Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

islām (suite)

À Damas, les dispositions essentielles de l’édifice consacré au culte, la mosquée, semblent solidement établies. Le plan est simple : une grande cour (ṣaḥn) bordée de portiques, où prennent place les fontaines à ablution qu’exigent les prescriptions rituelles, précède une vaste salle de prière (ḥaram), plus large que profonde (les musulmans doivent prier en longues rangées), divisée en trois nefs que coupe une travée médiane, plus haute, conduisant au miḥrāb ; celui-ci est une niche vide percée dans le mur du fond (mur qibli) pour indiquer la direction de La Mecque (qibla), vers laquelle on doit se tourner pour prier, et flanquée d’une chaire à prêcher, le minbar (qui se retrouve essentiellement dans les Grandes Mosquées, dites « Mosquées du Vendredi », où est célébrée la prière solennelle de ce jour de la semaine). Sur une des faces de l’édifice s’élève une tour carrée imitée des clochers chrétiens, le minaret, qui sert au muezzin à appeler par son chant les fidèles à l’office. Le décor est, comme à la Coupole du Rocher, un magnifique revêtement de mosaïques d’où toute vie humaine et animale est exclue (il n’en reste que des fragments).

Le prestige de la Grande Mosquée des Omeyyades fut considérable dans tout le monde de l’islām, et celle-ci servit pendant des siècles de prototype ; toutefois, le plan de la mosquée dite « arabe » a été aussi influencé par des monuments préislamiques tels que la synagogue de Doura-Europos, ou par les mosquées irakiennes (Kūfa), à salles hypostyles, sans doute simple démarquage des apadana achéménides avec aménagement d’une cour centrale. La mosquée « arabe », à nombre variable de nefs parallèles ou perpendiculaires au mur qibli, gagne d’un côté l’Iran* (Tāri Khāne de Dāmrhān) et la haute Mésopotamie (mosquée de Diyarbakir), où elle s’acclimate pour quelques siècles, de l’autre l’Occident, où l’on suit sa progression jusqu’à Cordoue (mosquées ‘Amr du Caire* [642], Sīdī ‘Uqba de Kairouan* [703], Zaytūna de Tunis [732]). La mosquée des Omeyyades de Cordoue*, commencée en 785, à cause de ses qualités et du prestige de la dynastie qui règne dans la ville, n’exerce pas une influence moindre que celle de Damas et contribue à l’adoption définitive par le Maghreb et l’Espagne* du plan « arabe » (mosquée Qarawiyyīn de Fès*, 862 ; Grande Mosquée de Tlemcen, 1135) ainsi que du minaret parallélépipédique, traité plus lourdement qu’en Syrie, mais au noble décor en losanges ou plutôt en arcatures superposées.

Si les édifices religieux omeyyades sont fidèles aux leçons préislamiques, le sont plus encore les édifices civils, en particulier les quelque 40 châteaux du désert (Quṣayr ‘Amra, Qaṣr al-Ḥayr, Khirbat al-Mafdjar, Mchattā, etc., viiie s.), dont les ruines nous ont livré de précieux documents : mosaïques, peintures murales, statuettes de stuc représentant hommes et femmes à moitié dévêtus. Rien n’y est inconnu des époques antérieures et pourtant, surtout sur la célèbre façade du palais de Mchattā (Musée islamique de Berlin-Est), l’assemblage des éléments présente des caractères entièrement nouveaux.


Période ‘abbāsside*

L’influence de l’Iran, qui contrebalance déjà à l’époque omeyyade les puissantes traditions hellénistiques et byzantines, se renforce considérablement après la révolution ‘abbāsside et contribue à la formation définitive des arts de l’islām. Le centre de l’Empire se transporte en effet de Syrie* en Iraq*, pays alors de culture iranienne. Nous aurions du mal à analyser cette période — puisqu’il ne reste rien à Bagdad et que des vestiges dans les principales villes (Raqqa) —, si Sāmarrā, livrée aux sables après avoir été pendant une courte période capitale de l’Empire (836-892), ne s’était révélée un champ de fouilles d’exceptionnelle importance.

L’usage de la brique favorise les voûtages, déjà connus en Syrie, mais dont l’Iran offre un complet échantillonnage. À côté de la coupole et de la voûte brisée (porte de Bagdad à Raqqa ; citerne de Ramla, en Palestine, viiie s.) est alors employé l’iwān, vaste salle en berceau fermée de trois côtés et tout ouverte du quatrième sur l’extérieur. Sur les portes des châteaux sont utilisés pour la première fois les stalactites, ou nids d’abeilles (muqarnas), qui feront fortune dans tout l’islām. À la Grande Mosquée d’al-Mutawakkil, à Sāmarrā, le minaret (la Malwiyya, 848-49) est une tour au noyau cylindrique entourée d’une rampe en hélice dont la masse diminue de la base au sommet. Quant au décor, il affectionne le stuc, travaillé en « taille oblique » et plaqué contre les murs sur les parties basses, tandis qu’au-dessus prennent place des peintures à tons crus, représentant femmes drapées, danseuses nues, scènes de chasse, califes en majesté, soldats et animaux cernés de traits noirs et traités, à la manière sassanide, avec un souci de symétrie, d’immobilisme et une absence de modelé.

Bien qu’il apparaisse comme très vraisemblable que Sāmarrā dévoile un art original, la découverte récente à Balkh (Afghānistān*) d’une mosquée non datée, au décor très apparenté à celui de la grande cité irakienne, peut faire penser que les deux sites dérivent d’un autre centre, encore inconnu. Fondée pour recevoir les mercenaires turcs des califes ‘abbāssides, Sāmarrā doit avoir été, en même temps qu’un grand foyer d’iranisme, un bassin de décantation des influences d’Asie centrale et de Chine apportées par les Turcs. Malgré son plan syrien, le Qubbat al-Ṣulaybiyya, le premier mausolée de l’islām, a peut-être été construit à l’intention de ces derniers.

La propagation de l’art ‘abbāsside dans l’Empire amène presque partout sa fusion avec l’art omeyyade. Un exemple probant est fourni par l’Égypte* au temps de la dynastie ṭūlūnide, instaurée par un officier turc de Sāmarrā envoyé comme gouverneur de la vallée du Nil. Si, à la Grande Mosquée, fondée au Caire par ibn Ṭūlūn en 876, les panneaux de bois sculpté offrent un décor semblable à celui des stucs mésopotamiens, le plan à cinq nefs est celui de la mosquée « arabe », tandis que le minaret transcrit en pierres la formule de la Malwiyya. Plus à l’est, les peintures siciliennes rappellent celles des palais sāmarriens, d’où elles dérivent par quelque intermédiaire égyptien. En Tunisie*, le minbar de Sīdī ‘Uqba est un meuble importé de Bagdad (862-63). On pourrait multiplier les exemples.