Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

islām (suite)

Emprunts

Les terres classiques de l’islām se situent entre l’Europe et l’Extrême-Orient ; les époques où s’est déployée la plus grande activité entre l’Antiquité et les temps modernes. Ainsi l’islām a-t-il été souvent l’intermédiaire indispensable entre des mondes trop éloignés les uns des autres : les invasions berbères au Maghreb et en Espagne amènent des influences africaines ; celles des Turcs et des Mongols renouvellent les apports antérieurs de l’Asie centrale et de la Chine ; le commerce avec l’Extrême-Orient ne cesse de stimuler miniaturistes et céramistes. À partir du xve s., la peinture occidentale est étudiée : Mehmet II fait venir en Turquie des peintres italiens et envoie en Italie des peintres turcs ; plus tard, Séfévides et surtout Grands Moghols demandent en cadeau des tableaux de maîtres, les font copier. Au xviiie s., un peu partout l’influence européenne est sensible sur l’architecture.

Par suite des mouvements d’avance (en Anatolie, dans les Balkans, en Inde) ou de recul de l’islām (en Espagne, en Sicile), ou grâce aux croisades*, des civilisations opposées sont, à différentes époques, brutalement confrontées. Alors, l’islām ne se contente plus de prendre, il donne. Ce sont d’abord ces écoles mudéjares et arabo-normandes dont nous avons parlé, puis les nombreux emprunts que lui fait l’art roman, emprunts directs, in situ, sur la route de Saint-Jacques-de-Compostelle ou sur celle de Jérusalem, emprunts indirects par l’intermédiaire des objets importés ou reçus en don et conservés dans les trésors des églises. Au souvenir de Charlemagne s’en rattachent artificiellement plusieurs : verre et pièce d’échiquier du Louvre et de la Bibliothèque nationale (voir aussi à Chinon la chape de saint Mexme, à Saint-Sernin de Toulouse celle du roi Robert, au Louvre le baptistère de Saint Louis ou le suaire de saint Josse). Les productions musulmanes jouissent pendant longtemps d’un prestige considérable en Occident, comme le prouvent les objets qui furent exécutés pour des princes chrétiens (bassin d’Hugues de Lusignan, xive s.), les ateliers italiens et polonais créés pour satisfaire une demande trop importante, les mots arabo-persans passés dans notre vocabulaire.


Unité

De plus en plus, par suite d’une plus juste compréhension des faits, on en vient à mieux voir la diversité des arts de l’islām, à mettre en évidence des écoles dynastiques et nationales. Néanmoins, des caractères généraux donnent à ces arts une incontestable parenté. Tous ne se trouvent pas simultanément dans une même œuvre, mais il est rare de n’en point rencontrer quelques-uns.

On a souvent dit que la religion musulmane était le principal facteur d’unité des arts de l’islām. Et certes son rôle dynamique n’est pas négligeable. C’est elle qui inspire les monuments essentiels que sont les mosquées et les madrasa, fixe leur plan, leur mobilier et leur décor ; c’est elle qui pousse au prodigieux développement de la calligraphie ; elle, sans doute, qui encourage l’art des fontaines ou la fabrication d’objets aussi représentatifs que les tapis de prière. Mais, si ses condamnations sont parfois entendues (rareté des bijoux, le luxe étant réprouvé), elles peuvent aussi demeurer lettre morte : elle ne parvient qu’à freiner l’essor de l’art figuratif ; elle se montre impuissante devant l’art funéraire.

La géographie constitue un deuxième facteur relatif d’unité, encore que les terres d’islām ne soient pas toutes proches des déserts, soumises au climat chaud, à la luminosité intense et aux pluies rares. On lui doit sans doute le goût pour l’eau et les jardins, les salles ouvertes, les portiques, les cours, les maisons à terrasses fermées sur l’extérieur et maints éléments du décor. C’est enfin dans leur propre histoire que les arts de l’islām ont pris plusieurs de leurs traits communs : ce sont des arts d’Empire. Ils sont nés sur un territoire relativement étroit, autour des premières capitales, et ont été divulgués sur-le-champ dans les provinces les plus éloignées. Ayant atteint aussitôt la perfection, ils ont pu servir sans fin de modèles à des artistes qui n’ont jamais le goût du nouveau et de l’original, qui respectent les maîtres et dont la seule ambition est souvent de les égaler. Quand, au cours des siècles, ils innovent, soit par lente évolution, soit par brusque découverte, c’est toujours dans une capitale impériale, même si l’Empire n’est plus celui de tout l’islām, et les modèles faits pour la cour continuent à être plus ou moins servilement suivis dans les provinces. Comment pourrait-il en être autrement ? Les maîtres sont appelés par les souverains ; les ouvriers sont réquisitionnés, réunis les uns avec les autres sur un même chantier ; les frontières elles-mêmes sont perméables : main-d’œuvre déportée, princes exilés, créateurs invités aux cours étrangères, élites qui se retrouvent au congrès permanent qu’est La Mecque lors du pèlerinage.


Formation des arts de l’islām


Période omeyyade*

Façonnés en partie par la mentalité sémitique et conçus pour répondre à des besoins précis, religieux et politiques, les arts islamiques ne doivent que peu aux traditions des Arabes, qui n’étaient pas riches. Arrivés dans des pays de haute culture, les Arabes utilisent d’abord ce qu’ils y trouvent, palais, églises ou temples, monnaies, céramiques, tissus, métaux. Dans les villes qu’ils fondent en Iraq, en Égypte (Kūfa, Bassora, Fusṭāṭ [Le Caire]), à vrai dire des camps militaires, ils ne se soucient pas d’architecture. Ainsi, à Bassora, en 635, comme lieu de prière, ils délimitent sur le sol une surface nue qu’ils entourent peut-être de roseaux (muṣallā). Ce n’est que trente ou trente-cinq ans plus tard qu’ils songent à édifier en dur les premières mosquées*, dont il ne reste d’ailleurs rien.

Leur première grande réalisation architecturale est la Coupole du Rocher à Jérusalem* — mise en chantier en 686 sur l’emplacement de l’ancien Temple —, bâtiment unique en son genre, construit pour permettre le pèlerinage dans un des plus grands lieux saints de l’islām. Tout y relève encore de l’art chrétien : le plan, inspiré sans doute des martyriums ou des églises à rotonde, et le décor, particulièrement les mosaïques faites par des artistes byzantins ou syriens formés aux techniques byzantines. Il faut attendre la fondation de la Grande Mosquée de Damas*, en 705, pour que les formules antérieures soient enfin adaptées aux besoins propres de la nouvelle religion. Ainsi, pendant quelque soixante-dix ans, les musulmans reconnaissent la suprématie des pays dont ils se sont rendus maîtres et n’essaient pas de changer leur culture.