Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Italie (suite)

Les vicissitudes de l’Italie contemporaine sollicitent avec urgence la réflexion politique et historique, où s’illustre Machiavel. Si l’incompréhension à laquelle celui-ci se heurte est d’ordinaire d’ordre moral ou religieux, dans ses Considerazioni sui Discorsi del Machiavelli (1527-1529) François Guichardin (Francesco Guicciardini, 1483-1540) le réfute sur le plan de l’objectivité politique, en contestant le bien-fondé de son perpétuel recours à l’histoire romaine. S’il n’a pas le génie conceptuel de Machiavel, Guichardin possède une plus vaste expérience des affaires publiques, qui, alliée à une plus grande modernité d’écriture et de composition, fait tout le prix de ses Ricordi politici e civili et de la Storia d’Italia, dont l’exposé (1492-1534) complète celui des juvéniles Sotrie florentine (1378-1509) et des Cose fiorentine (1375-1441). Par ailleurs, l’historiographie est de caractère trop souvent régional ou hagiographique (Istorie della città di Firenze de Iacopo Nardi [1476-1563] ; Storia fiorentina de Benedetto Varchi [1503-1565]). La théorie politique dans ses rapports avec l’éthique fait l’objet de Della perfezione nella vita politica (1579) de Paolo Parutta (1540-1598) et de Ragion di Stato (1589) de Giovanni Botero (1543-1617). Les Vite de’ piu eccellenti architetti, pittori e scultori italiani da Cimabue insino a’ tempi nostri (1550) de Giorgio Vasari* sont un texte fondamental dans l’histoire de la critique d’art.

Les documents abondent qui jettent une vive lumière sur l’instabilité de la société du xvie s., fondée sur l’individualisme et l’aventure ; parmi les plus remarquables : la Vita de Benvenuto Cellini*, les Lettres de l’Arétin, celles de Anton Francesco Doni (1513-1574) et, à un moindre degré, celles d’Annibale Caro, célèbre d’autre part pour sa traduction de l’Énéide.

À l’exception de Michel-Ange*, les poètes lyriques sont entièrement assujettis aux modèles pétrarquesques : Bembo, Gaspara Stampa (1523-1554), Vittoria Colonna (1490-1547), Galeazzo di Tarsia (1520-1553), Luigi Tansillo (1510-1568), Giovanni Della Casa (1503-1556). Giovanni Rucellai (1475-1525), Luigi Alamanni (1495-1556) et Tansillo composent en vers libres des traités d’agriculture et d’élevage dans la tradition des Géorgiques, et Francesco Berni (v. 1497-1535 ; Orlando innamorato) représente avec brio la poésie burlesque. Au nom de la poétique aristotélicienne, récemment remise à l’honneur, le poème épique est au centre de nombreuses polémiques, et la tyrannie des règles contraint fâcheusement l’inspiration de Trissino (L’Italia liberata dai Goti), d’Alamanni (Girone il Cortese, l’Avarchide) et de Giraldi (Ercole). Le chef-d’œuvre poétique du siècle n’en est pas moins le Roland furieux de l’Arioste, expression la plus harmonieuse des idéaux esthétiques de la Renaissance. Quant à la vie et à l’œuvre du Tasse, elles appartiennent déjà, à maint égard, à la civilisation qui, issue de la Contre-Réforme, allait conduire au triomphe du baroque.


L’âge baroque (xviie s.)

L’interprétation historique et critique du xviie s. italien est encore en cours. Plus encore que du discrédit jeté sur le baroque par le néo-classicisme, la littérature du xviie s. a longtemps souffert de préjugés d’ordre moral et politique. De De Sanctis à Croce, au nom de la « Nouvelle Italie » une, laïque et indépendante, on lui a reproché d’être l’expression d’une société figée, asservie à l’Église depuis le concile de Trente (1545-1563) et à l’étranger depuis le traité du Cateau-Cambrésis (1559). En fait, si la littérature baroque n’innove guère linguistiquement, elle se signale par une extraordinaire expérimentation rhétorique, accompagnée d’une vaste réflexion sur la rhétorique elle-même. Son conservatisme linguistique d’autre part est lié à l’œuvre de lexicographie la plus systématique qui ait été jusqu’alors entreprise en Europe : le Dictionnaire de l’Accademia della Crusca (fondée en 1582 et réformée en 1583 par Leonardo Salviati), publié en 1612, 1623 et 1691. Ouvrage dont le purisme archaïsant suscita nombre de résistances, mais qui contribua puissamment à unifier la langue littéraire italienne. Celle-ci commence à supplanter le latin même dans le domaine scientifique, en particulier avec Galilée*, que, pour cette raison, Kepler accuse de « lèse-humanité ». Le dialecte, qui régit toujours l’usage parlé, n’apparaît dans les textes qu’à des fins proprement littéraires. Ainsi du célèbre recueil de fables napolitaines dont s’inspira Perrault, Il Cunto de li cunti de Giambattista Basile (1575-1632), par ailleurs mariniste des plus raffinés. Bertoldo e Bertoldino, de G. C. Croce (1550-1609), fait exception : œuvre populaire écrite dans sa langue par un homme du peuple.

Si l’on excepte Giordano Bruno et Tommaso Campanella*, que leur génie visionnaire place au-dessus des genres, le phénomène poétique le plus spectaculaire du siècle, celui du moins auquel on assimile d’ordinaire le baroque littéraire italien, fut le « marinisme ». L’art de Giambattista Marino* en effet, a influencé aussi bien l’écriture de ses admirateurs les plus proches (Girolamo Preti, 1582-1626 ; Claudio Achillini, 1574-1640) que celle de ses ennemis (Tommaso Stigliani, 1573-1651). Excepté Ciro Di Pers (1599-1663) et le jésuite napolitain Giacomo Lubrano (1619-1693 ; Scintille poetiche), la plupart des marinistes se distinguent de Marino par une originalité moins poétique que thématique, un goût exacerbé du bizarre saisi dans ses manifestations les plus quotidiennes, la passion de l’actualité (machines, architectures et catastrophes naturelles) et d’infinies variations sur le thème de la beauté paradoxale (« la belle édentée », « la belle bègue », « la belle boiteuse », « la belle pouilleuse », etc.) : Gian Francesco Maia Materdona (de Lecce), les deux frères napolitains Lorenzo et Pietro Casaburi, Antonio Muscettola (1628-1679), Marcello Giovannetti (1598-1631), Scipione Errico (1592-1670), Girolamo Fontanella (1610-1644), Ludovico Leporeo (1582 - v. 1655), Francesco Melosio (1609-1670), Lodovico Tingoli (1602-1669), Maffeo Barberini (Urbain VIII, 1568-1644), Giambattista Manso (1561-1641), Giuseppe Artale (1628-1679), Antonio Bruni (1593-1635). Dans une tradition plus classique, où le baroque se tempère en préciosité et s’anime d’intentions morales, Gabriello Chiabrera (1552-1638) et Giovanni Ciampoli (1589-1643) font école, suivis de Fulvio Testi (1593-1646), Alessandro Guidi (1650-1712) et Vincenzo da Filicaia (1642-1707). Le poème épique sacrifie pesamment aux conventions (Gabriello Chiabrera, Gotiade ; Francesco Bracciolini, Croce racquistata ; Girolamo Graziani, Il Conquisto di Granata), tandis que le poème héroï-comique d’Alessandro Tassoni (1565-1635), La Secchia rapita, est d’une grandiose bouffonnerie. Iacopo Soldani (1579-1641) et le peintre napolitain Salvatore Rosa (1615-1673) excellent dans la satire. Bacco in Toscana de Francesco Redi (1626-1698) est un des chefs-d’œuvre de la poésie burlesque italienne.