Écrivain yougoslave (Dolac, près de Travnik, 1892 - Belgrade 1975).
Andrić est l’un des rares écrivains de sa génération à qui, dans l’actuelle Yougoslavie, puisse s’appliquer précisément l’épithète de yougoslave, et non pas simplement de serbe ou de bosniaque. En effet, bien que resté très proche de son terroir natal, il sait dépouiller ses personnages, divers dans le temps et l’espace, de leurs particularismes de caste, de race, de religion, pour mettre en valeur l’homme éternel.
Il fait des études de slavistique à Zagreb, Vienne et Cracovie, et, comme membre de l’organisation révolutionnaire Mlada Bosna (Jeune Bosnie), il est interné par les Autrichiens de 1914 à 1917. Après avoir terminé son doctorat à Graz, il fait carrière dans la diplomatie. De prison, il a ramené un petit ouvrage de notes lyriques, Ex Ponto, suivi deux ans plus tard, en 1920, d’Inquiétudes. Ce sont deux volumes de notations intimes, d’où la haine de l’ennemi est absente, mais où il exprime sa souffrance d’homme, tout comme le héros de sa première nouvelle, le Voyage d’Alija Djerzelez (1921), preux redouté sur les champs de bataille, se trouve sans défense et désarmé devant l’éternel féminin. Dès lors, Andrić trouvera sa voie dans les nouvelles, dont les thèmes sont surtout empruntés au passé de la Bosnie, terre de contrastes, occupée tour à tour par les Turcs et les Autrichiens, où se côtoient trois religions (catholicisme, orthodoxie et islām). Un monde mouvant et bigarré de commerçants, d’artisans, de pachas et de beys, d’officiers autrichiens, de filles, de débauchés, de gueux, de riches, avec leurs conflits de passions, d’intérêts, de conceptions, de coutumes, de parlers même, lui fournit une incomparable toile de fond, riche en couleur locale, mais où il sait retrouver, dans la diversité des actes et des attitudes de ses personnages à l’égard de l’amour, de la vie, de l’amitié, de la mort, l’homme dépouillé de ses contingences. Grand artisan du mot et de la phrase, il pèse soigneusement chaque expression pour cerner ses personnages, un peu comme l’entomologiste décrivant l’insecte qu’il voit se démener sous sa loupe, tout en sachant fort bien qu’il n’est pas en son pouvoir de changer quoi que ce soit à ce qu’il observe, ce qui n’est pas sans colorer son œuvre d’une certaine tristesse. Mais cette indifférence apparente de l’observateur impartial n’a cependant rien de froid. C’est ainsi qu’il professe une sympathie manifeste pour certains monuments, notamment pour ces ponts « turcs » en dos d’âne qui sont l’un des charmes de la Bosnie et constituent comme des charnières entre les pays et les hommes.
Entre les deux guerres, Andrić a une activité réduite : il se contente surtout d’accumuler des matériaux, bien qu’entre 1924 et 1940 il ait fait paraître cinq recueils de nouvelles. Mais, à la Libération, il publie coup sur coup quatre romans et plusieurs recueils de nouvelles. Il est un pont sur la Drina (1945), paru la même année que la Chronique de Travnik et Mademoiselle, obtient le premier prix du roman du gouvernement fédéral yougoslave, et son œuvre est couronnée par le prix Nobel en 1961.
L’œuvre capitale d’Andrić est constituée par ses nouvelles, dont le cadre est mieux adapté à son talent. Ses romans en effet ne sont souvent qu’une suite de nouvelles rattachées par un lien un peu lâche (comme le pont, dans Il est un pont sur la Drina). La nouvelle, par ses dimensions restreintes, lui a mieux permis de rester en contact avec le peuple, avec l’humain : c’est ce qui donne toute sa valeur à son œuvre.
H. B.