Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Italie (suite)

La Renaissance (xvie s.)

Si l’expédition de Charles VIII (1494) inaugure pour l’Italie plusieurs siècles de morcellement politique et de domination étrangère, la conscience d’une unité culturelle italienne ne cesse désormais de s’affirmer à travers même les innombrables polémiques, linguistiques et esthétiques, qui caractérisent la vie intellectuelle du xvie s. Celle-ci se partage inégalement entre les nombreux petits États — républiques ou principautés — qui assurent une existence parfois brillante, mais souvent précaire, aux écrivains courtisans, employés à des fonctions administratives ou d’apparat, politiques et diplomatiques. L’instabilité de ces emplois est grande, et les échanges fréquents entre les cours. Le Tasse* par exemple, né à Sorrente de père bergamasque et de mère napolitaine, mais d’origine toscane, passa sa jeunesse à Salerne, Rome, Urbin, Venise, Padoue et Bologne avant de s’établir, provisoirement, à Ferrare. La plupart des cours favorisent l’essor d’académies qui, luttant contre les citadelles conservatrices de la latinité que sont les universités, travaillent à la diffusion de la langue et de la littérature italiennes ; et, sans porter encore atteinte au primat du latin, l’édition de textes en langue vulgaire progresse rapidement.

Outre les polémiques proprement littéraires à propos de Pétrarque et du pétrarquisme, de Dante et de Boccace, outre la violente querelle éthico-politique d’Annibale Caro (1507-1566) et de Lodovico Castelvetro (1505-1571), et celle qui opposa aux fervents du Tasse ses détracteurs aristotéliciens, le débat central du xvie s. porte sur le « problème de la langue ». La norme sera-t-elle celle, empirique et pluridialectale à prédominance toscane, qui régit l’usage des cours (cf. B. Castiglione, il Calmeta, G. Trissine) ? Adoptera-t-on (Machiavel*, P. Giambullari) le florentin moderne ? le toscan (C. Tolomei) ? Les Prose della volgar lingua (1525) de Pietro Bembo*, dont l’influence fut décisive, tranchent en faveur de la tradition littéraire toscane, passée au crible d’un purisme rigoureux.

La langue littéraire a désormais acquis une telle autonomie et un tel degré de normalisation qu’elle peut se permettre de jouer, à des fins parodiques, avec ses origines latine et dialectale. Triple contamination qui fait toute la saveur de la poésie macaronique (dont le ressort comique tient à l’insertion de formes italiennes et dialectales dans un contexte latin), genre né au siècle précédent et qui a son chef-d’œuvre dans le Baldus (1517) de Merlin Cocai, pseudonyme de Teofilo Folengo (1491-1544), l’un des maîtres de Rabelais et également l’auteur de Orlandino, la Moschaea, la Zanitonella, Il Caos del Triperuno. Le style pédantesque, ou fidenziano (de Fidenzio, pseudonyme de Camillo Scroffa [1526-1565]), qui consiste en revanche à truffer de latinismes le discours italien, sert aux innombrables caricatures de pédants qui peuplent la comédie du xvie s. (Il Pedante de Francesco Belo, 1529 ; Il Marescalco de l’Arétin*, 1533 ; Il Candelaio de Giordano Bruno*, 1582). Le dialecte enfin est fréquemment utilisé au théâtre pour diversifier et accentuer les « caractères », comme dans l’anonyme comédie vénitienne La Veniexiana ; et entièrement dialectale est l’œuvre de l’acteur et auteur comique padouan Angelo Beolco (v. 1500-1542), surnommé Ruzzante, puissant metteur en scène de la condition paysanne et génial précurseur de la « commedia dell’arte » (Pastorale, La Moscheta, La Fiorina, Anconitana, La Piovana, Vaccaria et trois Dialoghi dont le premier, Parlamento de Ruzzante che iera vegnu de campo, est une démystification de la guerre).

Le théâtre est alors avant tout un divertissement de cour. Les auteurs comiques empruntent au répertoire gréco-latin des intrigues et des situations toutes faites, qu’ils se contentent de combiner, voire de compliquer à l’envi, et la production est aussi abondante que monotone. Méritent cependant une mention : La Calandria (1513), du cardinal Bernardo Dovizi, dit le Bibbiena (1470-1520) ; Gl’Ingannati, d’un anonyme siennois (1531) ; Il Vecchio amoroso, de Donato Giannotti (1492-1573) ; Gli Straccioni, d’Annibale Caro ; le Siennois Anton Francesco Grazzini, dit il Lasca (1503-1584) ; le Florentin Giovanni Maria Cecchi (1518-1587) ; le Napolitain Giambattista Della Porta (1535 - v. 1615) ; outre bien sûr l’Arioste*, l’Arétin el Machiavel, dont la Mandragore (1518) est le chef-d’œuvre du genre. La tragédie, inaugurée en 1515 par la Sofonisba de Gian Giorgio Trissino (1478-1550), est prisonnière d’une trop stricte observance de la poétique aristotélicienne. Le Discorso sulle commedie e sulle tragedie (1554) de Giambattista Giraldi Cintio (1504-1573) relance, en s’inspirant de Sénèque, la vogue de l’horrible, où s’illustre Sperone Speroni (1500-1588). Le drame pastoral, d’abord conçu comme simple intermède (cf. l’Orfeo du Politien et la Tirsi de B. Castiglione), conquiert son autonomie en 1554 avec le Sacrificio d’Agostino Beccari (v. 1510-1590), et ses lettres de noblesse avec l’Aminta (1573) du Tasse et Il Pastor fido (1590) de Battista Guarini (1538-1612). À Florence enfin, à la Camerata de’Bardi, naît le mélodrame avec le concours du poète Ottavio Rinuccini (1562-1621), librettiste de la Dafne (1598) et de l’Euridice (1600) de Iacopo Peri ainsi que de l’Arianna (1608) de Claudio Monteverdi.

L’élite des cours élabore à son propre usage un nouvel idéal humain qu’incarne Il Cortegiano (1528) de Baldassare Castiglione (1478-1529). Dans le Galateo (1555), Giovanni Della Casa (1503-1556) fixe le code des bienséances. La casuistique amoureuse, le dialogue humaniste et la nouvelle comptent également parmi les passe-temps rituels des cénacles courtisans : Agnolo Firenzuola (1493-1543 ; Ragionamenti d’amore, Discorsi della bellezza delle donne, Prima veste dei discorsi degli animali), Giambattista Gelli (1498-1563 ; La Circe, I Capricci del bottaio), Matteo Bandello (1484-1561), le plus célèbre et le plus licencieux conteur du siècle. Le Cene (v. 1540) de Grazzini et Le Piacevoli Notti (1550-1553) de Giovan Francesco Straparola († 1557) puisent à des sources plus populaires, et les Ecatommiti (1565) de Giraldi, auquel Shakespeare emprunta la trame d’Othello, confirment le goût de l’horrible qu’il préconisait déjà pour la tragédie.