Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

jansénisme (suite)

Les grandes controverses

Par un de ses amis, Robert Arnauld d’Andilly (1589-1674), Saint-Cyran à partir de 1634 commença à fréquenter le monastère de Port-Royal, que la sœur de son ami, la Mère Angélique Arnauld (1591-1661), avait réformé dès 1608/1609. Il devint bientôt le directeur des religieuses, qui s’enthousiasmèrent pour sa doctrine spirituelle. En 1637, il convertit un neveu de la Mère Angélique, Antoine Lemaistre (1608-1650), qui fut le premier solitaire de Port-Royal.

C’est alors que Richelieu, mécontent des positions politiques de Saint-Cyran, le fit enfermer au donjon de Vincennes (14 mai 1638), mais ne put établir aucune accusation d’hérésie. Néanmoins, Saint-Cyran ne sortit de sa prison qu’après la mort de Richelieu, et il devait mourir quelques mois plus tard, le 11 octobre 1643. L’année de l’arrestation de Saint-Cyran, Jansénius, qui avait été sacré évêque d’Ypres en 1636, était mort. Mais avant de mourir il avait écrit le grand ouvrage qui fut la bible du jansénisme, l’Augustinus, qui parut en 1640. Ce texte devait soulever une tempête et rouvrir la querelle de la grâce.

La controverse allait être soutenue par le propre frère de la Mère Angélique, un docteur en Sorbonne, Antoine Arnauld, le « Grand Arnauld » (1612-1694). Un livre de lui avait déjà passionné l’opinion, De la fréquente communion (1643), que Rome malgré des pressions s’était refusé de condamner. En 1649, le syndic de Sorbonne, Nicolas Cornet, demanda l’examen de sept propositions tirées de l’Augustinus. L’épiscopat se divisa aussitôt, et, en 1651, les cinq premières propositions furent portées à Rome. Au même moment, divers incidents attirèrent de nouveau l’attention sur Port-Royal : un pamphlet injurieux d’un jésuite accusait les religieuses de nier l’eucharistie et de ne pas fréquenter les sacrements.

Sur ces entrefaites, Innocent X (pape de 1644 à 1655), par la bulle Cum occasione, condamnait en 1653 les cinq propositions.

C’était un rude coup pour les jansénistes, et le parti adverse n’eut pas le triomphe modeste. La bulle de 1653 venait de rompre un équilibre, acte très grave qui explique la réaction janséniste. En effet, Rome, qui n’avait pas condamné le De concordia de Molina en 1588 et qui, par la suite, avait refusé à plusieurs reprises de prendre parti et avait imposé la loi du silence sur toutes les questions touchant la grâce, se devait logiquement pour poursuivre sa politique libérale de ne pas condamner l’Augustinus.

Le résultat, c’est l’opposition d’une grande partie de l’opinion catholique et le déséquilibre des positions dogmatiques. C’est une Église entraînée pour un siècle dans les déchirements et les querelles. Arnauld riposta aussitôt et, en 1654, démontra que si les cinq propositions condamnées à Rome étaient bien hérétiques, par contre, elles n’étaient pas dans Jansénius. C’est la célèbre distinction du « droit » et du « fait », qu’Arnauld exposera encore dans sa Seconde Lettre à un duc et pair, de 1655. Mais le grand docteur ne se contenta pas de se défendre : il attaqua à son tour en repoussant la théorie moliniste de la grâce suffisante ; c’était revenir au cœur de l’affaire et reposer le problème de la grâce et du libre arbitre, non tranché depuis le milieu du xvie s.

Retiré aux Granges, maison des solitaires toute proche de Port-Royal des Champs, Arnauld s’y concerta avec l’un d’eux, Pierre Nicole (1625-1695), qui professait aux Petites Écoles. C’est alors que le secours leur vint d’un frère d’une des religieuses du monastère : il s’appelait Blaise Pascal*. Pascal vint aux Granges en 1656, invité par Arnauld. C’est grâce à lui qu’une querelle de théologiens allait être portée devant l’opinion publique et passionner les salons parisiens.

Le succès des Lettres provinciales (1656-57) est dû au talent littéraire de l’auteur des Pensées et à l’habileté avec laquelle insensiblement il déplace la polémique du terrain théologique au terrain moral. L’opinion fut conquise d’emblée, et les Jésuites reçurent un coup terrible. La morale laxiste fut déconsidérée pour longtemps. Aussi une nouvelle condamnation romaine ne changea-t-elle rien aux positions de chacun (bulle Ad sacram [1656] d’Alexandre VII). Du parti dévot, il ne restait plus alors que Port-Royal, mais il allait cristalliser, peu à peu, autour de lui, les centres traditionnels d’opposition à l’absolutisme comme la noblesse de robe et les parlements. Mazarin, épicurien peu soucieux de controverses religieuses, laissa les choses en l’état, mais, après sa mort, Louis XIV reprit la lutte et voulut obliger clercs et réguliers à souscrire un « formulaire » conforme à la bulle de 1657. À partir de 1661, des persécutions s’abattirent sur les jansénistes et Port-Royal, provoquant la colère de nombreux évêques comme d’une partie de l’opinion. Louis XIV, soucieux d’unité au moment de mobiliser le pays dans la guerre contre la Hollande, rétablit la paix en 1669. Il fut secondé par un pape pacifique, Clément IX (de 1667 à 1669), qui, alarmé par l’attitude de nombreux prélats, craignait un schisme. Une période de dix ans allait suivre, connue dans l’histoire du jansénisme sous le nom de « paix de l’Église ».

Port-Royal

Abbaye de femmes fondée en 1204 (cistercienne en 1225) dans la vallée de Chevreuse. La communauté demeura dans l’obscurité jusqu’au début du xviie s.

En 1599, la famille des Arnauld commença à témoigner de l’intérêt pour l’abbaye : Jacqueline Arnauld, âgée de sept ans, fut nommée coadjutrice de l’abbesse. La cour de Rome objectant son jeune âge, ce ne fut qu’en 1602 qu’elle devint abbesse, sous le nom d’Angélique (sa sœur Jeanne [1593-1671], future mère Agnès, était abbesse de Saint-Cyr). La discipline était alors fort relâchée à Port-Royal, et l’abbesse demeura quelques années hésitante entre la vie abbatiale et la nostalgie du monde, avant de décider, en 1608, d’entreprendre une réforme et de persuader les religieuses d’adopter une stricte clôture. Elle en donna l’exemple lors de la « journée du guichet », le 25 septembre 1609, en refusant de recevoir son père et ne consentant à lui parler qu’à travers le guichet.

L’abbaye s’étant accrue et le site restant insalubre, les quatre-vingts religieuses s’établirent à Paris (1625-26) : ce fut Port-Royal de Paris, qu’on distingua de Port-Royal des Champs.