Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Janequin (Clément) (suite)

L’œuvre


L’œuvre religieuse

Janequin composa pour les besoins du service liturgique catholique messes et motets mais aussi psaumes et chansons spirituelles en langue vulgaire pour les offices calvinistes. Il eut sans doute des sympathies pour la Réforme : ses relations avec Eustorg de Beaulieu, Germain Colin, Claude Goudimel, sa prédilection pour le poète Marot en sont des indices, mais rien ne le prouve avec certitude.

Ses deux messes, publiées entre 1538 et 1554, parodient les chansons la Bataille et l’Aveuglé Dieu, en reprennent les diverses sections mélodiques et même la construction harmonique. Ce procédé était déjà courant chez Josquin Des Prés et ses contemporains.

De son recueil de motets de 1533, il ne nous reste qu’une seule pièce : Congregati sunt omnes.

Janequin présente lui-même, en 1549, ses vingt-huit psaumes en français : « Quand à la musique que j’ay conformée aux affections et couleurs du poesme, elle ne te pourra que consoler si tu es triste, et, si tu es joyeux, t’y maintenir. » Composés sur les mélodies traditionnelles du chant calviniste, ils furent suivis en 1555 par un livre de chansons et cantiques spirituels, et, l’année suivante, par les Lamentations de Jérémie.

Les Proverbes de Salomon et les Octante-deux psaumes de David constituent, à la fin de sa vie, son testament musical. Composés en « accords non usités », les psaumes témoignent de recherches nouvelles.


L’œuvre profane

Les 254 chansons que l’on peut attribuer avec certitude à Janequin constituent une somme de toutes les tendances poétiques et musicales de la première moitié du xvie s. La récente édition moderne de ces chansons révèle la richesse et la variété des textes que Janequin a mis en musique.

Les grandes fresques descriptives sont les plus célèbres. De son temps déjà, on sait la gloire que lui valut la Bataille de Marignan, qui, d’après un manuscrit découvert à Mexico, ne tarda pas à traverser l’Atlantique ! L’œuvre fut copiée, transcrite pour luth et inspira de nombreuses autres « batailles ». Le poète J. A. de Baïf souligne son art de l’imitation :
Soit que représenter les vacarmes il ose,
Soit qu’il joue en ses chants le caquet féminin,
Soit que des oysillons les voix il représente...
La Chasse, les Cris de Paris, le Caquet des femmes, le Chant des oiseaux sont une sorte de mise en scène d’un texte narratif, d’inspiration populaire ; des onomatopées et syllabes diverses viennent interrompre le cours du récit et s’entrecroisent d’une voix à l’autre dans une déclamation très rapide. Aussi ces compositions ont-elles une durée inaccoutumée.

Mais la partie la plus importante de son œuvre, la moins célèbre aussi, suit d’autres voies. Illustrée par A. Bruhier au début du siècle, la veine populaire de l’érotisme le plus cru se fait jour dans des textes strophiques, aux vers irréguliers, parfois truffés de syllabes sans signification (Or vien ça, vien, m’amye, Mais ma mignonne...). On conte quelque aventure grivoise, lorsque Martin menoit son pourceau, ou bien on imite un poème courtois : Si d’ung petit de vostre bien, pour s’en moquer ensuite en l’enchaînant à un texte des plus réalistes. Un érotisme satirique peut aussi soutenir une cause politique. Les vices d’un clergé hypocrite sont dénoncés dans Ung gros prieur, Maître Ambrelin, confesseur de nonettes, qui rejoignent une veine rabelaisienne.

À l’opposé, Janequin reprend le thème de l’amour courtois des rhétoriqueurs du xve s. : Ce n’est pas moy, c’est vous, ma dame est un rondeau qu’Antoine Busnois utilisa déjà un siècle auparavant ; Or veit mon cueur présente l’éternel amant délaissé. Ce courant poétique se renouvelle cependant sous l’influence des idées de Platon et des sonnets de Pétrarque : on aime la belle de loin, en contemplant ce qu’elle a « de beau, de chaste et d’honneur » (Nature ornant la dame de P. de Ronsard). Les dieux participent ou sont pris à témoin des flammes ou des tourments : Jupiter ne peut-il rallonger les nuits comme il le fit pour forger Hercule (Qui diable nous a faict) ? Dans Quel dieu du ciel, une mort pire que celle d’Hécube est préférée à l’idée de mentir à celle qu’on aime.

L’érotisme réaliste, l’amour chaste et l’humanisme se joignent parfois en une composition savoureuse lorsque la Petite Nymphe folastre ressemble à la bergère ; l’éclat de ses « doux yeux » voisine avec son goût sucré ; c’est une « doucette », mais aussi une « citherée » ! Et finalement, elle doit « mille fois le jour baiser » son amant. Ronsard a réussi ici cette synthèse qui redonne vie à une expression de l’amour auparavant stéréotypée.

Janequin a choisi une palette poétique très variée. De Marot, il met en musique seize épigrammes et chansons. À côté de nombreux auteurs restés anonymes, Mellin de Saint-Gelais lui procure huit textes ; Ronsard, cinq ; François Ier, poète à ses heures, trois. Deux sont de Germain Colin, et les autres de Joachim du Bellay, Claude Chappuys, Jean Bouchet, Martial Guyet, Saint-Romard et J. A. de Baïf.

Le style musical varie autant que celui des textes, car Janequin adapte très exactement son écriture au ton du poème.

Ainsi, à l’archaïsme de certains textes du xve s. répond une polyphonie qui commence déjà à « dater » lorsqu’il la compose. Elle rappelle certains aspects un peu artificiels du langage de Josquin Des Prés : un canon strict entre le ténor et le soprano gouverne Si j’ay été vostre amy, tandis que l’écriture d’un Févin se fait jour dans quelques trios, parus cependant dans les dernières années de la vie de Janequin : le thème est au ténor, orné par un contrepoint fleuri des autres voix, qui reprennent les notes du thème, les transforment en gammes et mélismes de toutes sortes.

Cependant, sa polyphonie est surtout remarquable par son art de la combinaison des voix, qui se répondent, se chevauchent ou se groupent en ensembles homophones. À la différence du contrepoint de ses prédécesseurs, on n’a pas besoin de faire effort pour suivre des parties indépendantes dans leur déroulement ; tout concourt à un effet immédiat. Dans ses pièces descriptives, les bruits de la nature ou des hommes durent et évoluent dans leur complexité grâce au jeu d’une savante polyrythmie. Cette perception nouvelle émut fort les contemporains, si l’on en juge par la remarque de N. Du Fail à propos de la Bataille de Marignan : « Il n’y avoit celui qui ne regardast si son espée tenoit au fourreau et qui ne se haussast sur les orteils pour se rendre plus bragard et de la riche taille. » J. A. de Baïf pense pour sa part que cette musique contraint les esprits à abandonner les corps !