Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Juifs (suite)

En 1483, on nomma comme chef de l’Inquisition le dominicain Tomás de Torquemada, qui mena avec un zèle farouche la lutte contre les hérétiques et les relaps. Il voulut aussi en finir avec ceux qui étaient restés juifs. Lorsqu’en 1492 Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille eurent chassé les Arabes de Grenade, Torquemada convainquit les Rois Très Catholiques de chasser les Juifs d’Espagne. En juillet 1492, 300 000 Juifs quittèrent l’Espagne. Le Portugal devait bientôt imiter l’Espagne.

Beaucoup de Juifs périrent en route ou furent victimes de la convoitise des marins qui les transportaient. Certains gagnèrent l’Afrique du Nord ou l’Italie.

La plupart reçurent un accueil très satisfaisant dans les possessions du Sultan de Turquie, en Grèce, en Turquie d’Europe et d’Asie, dans les îles de l’Archipel et en Palestine. Ils apportèrent avec eux leur allure d’hidalgos, leur castillan, qui, mêlé à l’hébreu, au turc, au grec, donna le « ladino » (ou « judéo-espagnol »), encore parlé par les Juifs d’origine espagnole, désignés sous le nom de Sefardim (« Espagnols »). Plus tard, certains de ceux qui avaient réussi à se dissimuler en Espagne et au Portugal sous l’apparence de chrétiens réussirent à venir vers 1512 dans la région de Bordeaux et de Bayonne ainsi que dans certains ports français. Parmi ceux qui sont de cette origine, il convient de citer Montaigne. D’autres gagnèrent la Hollande et, de là, grâce au bon vouloir de Cromwell, s’installèrent en Angleterre ou gagnèrent les colonies du Nouveau Monde.


Dans les pays chrétiens de l’Europe occidentale

Depuis l’époque romaine, il y avait en Gaule et en Allemagne des Juifs, qui, d’abord, avaient eu tous les droits. L’installation du christianisme les leur retira. Le règne de Charlemagne fut une accalmie, mais l’établissement de la féodalité restreignit progressivement la liberté des Juifs. Ceux-ci n’eurent plus le droit de posséder de terres ni d’exercer les professions sujettes à la tutelle des corporations. Ils ne purent vivre que du prêt à intérêts, avec de gros risques, des taxes énormes et le mépris de leurs obligés. Philippe Auguste, Louis IX et Philippe IV le Bel s’illustrèrent dans l’art de les pressurer, et de les brimer ; ils les expulsèrent pour s’approprier leurs biens, puis les rappelèrent moyennant des taxes coûteuses. Après le quatrième concile du Latran (1215) et la croisade des Albigeois, on leur imposa le port de la « rouelle ». Sous l’influence de l’Église, il se créa dans l’esprit du peuple une image hideuse et redoutable du Juif, considéré comme un usurier diabolique, ayant partie liée avec les sorciers, les lépreux et les démons. On l’accusa de prétendus « meurtres rituels » et de tentatives d’extermination des populations au milieu desquelles il vivait. On l’accusa aussi de sacrilèges, et plus particulièrement d’attentats contre la personne du Christ par perforation des hosties, qui, depuis l’adoption du dogme de la transsubstantiation, étaient censées être son corps. Finalement, Charles VI expulsa les Juifs de son royaume en 1394 ; au fur et à mesure que de nouvelles provinces étaient acquises ou annexées, l’édit d’expulsion y était appliqué. Il ne resta en France que les Juifs qui, peut-être, se cachaient ainsi que ceux du comtat Venaissin, sujets des États du Saint-Siège.

En Allemagne, il n’y eut pas de mesures générales, mais les violences ne manquèrent pas.

Toutes ces exactions et toutes ces violences, ainsi que la haine et le mépris dont les Juifs étaient accablés, et le besoin de vivre les uns près des autres pour des raisons de commodité religieuse favorisèrent leur ségrégation dans les quartiers spéciaux des villes. Les Juifs formaient ainsi des collectivités autonomes, liées au pouvoir par le cordon ombilical de la taxation, à laquelle ils étaient assujettis. Ces collectivités étaient administrées par des conseils de notables et régies par la loi de la Torah, avec une discipline rigoureuse, dont la principale sanction était l’excommunication. La solidarité fut très forte. On veilla jalousement à l’instruction publique, axée sur l’étude de la Torah.

Les rabbins de France et d’Allemagne dispensaient le savoir dans des écoles qui attiraient un grand nombre d’étudiants. L’initiateur de ces études fut Gershom de Mayence vers l’an 1000. Le plus célèbre des « Sages de France » fut Salomon ben Isaac de Troyes (1040-1105), plus connu sous le nom de Rashi. Il commenta la Bible mot à mot, résumant avec une extrême clarté toute la tradition de l’exégèse talmudique et employant le français dans ses commentaires quand il fallait se faire mieux comprendre. Des exégètes chrétiens, comme Nicolas de Lyre au xive s., ne dédaignèrent pas d’utiliser son commentaire. Les disciples de Rashi, qui étaient aussi ses petits-fils ou ses gendres, vécurent également en Champagne. Ils complétèrent par des remarques d’une grande finesse l’œuvre de leur maître ; leurs annotations sont appelées les tossafot (« compléments »). L’un d’eux, Jacob Tam (1100-1171), prit l’habitude de réunir des assemblées de rabbins.

Les croisades* commencèrent en 1095 ; les Juifs qui étaient sur le chemin des croisés souffrirent beaucoup de leurs excès ; ils se virent souvent donner le choix entre le baptême ou la mort. Ils choisirent généralement la seconde, la devançant parfois par le suicide collectif. La première croisade a laissé un souvenir particulièrement tragique, par les horreurs dont elle fut l’occasion, en Rhénanie (1096).

Les Juifs d’Angleterre, installés depuis l’arrivée de Guillaume le Conquérant (1066), connurent une certaine tranquillité jusqu’au couronnement de Richard Cœur de Lion ; le jour même du couronnement (3 sept. 1189), une émeute populaire se déchaîna contre eux à Londres et se répandit dans d’autres villes. Là aussi, les Juifs eurent à choisir entre le baptême et la mort. Ils connurent pendant un siècle une situation qui alla en se dégradant. Finalement, ils furent expulsés en 1290. Ils se réfugièrent en France.

L’épidémie de peste qui ravagea l’Europe en 1348 fut l’occasion d’une vague de massacres des Juifs, accusés de fomenter avec les lépreux un immense complot pour empoisonner les sources et les puits.