Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Janequin (Clément) (suite)

Pendant toute cette période, Janequin s’est déjà fait connaître comme un compositeur accompli de chansons. En particulier, une œuvre publiée chez l’éditeur parisien Pierre Attaingnant en 1528, mais déjà connue dans des manuscrits de 1520, déborde immédiatement le cadre des frontières : la Guerre (ou la Bataille de Marignan), François Ier ne pouvait que récompenser celui qui célébrait sa victoire de telle manière : après la paix de Cambrai (août 1529), de passage à Bordeaux en 1530 pour accueillir les enfants de France libérés de leur captivité d’Espagne, il permit à Janequin de porter le titre de « chantre du roi ». Janequin composa pour ces festivités Chantons, sonnons trompettes, invitant « jeunes fillettes, bourgeoises et bourgeois » aux réjouissances.

Il lui arrivait aussi de participer à la vie mondaine de sa ville. Ainsi, en 1529, il se trouve, en compagnie d’Eustorg de Beaulieu, chez l’avocat du roi Bernard de Lahet. Ce dernier, malgré une conjoncture politique mauvaise et une période de famine intense, organisait des soirées musicales où l’on chantait « jusqu’à mynuist ».

La mort de l’archevêque, cette année-là, prive le musicien de ses bénéfices ecclésiastiques. Il va donc tenter sa chance ailleurs. Il possède déjà une cure dans les environs d’Angers, patrie de son frère. La cathédrale de cette ville lui offre une place de chapelain en 1527, et bientôt son premier poste fixe : la direction de la psallette en 1535. Il a atteint la cinquantaine ! Le voici au cœur d’un cercle littéraire et artistique des plus brillants. Deux grands personnages suivent avec intérêt la vie de ce groupe de poètes et de musiciens : l’évêque Jean Olivier, poète, humaniste, amateur de musique (il entretenait un joueur de viole), et François de Gondi, seigneur des Raffoux, qui prend Janequin et son ami Loys Henry comme parrains de deux de ses enfants. L’organiste de la cathédrale, Jean Daniel, dit Mithou, fait le lien entre les représentants des lettres et de la musique à Angers. Lui-même compose des noëls en langage poitevin selon une tradition locale que suivent aussi le vieil oncle de Rabelais, Frappin, et Lucas Le Moigne. Il préface les Aventures de P. Faifeu, écrites par un ancien chantre, Charles Bourdigné. Janequin participe à cette activité ; il est en relation avec un disciple de Marot, le calviniste Germain Colin, dont il met en musique deux traductions latines.

Ce cercle animé reçoit aussi son inspiration du mouvement poétique de la Cour. Celle-ci n’est pas loin ; de plus, grâce aux éditeurs, les « nouvelles littéraires » circulent vite. C’est ainsi que Janequin fit paraître chez Attaingnant le poème de Marot intitulé Du beau tétin, quelques mois seulement après que le poète l’eut composé. Il contribua à lancer la mode des « blasons anatomiques ».

La vie musicale à Angers est de qualité. La psallette de la cathédrale est renommée ; les bandes de joueurs d’instruments possèdent des virtuoses de classe que l’on vient chercher de loin. Ceux-ci animent les diverses festivités de la ville : procession de la Fête-Dieu, entrée de l’évêque, installation ou obsèques des officiers municipaux. Tout cela favorise l’activité musicale de Janequin. Entre 1533 et 1540, l’éditeur Attaingnant lui consacre par quatre fois un recueil entier de chansons et sans doute un recueil de motets, introuvable jusqu’à maintenant.

Pour des raisons inconnues, dès 1537, Janequin délaisse son poste à la cathédrale au profit de son ami Loys Henry et reprend sa vie d’éternel assisté. Après le départ de François de Gondi en 1540, le cardinal Jean de Lorraine prodigue « singulières affections et bonne volonté » à notre musicien. Celui-ci devient curé d’Un-verre, près de Chartres, grâce à Charles de Ronsard, aumônier du roi et frère du poète. Il s’inscrit à l’université d’Angers, pour obtenir de meilleurs bénéfices et peut-être faciliter son entrée à la chapelle du roi. En effet, en 1549, son installation à Paris est définitive. Six ans plus tard, il obtient enfin le poste rêvé, « chantre ordinaire du roi » ; il a plus de soixante-dix ans et se trouve sous les ordres de Claudin de Sermisy. Dans ce lieu convoité par tant d’artistes, il peut rencontrer d’excellents musiciens : le chantre G. Belin, le joueur de viole P. Dauxerre, les compositeurs P. Sandrin et J. Arcadelt.

Mais Paris est aussi le centre de l’édition musicale. Grâce à un compagnon d’université, le compositeur Claude Goudimel, Janequin a ses entrées chez l’éditeur Nicolas Du Chemin, qui, après la mort d’Attaingnant, en 1550, prend le monopole des éditions parisiennes de chansons. Goudimel est en effet correcteur et conseiller artistique dans cette maison et favorise la publication d’une quarantaine de chansons de Janequin.

D’autre part, assez spontanément, des cercles de musiciens et de poètes se créent. Janequin rivalise amicalement avec quelques compositeurs, en mettant en musique les mêmes textes littéraires ; parmi eux, Étienne Du Tertre, organiste à Paris en 1556, et Pierre Certon, maître des enfants de chœur de la Sainte-Chapelle. Mais l’événement le plus important rassemble en 1552 l’humaniste Marc-Antoine Muret, Certon, Goudimel et Janequin pour l’illustration musicale des Amours de Ronsard. À l’appel du poète, plus de trente musiciens participèrent ensuite à cette union de la musique et de la poésie. Ainsi, la voie est ouverte pour la création de la célèbre Académie de poésie et de musique (v. académies de musique) que fonderont en 1570 Jean Antoine de Baïf et Thibaut de Courville.

Janequin continue à publier ses chansons, cette fois chez les éditeurs Adrian Le Roy et Robert Ballard ; sa célébrité a atteint un point culminant, et pourtant il recherche toujours de nouveaux appuis : le duc François de Guise lui accorde le titre de « chapelain », purement honorifique bien que le musicien ait chanté le Siège et prise de Thionville, succès militaire du duc en 1558. Cette année-là, Janequin eut l’insigne privilège de porter le titre de « compositeur ordinaire » du roi ; seul P. Sandrin en avait été gratifié avant lui. Malheureusement, il ne peut profiter des avantages matériels liés à sa situation : par suite de la crise économique européenne et des guerres, les caisses de l’État sont vides. Il s’en plaint en rédigeant son testament ; ses quelques biens sont légués à sa fidèle servante en paiement de ses services, sans qu’il soit fait aucune mention de sa famille. Sa mort intervient peu après, vers 1560.