Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Juifs (suite)

En Europe orientale, les Juifs souffrirent beaucoup. Ils n’avaient pas la ressource de l’immigration. L’Amérique et beaucoup d’autres pays l’avaient restreinte. La Grande-Bretagne, ménageant les Arabes, ne délivrait que parcimonieusement les « certificats » d’immigration en Palestine. Après les émeutes arabes, elle limita strictement l’achat de terrains par le Livre Blanc de mai 1939. Dans la nouvelle Pologne, où sévissait un nationalisme virulent, les Juifs, victimes des outrages de la populace, subissaient un grave boycottage économique, de sévères taxations et des lois qui détruisaient l’effet des clauses spéciales du traité de Versailles. Les Juifs de Roumanie, au nombre d’un million, se voyaient privés de leur nationalité et terrorisés par les militants de la « Garde de fer ».

En U. R. S. S., l’antisémitisme était théoriquement interdit par la Constitution, mais les Juifs, ayant formé une classe moyenne ou une bourgeoisie opulente, se trouvaient « déclassés et ne s’intégraient pas aux travailleurs » ; aussi n’avaient-ils aucun droit. La religion juive était condamnée, comme les autres.

Tant que le fascisme italien ne fut pas soumis au nazisme allemand, c’est-à-dire jusqu’en 1938, la situation fut supportable en Italie.

En 1933, le nazisme triompha en Allemagne. Les Juifs furent mis au ban de la société et abominablement rançonnés et maltraités. Ravalés au rang d’une sous-humanité dénuée de tout, ils furent le jouet de la férocité démente des séides de Hitler. Des milliers d’entre eux furent enfermés dans les camps de concentration* de Dachau, Buchenwald, Sachsenhausen. Les descendants de Juifs convertis au christianisme n’échappèrent pas à ces mesures. Les « lois de Nuremberg » (1935) avaient été la charte de la discrimination raciale (V. national-socialisme).

En septembre 1939, la Seconde Guerre mondiale éclata. En l’espace d’un mois, la Pologne fut écrasée ; son territoire fut partagé entre l’Allemagne et l’U. R. S. S., qui avaient conclu un pacte en août. L’ordre nazi fut instauré dans le « Gouvernement général de Pologne » : cet ordre ne visait à rien moins qu’à l’extermination des Juifs. En mai 1940, Hitler déclencha ses offensives éclair, qui, en quelques semaines, amenèrent la défaite des Pays-Bas, de la Belgique et de la France. Leur territoire fut occupé et mis en coupe réglée. Dans la zone non occupée de la France, le gouvernement de Vichy* proclama un « statut des Juifs » (oct. 1940) auquel n’échappaient que de très rares individus qui avaient des états de services extraordinaires. Dans la zone occupée, une spoliation méthodique des biens juifs s’exerçait avec une méthode rigoureuse, secondée par l’empressement cupide de ceux pour lesquels la collaboration était une affaire prodigieusement rentable.

Entre-temps, en Allemagne, à la conférence de Wannsee (janv. 1942), la « solution finale » de la question juive avait été décrétée : les Juifs des territoires occupés seraient raflés, déportés à l’Est et anéantis. On demanda aux gouvernements de ces pays de livrer leurs Juifs, déjà répertoriés depuis 1940. On commença par les apatrides et les étrangers ; au besoin, on « dénationalisa » les autres. La police française se mit à l’œuvre : en mai, en août et en décembre 1941, ainsi qu’en juillet 1942, de grandes rafles eurent lieu en zone occupée. En août 1942, la police d’État de la zone encore non occupée arrêta les Juifs apatrides et étrangers. La première étape du voyage vers l’Est était le camp de Drancy. Il partira de là, jusqu’aux dernières heures de l’Occupation, de longs convois de wagons bourrés de victimes vouées à la solution finale.

Grâce aux efforts de la Résistance, quelques-uns de ces trains, bien rares, furent retardés. Cependant, en France, le sort des Juifs persécutés fut relativement adouci par la résolution héroïque de beaucoup d’ecclésiastiques et de laïques qui firent tout leur possible pour aider et cacher des milliers de victimes désignées. La jeunesse juive réussit une action de sauvetage des enfants ; elle participa à la lutte clandestine dans tous les mouvements de la Résistance intérieure et dans les rangs des combattants de la France libre.

Dans le reste de l’Europe occupée, où la population et ses chefs étaient depuis longtemps acharnés contre les Juifs, la situation devint rapidement terrible. Le 8 mai 1945, ce fut enfin la capitulation de l’Allemagne. On estime à 6 millions le nombre des victimes juives du nazisme. Toutes ne succombèrent pas passivement : il faut mentionner l’héroïque résistance du ghetto de Varsovie (avr. 1943), dont les internés, munis d’armes fabriquées sur place ou achetées aux Polonais, infligèrent à leurs bourreaux des pertes notables avant de succomber. Même dans les camps de la mort, il se créa une résistance ; dans certains, la lutte fut âpre, et les Juifs réussirent à faire sauter des crématoires. Dans tous les groupements de partisans de tous les pays occupés, les Juifs furent à la pointe du combat. La « Brigade juive » de Palestine, formée en 1943 et dépendant de l’armée britannique, se battit sous son drapeau frappé de l’étoile de David, notamment à Cassino.

La guerre terminée, il restait en Pologne 250 000 Juifs sur 3 millions et demi. Des 700 000 Juifs d’Allemagne, il en restait 30 000... En bref, sur les 7 millions de Juifs des territoires occupés par les Allemands (21 pays), il en restait 1 million et demi. Seules la Scandinavie et la Finlande, alliée de l’Allemagne, avaient refusé de livrer leurs Juifs.

Partout, la situation des Juifs restait précaire. En France, la restitution des biens spoliés aux Juifs souleva de grosses difficultés ; les bénéficiaires des spoliations constituèrent même des associations de défense ; la presse compta de nouveau des organes antisémites.

En U. R. S. S., le « cosmopolitisme » des Juifs et le sionisme furent dénoncés. Les derniers temps de l’époque stalinienne virent l’exécution des écrivains de langue yiddish et des mesures contre les médecins juifs, accusés de complot. La prise de conscience juive des intellectuels de ce pays se traduit par un désir d’émigrer en Israël ; ce désir entraîne de lourdes brimades, en particulier la prétention de faire acquérir le droit à l’émigration à des taux dont l’importance exorbitante est proportionnelle à l’importance des diplômes universitaires possédés.

En Pologne, les Juifs, dont certains avaient pourtant été les chevilles ouvrières du mouvement socialiste, ont été écartés des postes de responsabilité. La Tchécoslovaquie a connu des affaires politiques impliquant certains Juifs. Pendant longtemps, la Roumanie socialiste a rendu difficile l’existence de ses rescapés juifs.