Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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jansénisme (suite)

En 1627, l’abbaye passa sous la juridiction directe de l’archevêque de Paris. Sébastien Zamet (1588-1655), évêque de Langres (1615), fit tendre la communauté vers le mysticisme, puis Saint-Cyran, nouveau directeur, l’anima d’une fougue véritable, à partir de 1635. La mère Agnès était alors abbesse. Les frères Lemaistre (dont Isaac Lemaistre de Sacy [1613-1684]), inspirés par l’abbé de Saint-Cyran, abandonnèrent leurs activités pour s’installer près du couvent, puis à Port-Royal des Champs (1637). Ce furent les premiers « solitaires ». Des Petites Écoles furent établies peu après (1638). Sous l’influence d’Antoine Arnauld, des jansénistes vinrent grossir les effectifs des « solitaires », ou « messieurs de Port-Royal ». En 1648, l’abbaye parisienne revint s’établir en grande partie aux Champs, grâce à des travaux d’assainissement, tandis que les solitaires s’installaient dans la ferme voisine des Granges.

En 1656, la persécution s’abattit sur le groupe, qui avait fourni les plus ardents défenseurs du jansénisme : Antoine Arnauld et Pascal (Provinciales). Les Jésuites, inquiets des progrès rapides des Petites Écoles, en obtinrent la fermeture (1656 et 1660). Dans les deux couvents, les novices et les pensionnaires furent expulsées (1661). Les religieuses ayant refusé de souscrire au formulaire (1664) furent regroupées à Port-Royal des Champs, séquestrées et frappées d’interdit de 1665 à 1669, date à laquelle (paix de l’Église) elles acceptèrent de signer une soumission de compromis.

Port-Royal de Paris, hostile à l’autre abbaye, avait obtenu son indépendance avec une très grande partie du temporel (1669). Port-Royal des Champs vécut dans les années qui suivirent ce que Sainte-Beuve appelle son « automne » : ayant perdu son éclat spirituel, le couvent attira les sympathisants lettrés, nobles, jeunes pensionnaires. Rendez-vous d’une véritable coterie, il fut de nouveau l’objet de persécutions : l’expulsion des solitaires et l’interdiction des noviciats (1679) le stérilisèrent progressivement.

En 1701, un écrit d’Eustace, confesseur de la communauté, le Cas de conscience, ranima les passions théologiques et fut condamné par Rome (1703). En 1706, des religieuses refusèrent de signer un nouveau formulaire contre le jansénisme et firent appel à toutes les ressources de la chicane pour résister aux empiétements temporels de Port-Royal de Paris. L’hostilité constante du roi leur valut l’excommunication (1707), la suppression du monastère par le pape (1708), l’expulsion par les mousquetaires (1709) et la dispersion en province. La démolition des bâtiments (demandée par Port-Royal de Paris) fut ordonnée (1710), y compris celle de la chapelle (1712), et accompagnée de la dévastation du cimetière. Il subsiste cependant quelques pans de murs et le colombier, et l’on a édifié en 1891 un oratoire-musée à l’emplacement de l’ancienne chapelle. Port-Royal n’en continua pas moins d’être un haut lieu de la pensée, comme en témoignent deux chefs-d’œuvre : le Port-Royal de Sainte-Beuve (1840-1859) et la tragédie d’Henry de Montherlant, Port-Royal (1954).


Le second jansénisme

Cette trêve fut bénéfique au mouvement, et c’est sans doute durant cette période qu’il s’implanta solidement dans le clergé français, tant séculier que régulier. Mais la paix, née d’un besoin passager de tranquillité intérieure, fut compromise après le traité de Nimègue, en 1679, lorsque Louis XIV reprit la lutte.

La persécution recommence alors contre Port-Royal, où pensionnaires et novices sont expulsés et où on interdit d’en recevoir d’autres, ce qui condamne le monastère à la disparition. Trouvant même sa mort trop lente, Louis XIV en 1709 disperse les quelques dernières vieilles religieuses, et deux ans plus tard pousse l’acharnement jusqu’à raser les bâtiments.

Sur les ruines de Port-Royal, cependant, un autre jansénisme allait naître. Il présentera d’ailleurs un tout autre caractère que le premier : plus que religieux et théologique, il sera politique, gallican et parlementaire. Petit à petit, il constituera un parti antiabsolutiste et s’engagera dans des alliances compromettantes. Arnauld, qui s’était exilé en Hollande, y avait été suivi en 1685 par un oratorien, Pasquier Quesnel (1634-1719). Après sa mort en 1694, ce fut Quesnel qui prit la tête du mouvement. Il avait, bien plus qu’Arnauld, toutes les qualités qui font un vrai chef de parti.

Alors qu’il était en France, il avait fait publier un livre de Réflexions morales qui avait été approuvé par Louis Antoine de Noailles (1651-1729), alors évêque de Châlons-sur-Marne. Devenu archevêque de Paris (1695), ce dernier refusa de renier Quesnel, que Rome avait condamné en 1708. Comme il entraînait de nombreux évêques à sa suite, Louis XIV, toujours ennemi des jansénistes et poussé par ses confesseurs jésuites, obtint de Clément XI (pape de 1700 à 1721) en septembre 1713 la bulle Unigenitus Dei filius, qui condamna cent une propositions tirées du livre de Quesnel.

En 1714, une quinzaine d’évêques, dont Noailles et Daniel de Caylus (1669-1754), d’Auxerre, refusèrent la bulle. L’épiscopat se divisa une nouvelle fois entre opposants et acceptants. On fut au bord du schisme, et Louis XIV parlait de réunir un concile national. Après sa mort, le Régent se montra au début favorable aux jansénistes. En 1717, quatre évêques, dont Jean Soanen (1647-1740), de Senez, firent appel (ce qui leur valut le nom d’appelants) en Sorbonne de la bulle à un concile général. D’autres évêques, dont Noailles, se joignirent à eux, et les adhésions se multiplièrent dans le clergé.

Aussi, lorsque l’année suivante le pape excommunia les « appelants », l’opposition parlementaire ôta toute efficacité pratique à la sentence. Mécontent de ces querelles sans fin, le Régent sévit contre les jansénistes, qu’il exila ou emprisonna, et il voulut faire en 1727 un exemple en faisant déposer l’évêque Soanen au concile d’Embrun, présidé par le peu reluisant archevêque de cette ville, Pierre Guérin de Tencin (1680-1758). En 1730 enfin, la bulle Unigenitus devint loi de l’État par la volonté du cardinal de Fleury et malgré l’opposition du Parlement. À partir de cette date, Fleury s’attacha sans bruit à affaiblir le jansénisme par les exils et les emprisonnements.