administrative des communautés et compromettait le financement du culte, sans rien mettre à la place. Surtout, il ne supprimait pas les griefs des paysans et des bourgeois alsaciens qui s’étaient endettés chez les Juifs pour acheter des « biens nationaux » et se voyaient expulsés légalement s’ils étaient défaillants. Ces griefs furent exposés à Napoléon, qui chercha à mettre de l’ordre dans les affaires. Son Conseil d’État, où figuraient des gens mal disposés envers les Juifs, prépara à sa demande la convocation, en 1806, d’une assemblée des notables juifs, qui devait répondre à une douzaine de questions, dont certaines étaient de vrais traquenards. Cette assemblée s’en tira, à l’unanimité, avec honneur, en faisant montre d’un véritable patriotisme et sans sacrifier aucun des principes du judaïsme. Aussi l’Empereur, considérant que l’ensemble des réponses formait un corps de doctrine du judaïsme français, voulut-il lui faire donner cette apparence de législation religieuse en créant un grand sanhédrin, dont l’autorité ferait de ces décisions une doctrine. Il mit en place l’organisation consistoriale, étroitement surveillée par le pouvoir et chargée de veiller au bon ordre du culte, à la conscription des Juifs et à l’exactitude dans le devoir fiscal. Mais, en 1808, il rendit le « décret infâme » qui limitait le droit de séjour dans certains endroits et dépossédait beaucoup de Juifs d’Alsace.