Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

jansénisme (suite)

La querelle rebondit en 1749 lorsque l’archevêque de Paris, Christophe de Beaumont (1703-1781), exigea des mourants un billet de confession certifiant qu’ils acceptaient la bulle Unigenitus. Ces excès engendrèrent drames et scandales, et le Parlement fit de sa propre autorité administrer et enterrer les récalcitrants. Devant cette opposition, Louis XV exila son Parlement. Enfin, en 1754, le roi donna une déclaration, dite « loi du silence », qu’il imposa en effet aux deux partis. Cette même année était mort l’évêque d’Auxerre, Caylus, dernier des « appelants » et dernier membre ouvertement janséniste de l’épiscopat.

Mais le parti resta vigoureux longtemps encore et, sous l’influence des persécutions, acquit alors une mentalité de clan minoritaire qui se reflète dans les Nouvelles ecclésiastiques, bulletin clandestin qui parut de 1728 à 1803. Cette mentalité engendra une « théologie de désespoir » qui l’amena à soutenir aussi bien les convulsionnaires du tombeau du diacre Paris à Saint-Médard (1727-1732) qu’à approuver les scènes collectives d’hystérie et de sadisme qui s’épanouirent après la fermeture du cimetière dans de nombreuses maisons privées. Des hommes, des femmes, des religieuses surtout demandèrent à être frappés ou crucifiés ; ces pratiques reçurent le nom de secours ; il y eut les petits et les grands secours. Un parlementaire, Carré de Montgeron, s’en fit le protecteur. La police royale traqua les membres de ces sectes. Cependant, le « secourisme », par ses excès, divisa le parti janséniste et le discrédita.

Le prophétisme et l’attente eschatologique avec le culte des reliques de Port-Royal sont les autres traits du jansénisme déclinant. L’influence janséniste persista cependant au xixe s. et même jusqu’au début du xxe et fut plus importante qu’on ne l’a cru jusqu’ici ; mais, comme le mouvement constitua des groupes très fermés, presque des sociétés secrètes, il a pour cette raison échappé à l’histoire.

Le jansénisme hors de France

Pays-Bas espagnols

Les chefs du jansénisme français — Arnauld, puis Quesnel — se réfugièrent à Bruxelles, où ils firent de nombreux disciples. Mais quand Hubert Willem de Precipiano (1626-1711) accéda au siège archiépiscopal de Malines (1690), une violente réaction antijanséniste déferla sur les Pays-Bas, au point que Quesnel, d’abord incarcéré dans les prisons de l’archevêché, dut s’enfuir à Amsterdam (1703), où le poursuivit l’excommunication de Precipiano. En 1714, tous les évêques belges donnèrent des mandements ordonnant la soumission à la bulle Unigenitus.

Provinces-Unies

Par contre, aux Provinces-Unies, les jansénistes se crurent assez forts pour aller jusqu’au schisme. En 1702, le pape dissout le chapitre d’Utrecht ; un professeur de droit canon à l’université de Louvain, le janséniste Zeger Bernhard Van Espen (1646-1728), affirma le caractère canonique de ce chapitre. À partir de 1724, l’Église d’Utrecht se donna un archevêque schismatique, Cornelis Steenoven (1662-1725). Ainsi prit naissance le schisme dit « des vieux-catholiques », qui garde des adeptes dans les Pays-Bas actuels.

Italie

Au début du xviiie s., un courant favorable au jansénisme doctrinal se développa à Rome même, sous le manteau, notamment parmi les oratoriens de la Chiesa nuova et les augustins au temps du général de l’ordre Francisco Javier Vásquez. Plusieurs cardinaux sympathisèrent avec ce mouvement, dont le centre était le groupe dit « de l’Archetto », constitué autour du conservateur en chef de la Bibliothèque vaticane, Mgr Bottari, et de son second, Mgr Foggini, tous deux Toscans comme Clément XII, de la famille des princes Corsini, qui les avait appelés à Rome.

Après lui, Benoît XIV témoigna aux ecclésiastiques soupçonnés ou même convaincus de jansénisme une certaine indulgence, mais une hostilité déclarée caractérisa le pontificat de Clément XIII et surtout de Pie VI, lorsque le jansénisme, allié au courant franchement antiromain des universités de Vienne et de Pavie, dans les domaines de la monarchie autrichienne, y obtint pleine faveur, ainsi que dans les États italiens alliés aux Habsbourg : Toscane, duché de Parme, royaume de Naples et même Piémont.

La plus retentissante manifestation de jansénisme se vérifia en 1786 lorsque l’évêque de Pistoia, Scipione de Ricci (1741-1810), y tint un synode avec l’accord du grand-duc de Toscane et le concours des principaux théologiens acquis au jansénisme politico-religieux, notamment Pietro Tamburini (1737-1827), professeur à l’université de Pavie, et l’oratorien génois Vincenzo Palmieri (1753-1820). Ricci diffusa dans son diocèse plusieurs séries d’opuscules soit traduits des auteurs français de Port-Royal, soit inspirés par eux. Sa vaste bibliothèque privée ne contenait que des écrits port-royalistes. La condamnation de ses entreprises par Rome ne vint cependant qu’en 1794, par la bulle Auctorem fidei, dont le rédacteur avait été le cardinal de curie Giacinto Sigismondo Gerdil (1718-1802). Ricci, très impopulaire dans son diocèse, avait dû démissionner en 1791 à la suite d’une émeute paysanne. Il sera même emprisonné après l’accession de son protecteur, le grand-duc Léopold, au trône impérial (1799), et ne rentrera en grâce auprès du pape qu’en 1805, au retour de Pie VII des fêtes du couronnement de Napoléon ; mais ses Mémoires prouvent que son repentir fut peu sincère.

Entre-temps, sous le régime français, les prêtres favorables au républicanisme propagé par l’occupant jouissaient d’une faveur ouverte à Milan, à Turin et à Gênes, où l’un d’eux, l’évêque du petit diocèse de Noli, le dominicain Solari, fit même partie d’une commission gouvernementale. Un autre prêtre génois, l’abbé Eustachio Degola (1761-1826), après s’être prodigué pour faire approuver par ses confrères la constitution civile du clergé, assista en France au concile national de 1801, accomplit en 1809 un pieux pèlerinage aux ruines de Port-Royal, dont il a laissé le récit, et accompagna l’abbé Grégoire dans le voyage qu’il fit en Angleterre, aux Pays-Bas et en Allemagne.