Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Juifs (suite)

Vers 620, l’Arabie* vit l’apparition de l’islām*. À la mort de Mahomet (632), la nouvelle religion avait triomphé de ses adversaires. Parmi ceux-ci figuraient les Juifs, établis depuis longtemps en Arabie. Ils avaient repoussé les avances de Mahomet, qui leur en tint rigueur. En moins de dix ans, les Arabes conquirent tout l’Orient et supplantèrent les Byzantins et les Perses. Les premiers excès passés, les nouveaux maîtres se contentèrent de soumettre à des taxes spéciales les populations rebelles à l’islām.

Sous la domination musulmane, la communauté de Babylonie connut pendant quatre siècles un nouvel éclat. Elle était toujours sous l’autorité de l’exilarque juif, mais de nouveaux dignitaires, religieux ceux-là, les gueonim, semblent avoir eu sur le peuple une influence plus sensible. Le gaon était le chef de l’école la plus renommée. Le plus célèbre de ces gueonim fut Saadia (ou Sa‘adiyāh [v. 882-942]). Il lutta avec énergie et compétence contre les caraïtes, membres d’une secte née deux siècles plus tôt, qui rejetait catégoriquement le magistère de la Loi orale et des rabbins et qui prétendait ne s’en tenir qu’à la Loi écrite, littéralement appliquée.

Délivré de la persécution par l’arrivée des musulmans, le centre juif d’Espagne* connut une longue période d’épanouissement. Vers 700, les Arabes avaient conquis l’Afrique du Nord, où fleurissaient des communautés comme Kairouan. En Espagne, la symbiose des musulmans et des Juifs fut remarquable. Libres de toutes restrictions, les Juifs, au service des califes arabes, occupèrent souvent d’éminentes fonctions. Ils participèrent à la culture arabe et s’illustrèrent dans tous les domaines du savoir : philosophie, astronomie, mathématiques, médecine, politique. Malgré les luttes intérieures des royaumes arabes de l’Andalousie, ils purent se développer. On comptait parmi eux des hommes d’État, comme Ḥasdāy ibn Chaprūṭ (v. 905 - v. 975), ministre du calife ‘Abd al-Raḥmān III (912-961). C’est lui qui entra en rapport avec le roi des Khazars, peuple guerrier des steppes de la Volga et des rives de la Caspienne, qui s’était plus ou moins converti au judaïsme. L’État khazar fut, peu de temps après, détruit par les princes russes de Kiev.

Le califat de Cordoue sombra lui-même dans une guerre civile, mais celui de Grenade eut, également, son grand homme d’État juif en la personne de Samuel Ha-Nagid (v. 993-1056), qui s’adonnait aussi à la poésie. Celui-ci fut le mécène des études talmudiques. De Tolède à Saragosse et de Málaga à Séville, les communautés brillaient d’un vif éclat. C’est à Málaga que naquit le grand poète et philosophe Salomon ibn Gabirol (Avicébron [v. 1020 - v. 1058]). Il enrichit de ses poèmes liturgiques le rituel de la synagogue ; le plus célèbre est « la Couronne royale », que l’on récite encore le jour de Yom Kippour. Ibn Gabirol est aussi et surtout l’auteur d’un grand ouvrage philosophique, la Source de vie, écrit en arabe et que, grâce à une traduction latine, on connut dans la chrétienté sans savoir que c’était l’œuvre d’un Juif. Ce n’est qu’au xixe s. que la découverte d’un grand orientaliste permit de connaître la vérité. Parmi les contemporains espagnols de Gabirol, il faut citer Baḥya ibn Paqūda (seconde moitié du xie s.), dont le Guide des devoirs des cœurs est un des classiques les plus remarquables de la dévotion juive. À la même époque, aussi, Isaac al-Fāsī (v. 1015-1103) donnait aux fidèles un code exposant les règles tirées du Talmud et permettant de connaître immédiatement les lois à suivre.


Les Juifs d’Espagne du xie au xve siècle

La reconquête de Tolède par les chrétiens en 1085 n’entrava pas l’essor en Espagne de la vie juive. Celle-ci fut illustrée par deux grandes figures. La première fut celle du poète et philosophe Juda Ha-Levi dans la première moitié du xiie s., l’autre celle de Moïse Maimonide*. Juda Ha-Levi (v. 1085 - v. 1141) composa de nombreux poèmes profanes et religieux ; son œuvre la plus célèbre est l’al-Khazarī. Sous la forme d’un dialogue entre le roi des Khazars et un rabbin, le philosophe expose d’une manière magistrale les splendeurs de la doctrine du judaïsme. L’auteur partit pour la Palestine, où il mourut, dit-on, d’une manière tragique.

À part Grenade, les chrétiens avaient pratiquement reconquis toute l’Espagne au milieu du xiiie s. Mais, jusqu’en 1391, la situation des Juifs n’empira pas. Leur nombre et leur influence ne diminuèrent pas. Les décrets pris contre eux par les autorités civiles ou ecclésiastiques restaient lettre morte. L’activité intellectuelle des Juifs se concentrait alors sur l’étude du Talmud, illustrée par des maîtres comme Asher ben Yeḥiel († 1327), réfugié d’Allemagne qui devint le rabbin de Tolède. C’est à cette époque que fleurit la cabale* et que fut rédigé le Zohar*.

De 1391 à 1492, les Juifs d’Espagne virent s’amonceler les nuages qui préludaient à l’ouragan qui les emporta. En 1391, une redoutable persécution, patronnée par la noblesse et le clergé, ruina de nombreuses communautés, fit des milliers de victimes et causa de nombreuses conversions au christianisme. Parmi les convertis, les « marranes », c’est-à-dire ceux qui continuaient à pratiquer secrètement le judaïsme, furent nombreux.

L’Inquisition* sévissait durement contre ces « relaps ». Les Juifs qui ne s’étaient pas convertis devaient porter un insigne spécial, écouter des sermons faits par des prédicateurs chrétiens, et participer à des « disputations », comme celle qui eut lieu à Tortose en 1413. Beaucoup de métiers leur étaient interdits. Les marranes réussissaient à s’unir par mariage à de grandes familles ; ils occupaient parfois de hautes fonctions à la Cour, dans l’armée, voire dans l’Église. L’Inquisition s’opiniâtrait à les démasquer. De temps en temps, ceux qui étaient reconnus comme des relaps étaient publiquement et solennellements brûlés vifs au cours d’une grande cérémonie d’autodafé, en présence des souverains et des grands.