Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Janequin (Clément) (suite)

Janequin donne vie au texte en gardant la rapidité du débit de la parole. C’est une nouvelle déclamation qui ouvre la voie au récitatif. Sur quatre notes en « croches », un galant demande à sa belle : Pourquoy voules-vous cousturier aultre que moy ? Il n’est pas rare de trouver de brusques changements de débit, lorsqu’on passe du simple récit à la traduction d’un mot précis comme « vole », « frétille » ; « le diable me puisse emporter » s’envole sur des « doubles croches » ascendantes après le récit plus lent, On vous est allé rapporter. Ces changements peuvent aussi se marquer par le passage d’une mesure binaire à une mesure ternaire. Dans Tu as tout seul Jehan Jehan, il se produit une petite rupture d’équilibre très fugitive au milieu d’un vers, car seuls les mots « Jehan Jehan » chantent sur deux longues binaires, alors que le reste alterne brève-longue en mesure ternaire. Mais la conclusion humoristique (« tout seul ta femme tu n’as pas ») s’appuie sur une mesure carrée binaire et une déclamation aussitôt plus rapide.

La liberté à l’intérieur d’une même chanson est donc totale : il n’y a pas un ordre logique posé dès le point de départ ; mais un déroulement qui peut varier instantanément si le texte le demande. Un chef-d’œuvre de l’érotisme galant, Du beau tétin, est une composition ample où Janequin déploie toute sa science : la même mélodie, reprise au début et à la fin, encadre des groupes de deux vers où alternent rythmes binaires et ternaires, homophonie et polyphonie, parties déclamées et mélodies.

À l’explosion des effets multiples, Janequin sait aussi opposer sobriété et gravité, en particulier dans les pièces à caractère lyrique. Dur acier et diamant est une affirmation simple de la solidité d’une amitié qui résistera même à l’usure de la plus solide des pierres. Rien ne perturbe le déroulement de ce chœur homophone qui se permet juste un petit jeu de « croches » sur la répétition finale du mot « amitié ». Il semble que seule la compréhension du texte soit devenue importante ; la musique retrouve alors quelque chose de la psalmodie du plain-chant.

Une innovation importante apparaît dans les dernières œuvres de Janequin. Sans doute sous l’influence de l’Italie, un nouveau moyen expressif est né : le chromatisme. L’inattendu d’intervalles altérés tels que fa dièse — si bémol, dans En la prison les ennuys et Vivons folastres, rejoint bien la recherche de notre musicien pour une traduction immédiate du sens du texte ; de même, le glissement par demi-tons du sol au mi de Non feray je n’en feray rien.

À côté de ses contemporains — Sermisy, Certon, Sandrin, Passereau —, Janequin illustre de la manière la plus complète le mouvement poétique et musical qui se fait jour au milieu du xvie s. Par ses qualités de « musicien concret » avant la lettre, par la vérité du rapport qu’il institue entre le texte et la musique, il reste moderne, et, selon les louanges de J. A. de Baïf :
L’excellent Janequin, en tout cela qu’il chante
N’a rien qui soit mortel, mais il est tout divin.

M.-M. K.

➙ Chanson.

 J. Levron, Clément Janequin, musicien de la Renaissance (Arthaud, 1948). / Clément Janequin. Chansons polyphoniques (Éd. complète avec une introduction par A. T. Merritt et F. Lesure) [l’Oiseau-lyre, Monaco, 1963-1971 ; 6 vol.].

Janet (Pierre)

Psychologue et médecin français (Paris 1859 - id. 1947), neveu du philosophe Paul Janet (1823-1899).


Ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de philosophie et docteur es lettres avec une thèse sur l’Automatisme psychologique (1889), Janet entreprit parallèlement des études de médecine et se spécialisa en psychopathologie. Ainsi que Sigmund Freud*, il suivit l’enseignement de Charcot à la Salpêtrière : sa thèse de médecine sur les Accidents mentaux des hystériques (1893) en porte l’empreinte. Il enseigna au Collège de France dans la chaire de psychologie expérimentale et comparée.

La pensée de Janet se situe au carrefour de multiples courants : évolutionnisme de Spencer, positivisme d’Auguste Comte*, dynamisme de H. Bergson*, dont la conception de l’élan vital est présente dans toute l’œuvre de Janet et du courant expérimentaliste français représenté par Ribot.

Pour Janet, l’objet de la psychologie est non pas le comportement*, comme pour le béhaviorisme*, mais la conduite, le terme de conduite incluant non seulement les phénomènes élémentaires comme les réflexes ou les instincts, mais également la conscience et tous les phénomènes supérieurs (croyance, jugement, langage).

À partir d’une observation fine et minutieuse de malades mentaux, P. Janet a dégagé une théorie du fonctionnement du psychisme appelée psychologie des conduites.

Cette théorie repose sur une classification phylogénétique et ontogénétique des conduites. C’est ainsi qu’il distingue, des plus simples aux plus complexes :
— les conduites animales (irritabilité, alimentation, excrétion, fécondation), c’est-à-dire les instincts qui retiennent toute l’attention de Freud ;
— les conduites intellectuelles élémentaires (rassemblement, mémoire, langage) ;
— les conduites moyennes (croyance assertive, puis réfléchie) ;
— les conduites supérieures, qui font intervenir les règles morales et les lois de la raison. Elles sont caractérisées par la possibilité de conduites individuelles originales permettant au sujet de s’adapter au monde de façon créatrice. Elles représentent la fonction du réel et tiennent sous leur dépendance les conduites de niveau inférieur plus automatisées.

L’actualisation de tel ou tel type de conduite dépend de la force psychologique de l’individu au moment donné : c’est-à-dire de la quantité d’énergie psychique disponible. Mais, à la différence de Freud, Janet n’attribue pas à cette énergie une origine sexuelle. L’actualisation dépend également de la tension psychologique, la tension étant un bouleversement qualitatif de l’énergie psychique permettant une conduite de plus haut niveau avec une force moindre.

Ces concepts de force et de tension psychologiques permettent à Janet de rendre compte des phénomènes morbides. Si la tension reste au même niveau et si la force diminue apparaissent les états de tristesse et d’effort. Par contre, si la tension diminue, les fonctions supérieures d’adaptation au réel sont débordées comme dans le délire.

Janet, qui a le premier décrit la psychasthénie*, la définit comme un trouble constitutionnel de la fonction du réel permettant aux conduites relevant d’un niveau inférieur de tension d’émerger sous forme de doute, d’obsessions, d’angoisse et de sentiment d’incomplétude de soi.

Face à la psychasthénie, il caractérise l’hystérie* comme un rétrécissement du champ de la conscience et sa fascination par des images ou des affects isolés, ainsi qu’une exagération des fonctions d’expression.

La pensée de Janet représente une tentative, à peu près contemporaine de celle de Freud, pour rendre compte du fonctionnement psychique aussi bien normal que pathologique. On lui reproche le plus souvent de ne pas tenir compte de la psychogenèse individuelle ni du lien entre l’histoire infantile du sujet et les symptômes qu’il présente.